Tribunes
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Par Lotfi M’raihi*
Le meurtre lâche et abject qui a frappé le leader Chokri Belaid a marqué incontestablement un tournant dans l’histoire postrévolutionnaire qui est entrain de s’écrire. Quelques soient les suites données à cet acte, et quelques soient les tournures que prendront désormais les évènements, l’intrusion du meurtre politique dans l’actualité tunisienne constitue un échec de la société tunisienne dans sa globalité. Il est hors de question de désigner ou de fustiger une partie, un front ou un mouvement et d’en absoudre un autre, nous en sommes tous responsables. La violence verbale, les procès d’intention, les basses manœuvres et les complots ont fait le lit propice à cette dérive meurtrière.
L’esprit du 14 janvier 2011 a vite fait de nous quitter pour laisser la place à l’arrogance, à l’intransigeance et à l’exclusion.
Nous avons vite fait d’oublier la fatalité du vivre ensemble pour que chacun cherche à s’approprier la patrie et la vérité.
Si la période préélectorale a paru constituer une accalmie, ce n’était en fait qu’une trêve où chacun fourbissait ses armes pour mieux affronter les élections.
Le succès des uns et l’échec des autres au lieu de les amener respectivement à plus de modestie ou de conciliation n’a fait que réveiller les vieux démons des luttes intestines qui rythmaient jadis la vie estudiantine.
Les uns ont tenté de gouverner dans un autisme absolu, les autres n’ont ménagé aucune peine pour entraver l’action gouvernementale.
La Tunisie étant devenue l’otage de francs tireurs, les uns embusqués derrière une légitimité incontestable et les autres derrière un consensus impossible.
Le suffrage universel ne semblait plus trouver de grâce aux yeux d’une opposition qui s’est résolument jurée la faillite du gouvernement.
De son coté, la troïka n’a pas ménagé sa peine à aligner ses incohérences, son inexpérience et sa farouche volonté à passer en force, forte de sa majorité électorale. Loin de se soucier de la difficulté des tunisiens confrontés à des périls sécuritaires, sociaux et économiques la guéguerre battait son plein. Toutes les forces étaient mobilisées et instrumentalisées pour diaboliser l’adversaire.
Au moment ou un nouveau seuil de violence inédit vient d’être franchi avec le meurtre de Chokri Belaid, les protagonistes au lieu d’enterrer la hache de guerre et de tirer les enseignements de ce drame et de revenir à de meilleurs sentiments, nous assistons à la fuite en avant dans la spirale de confrontation.
D’ailleurs, immédiatement après l’annonce du décès, nous avons enregistré un appel à la dissolution de la constituante. Cet appel a été relayé par la décision de suspendre la participation des élus du camp démocrate aux travaux de la constituante. Biens étonnants démocrates, ceux qui veulent suspendre la volonté populaire exprimée à la suite d’une consultation dont les résultats ont été unanimement reconnus.
Qui a le pouvoir de se substituer à la volonté populaire ou de la gommer ? Fait d’autant plus gravissime qu’il a émané entre autres de ceux qui ont instrumentalisé les foules dans le sit-in d’el Kasbah II qui a imposé le passage obligé par une constituante. C’est à se demander si l’expression populaire trouve grâce aux yeux de ceux-là ?
Comme nous l’avons souligné plus haut, la troïka avec Ennahdha en tête porte sa part de responsabilité dans le climat délétère auquel nous sommes confrontés. Néanmoins, serait-il juste de la désigner seule à la vindicte populaire, d’instrumentaliser les médias et d’ériger l’opinion publique contre elle ?
Ceux qui s’adonnent à de telles pratiques manquent d’un minimum de sens politique et mettent en péril la stabilité du pays, son avenir et la transition dans sa totalité.
Ils oublient que la diabolisation d’Ennahdha poussera ce mouvement vers la radicalisation. Ils espèrent maintenant réduire son impact et le réduire à défaut de l’anéantir. Ils occultent la capacité de nuisance de ce mouvement s’il revenait à se sentir réellement mis en danger. Ils sous-estiment l’ancrage réel de ce mouvement dans la scène politique. Ils mesurent mal l’impact de ce mouvement s’il venait à être éjecté du pouvoir par un coup de force.
Ceux qui appellent à chasser Ennahdha minimisent à tort les répercussions d’une telle entreprise qu’ils assimilent plus à un changement de chaine de télévision pour chasser un mauvais film qu’au déracinement et à la mise en quarantaine d’une véritable force politique.
