Les ratages des auditions publiques de l'Instance Vérité et Dignité
Par Lilia Bouguira*
La dernière audition publique de l’Instance Vérité et Dignité a traité, dans un hors mandat volontaire, de Bourguiba, de la période coloniale à l’Indépendance. Elle a ouvert délibérément la porte à un important remous sur les réseaux sociaux départageant à nouveau le peuple au lieu de l’unifier. Certains voient en Bourguiba un terrible dictateur au funeste passé.
Nombreux se refusent au contraire à envoyer aux poubelles du total discrédit, la période bourguibienne.
Emportés par la fougue de la jeunesse, nous avons pensé refaire le monde et nous nous sommes rebellés contre tous et tout pour grandir.
Bourguiba nous a sonné la tête avec son culte de la personnalité et les quelques médias propagandistes de ces temps qui n'ont pas arrêté de le magnifier. Nous les avons pris illico en aversion.
Nous ignorions tout de l'Histoire, celle de notre pays en particulier et du parcours de ses combattants. Malheureusement, Bourguiba n’a point œuvré en ce sens, fixé certainement sur d'autres projets qu'il a jugés prioritaires.
Ce dont je suis certaine aujourd'hui et dont je suis reconnaissante, c'est du niveau de la santé et de l'éducation pour tous qu'il a tenu à nous imposer.
Ce dont je suis redevable, c'est de son amour pour son pays et du niveau auquel il tentait de le hausser. Il a réussi à l'élever au plus haut comme une étoile qui brille seule, au-dessus de beaucoup de pays arabo-musulmans et même de l'occident. Nous avons avancé avec lui à pas de géants.
Je me souviens de ce que nous ont raconté nos parents sur les files pour les vaccins contre la tuberculose, la typhoïde et la diphtérie qui disparurent de nos contrées depuis des années.
Je me souviens aussi de ces gouttes miracles qui nettoyaient en masse nos paupières gélatinées ou gélatineuses lors de fameuses épidémies de conjonctivite. Le médecin était en ces temps presque un dieu. Nous lui vouions vénération et respect. Nos mamans nous lavaient, parfumaient avant de les consulter CONTRAIREMENT à aujourd'hui où le médecin est insulté, frappé et humilié jusqu'à l'emprisonnement comme un vulgaire criminel.
Je me souviens de nos cartables pas très lourds mais fournis en un solide enseignement et un bon niveau d'éducation. L'instituteur était considéré avec respect également comme un dieu. Nos mères et grand-mères dans nos contrées leur offraient le meilleur, concocté de leurs mains de fées de maison.
Aujourd'hui, que nous reste-il de tout cela?
La tuberculose, le tétanos et bien d'autres fléaux sont revenus.
Le médecin est banni, honni avec une diabolisation systématisée de ce corps.
Le niveau éducationnel est à ses plus mauvais jours. Un bras de fer sans fin entre de vils politiciens, ravage ce secteur utilisant nos enfants comme objet de rançon.
L'enseignant est également diabolisé.
Les exemples sont de plus en plus nombreux. Une dégringolade infernale en arrière vers le bas fond avec des sous-hommes politiques parvenus, toujours affamés et jamais rassasiés.
Chaque jour depuis la révolution, nos institutions sont attaquées, cassées non pas dans un objectif de réforme et d'assainissement, mais dans un but unique de mettre à plat ce pays pour le vendre en une bouchée au plus offrant.
Tout ce pays en entier est visé avec son administration dont Bourguiba s'en est rendu un Homme d'Etat fort.
Cet homme au moins a eu au risque de déplaire à certains le mérite d'aimer sa Nation. Il a certainement été responsable d’exactions et de violations. Il a certainement tenu le pays avec beaucoup de rigidité et peu de démocratie voire aucune.
Le rôle de l’Instance Vérité et Dignité est de relever cette vérité et non de se positionner sans neutralité aucune d’un côté et non de l’autre. L’instance a cette mission délicate d’éclairer le peuple pour le relever et le faire avancer.
Dans ses auditions publiques, l’instance a montré peu d’impartialité et les interventions répétées de sa présidente ou de quelques membres, comme pour garder la victime dans son cadre de victime et non de témoin principal d’un pan important de l’histoire de ce pays, nous mettaient à mal . Cela s’est malheureusement senti tout au long de ces auditions. A un certain moment, il nous a semblé que les victimes se sont fait téléguider par ces interventions qui ont eu un impact purement suggestif de compassion, pire de quémandeur de réparation.
Des fois, la qualité de l’audition a dénivelé au point de nous lasser, frôlant une banale séance de victimologie où la victime n’est plus au premier plan. Un show et rien qu’un show sans construction aucune qui miroiterait la justice, la réparation mais surtout la non répétition.
J’ai la chance d’avoir été un membre de cette instance (je le suis encore aux yeux de la loi) et j’ai l’avantage de connaître la richesse des témoignages.
J’ai eu l’honneur d’écouter de nombreux témoignages. Tout cela pour dire que les auditions publiques ont laissé le citoyen que je suis avec beaucoup d’autres j’imagine, vu les réactions, sur sa faim. Une terrible frustration, non plus sur la forme mais sur le fond.
D’abord par un non-respect de la chronologie des évènements avec une frise folâtre dans une même séance où les choix de l’instance nous ont fait sautés d’un registre à un autre, d’un temps à un autre.
Ce type de comportement se joue de nos affects sans grande responsabilité.
Ils nous ont faits trimbaler des blessés de la révolution, aux victimes islamistes, puis aux perspectivistes, avec notre illustre Gilbert Naccache, pour revenir encore aux islamistes, pour toucher un peu aux victimes de la gauche, puis ceux du bassin minier, pour rebondir à nouveau sur les victimes islamistes en particulier les femmes.
Le voile et la circulaire 108 ont fait l’objet de toute une séance avec une timide audition pour quelques victimes femmes de la gauche.
Un ballotage dans le temps à donner non seulement le tournis, mais surtout l’ennui et l’envie de zapper.
J’ai le regret d’assumer mes frustrations, parce que j’ai la modeste mémoire de ceux que j’ai écoutés. Le membre que j’ai choisi d’être, digère mal ces manquements maladroits de l’IVD devant l’intensité et la richesse de ce que j’ai écouté.
Le médecin que je suis, regrette ces dérapages de choix de l’IVD qui dénotent d’un grand manque de professionnalisme et de savoir, tuent le rêve post-révolution que tout Tunisien porte en lui.
La Tunisienne que je reste, se refuse à ce ballotage qui comme un mauvais jeu malmène mes aspirations pour une justice transitionnelle qui garantira à mon pays un lendemain meilleur dans la sérénité, l’apaisement et la paix.
*Lilia Bouguira, membre révoquée de l’IVD