La Tunisie a plus intérêt à tirer de l’assimilation d’Ennahdha comme un mouvement s’inscrivant dans le paysage démocratique qu’à son éviction. Je dirais même que l’exercice du pouvoir et la gestion des défis socio-économiques sont les seuls outils capables de ramener Ennahdha à une dimension plus modeste. J’en veux pour preuve le collapse de sa popularité après une année au pouvoir.
Cette année de gestion de la chose publique a entamé l’essor du mouvement bien plus que les vingt trois années de traque du régime de Ben Ali.
Outre, sa connotation religieuse, Ennahdha cristallise les espoirs des couches et des régions défavorisées qui n’ont pas su ou pu réussir avec le modèle moderniste de la première république. Ceux qui aujourd’hui s’attachent à la modernité doivent prendre en compte les aspirations de ceux qui n’ont pas eu à en jouir. C’est pourquoi nous pensons qu’il y a un modèle à créer.
Un modèle innovant qui a la capacité de répondre aux attentes économiques mais aussi sociales, générant une nouvelle approche de la modernité qui tient compte de notre enracinement culturel et religieux. Il s’agit de s’inventer une modernité tunisienne qui ne soit pas simplement le plagiat
d’une occidentalisation projetée et greffée sur la réalité tunisienne.
Il serait fallacieux de s’arquebouter sur des acquis parcimonieux et sectaires alors que les stigmates du rejet de cette modernité sont patents tant dans les régions qu’au sein des métropoles.
Le conflit qui oppose aujourd’hui les tenants de la modernité aux chantres du conservatisme est hors sujet. Il élude le vrai problème, celui de composer un conciliable capable de réunir les uns et les autres autour des fondamentaux fédérant l’unité nationale.
Les uns et les autres portent entière la responsabilité du conflit fratricide qui les oppose. La confrontation risque de dériver vers une voie sans issue ou chaque clan se tiendra embusqué derrière une vérité qu’il tient pour révélée.
Forts de leurs convictions de détenir le bonheur de la Tunisie, ils participent à son malheur.
*Secrétaire Général de l’UPR
Le meurtre lâche et abject qui a frappé le leader Chokri Belaid a marqué incontestablement un tournant dans l’histoire postrévolutionnaire qui est entrain de s’écrire. Quelques soient les suites données à cet acte, et quelques soient les tournures que prendront désormais les évènements, l’intrusion du meurtre politique dans l’actualité tunisienne constitue un échec de la société tunisienne dans sa globalité. Il est hors de question de désigner ou de fustiger une partie, un front ou un mouvement et d’en absoudre un autre, nous en sommes tous responsables. La violence verbale, les procès d’intention, les basses manœuvres et les complots ont fait le lit propice à cette dérive meurtrière.
L’esprit du 14 janvier 2011 a vite fait de nous quitter pour laisser la place à l’arrogance, à l’intransigeance et à l’exclusion.
Nous avons vite fait d’oublier la fatalité du vivre ensemble pour que chacun cherche à s’approprier la patrie et la vérité.
Si la période préélectorale a paru constituer une accalmie, ce n’était en fait qu’une trêve où chacun fourbissait ses armes pour mieux affronter les élections.
Le succès des uns et l’échec des autres au lieu de les amener respectivement à plus de modestie ou de conciliation n’a fait que réveiller les vieux démons des luttes intestines qui rythmaient jadis la vie estudiantine.
Les uns ont tenté de gouverner dans un autisme absolu, les autres n’ont ménagé aucune peine pour entraver l’action gouvernementale.
La Tunisie étant devenue l’otage de francs tireurs, les uns embusqués derrière une légitimité incontestable et les autres derrière un consensus impossible.
Le suffrage universel ne semblait plus trouver de grâce aux yeux d’une opposition qui s’est résolument jurée la faillite du gouvernement.
De son coté, la troïka n’a pas ménagé sa peine à aligner ses incohérences, son inexpérience et sa farouche volonté à passer en force, forte de sa majorité électorale. Loin de se soucier de la difficulté des tunisiens confrontés à des périls sécuritaires, sociaux et économiques la guéguerre battait son plein. Toutes les forces étaient mobilisées et instrumentalisées pour diaboliser l’adversaire.
Au moment ou un nouveau seuil de violence inédit vient d’être franchi avec le meurtre de Chokri Belaid, les protagonistes au lieu d’enterrer la hache de guerre et de tirer les enseignements de ce drame et de revenir à de meilleurs sentiments, nous assistons à la fuite en avant dans la spirale de confrontation.
D’ailleurs, immédiatement après l’annonce du décès, nous avons enregistré un appel à la dissolution de la constituante. Cet appel a été relayé par la décision de suspendre la participation des élus du camp démocrate aux travaux de la constituante. Biens étonnants démocrates, ceux qui veulent suspendre la volonté populaire exprimée à la suite d’une consultation dont les résultats ont été unanimement reconnus.
Qui a le pouvoir de se substituer à la volonté populaire ou de la gommer ? Fait d’autant plus gravissime qu’il a émané entre autres de ceux qui ont instrumentalisé les foules dans le sit-in d’el Kasbah II qui a imposé le passage obligé par une constituante. C’est à se demander si l’expression populaire trouve grâce aux yeux de ceux-là ?
Comme nous l’avons souligné plus haut, la troïka avec Ennahdha en tête porte sa part de responsabilité dans le climat délétère auquel nous sommes confrontés. Néanmoins, serait-il juste de la désigner seule à la vindicte populaire, d’instrumentaliser les médias et d’ériger l’opinion publique contre elle ?
Ceux qui s’adonnent à de telles pratiques manquent d’un minimum de sens politique et mettent en péril la stabilité du pays, son avenir et la transition dans sa totalité.
Ils oublient que la diabolisation d’Ennahdha poussera ce mouvement vers la radicalisation. Ils espèrent maintenant réduire son impact et le réduire à défaut de l’anéantir. Ils occultent la capacité de nuisance de ce mouvement s’il revenait à se sentir réellement mis en danger. Ils sous-estiment l’ancrage réel de ce mouvement dans la scène politique. Ils mesurent mal l’impact de ce mouvement s’il venait à être éjecté du pouvoir par un coup de force.
Ceux qui appellent à chasser Ennahdha minimisent à tort les répercussions d’une telle entreprise qu’ils assimilent plus à un changement de chaine de télévision pour chasser un mauvais film qu’au déracinement et à la mise en quarantaine d’une véritable force politique.
La Tunisie a plus intérêt à tirer de l’assimilation d’Ennahdha comme un mouvement s’inscrivant dans le paysage démocratique qu’à son éviction. Je dirais même que l’exercice du pouvoir et la gestion des défis socio-économiques sont les seuls outils capables de ramener Ennahdha à une dimension plus modeste. J’en veux pour preuve le collapse de sa popularité après une année au pouvoir.
Cette année de gestion de la chose publique a entamé l’essor du mouvement bien plus que les vingt trois années de traque du régime de Ben Ali.
Outre, sa connotation religieuse, Ennahdha cristallise les espoirs des couches et des régions défavorisées qui n’ont pas su ou pu réussir avec le modèle moderniste de la première république. Ceux qui aujourd’hui s’attachent à la modernité doivent prendre en compte les aspirations de ceux qui n’ont pas eu à en jouir. C’est pourquoi nous pensons qu’il y a un modèle à créer.
Un modèle innovant qui a la capacité de répondre aux attentes économiques mais aussi sociales, générant une nouvelle approche de la modernité qui tient compte de notre enracinement culturel et religieux. Il s’agit de s’inventer une modernité tunisienne qui ne soit pas simplement le plagiat
d’une occidentalisation projetée et greffée sur la réalité tunisienne.
Il serait fallacieux de s’arquebouter sur des acquis parcimonieux et sectaires alors que les stigmates du rejet de cette modernité sont patents tant dans les régions qu’au sein des métropoles.
Le conflit qui oppose aujourd’hui les tenants de la modernité aux chantres du conservatisme est hors sujet. Il élude le vrai problème, celui de composer un conciliable capable de réunir les uns et les autres autour des fondamentaux fédérant l’unité nationale.
Les uns et les autres portent entière la responsabilité du conflit fratricide qui les oppose. La confrontation risque de dériver vers une voie sans issue ou chaque clan se tiendra embusqué derrière une vérité qu’il tient pour révélée.
Forts de leurs convictions de détenir le bonheur de la Tunisie, ils participent à son malheur.
*Secrétaire Général de l’UPR
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