Une inacceptable mise au ban
Le classement du pays dans la liste noire des paradis fiscaux établie par l’Union européenne a constitué une énorme gifle. Elle est d’autant plus douloureuse qu’elle émane d’une entité qu’on considère comme un partenaire stratégique. Le coup est parti et ce ne sont nullement les déclarations rassurantes de Pierre Moscovici, Commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, qui changeront la donne. Car, pour l’opinion publique, le pays a été mis au ban du concert économique des nations. Une insupportable infamie.
Cependant, il convient préalablement de savoir quelles sont les raisons qui ont amené les pays membres de l’Ecofin, le conseil des ministres européens des finances, à décider de clouer au pilori le système fiscal de la Tunisie et de jeter l’opprobre sur sa politique fiscale. Il ne s’agit pas tant de crier sur les toits que la Tunisie est une destination où la fraude fiscale et son corollaire le blanchiment de l’argent sale sont généralisés mais d’inviter le pays à porter un sérieux et attentif regard aux dérives de ce qu’on appelle planification fiscale agressive ou optimisation fiscale ou encore l’abus des traités et conventions fiscales entre Etats. Ce n’est pas de « Panama papers » dont il s’agit mais de « Paradise papers ». Le premier mettait en exergue un schéma de pratique illégale d’évasion fiscale des sociétés tandis que le second révélait un schéma de pratique légale d’évasion fiscale, posant de fait la problématique du droit et de l’éthique qui le sous-tend.
Tout démarre en 2015, lorsque l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) propose au G20 un projet appelé BEPS (Base erosion and profit shifting) ou en français (Erosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfice) pour contrecarrer « les stratégies de planification fiscale qui exploitent les failles et les différences dans les règles fiscales en vue de faire disparaître des bénéfices ou de les transférer dans des pays ou territoires où l’entreprise n’exerce guère d’activité réelle ». Ce projet comprend un quinzaine d’actions que les Etats sont invités à mettre en œuvre pour tenter de limiter les dérives de l’optimisation fiscale. Le projet prévoit également un cadre inclusif qui permet aux pays émergents et en développement d’adhérer à la dynamique. Quatre de ces 15 actions ont la priorité de réalisation.
Il s’agit d’abord de « mettre fin aux pratiques fiscales dommageables ». C’est le cas des exonérations fiscales et, dans le cas qui est le notre, des fameuses exonérations fiscales accordées au entreprises non-résidentes ou encore de certaines pratiques qui ont eu d’ailleurs cours en Tunisie comme par exemple lorsqu’une société-mère finance une filiale par le biais d’achat d’obligations convertibles en actions ou lorsqu’elle vend à sa filiale des actifs incorporels. Il s’agit ensuite de « mettre fin à l’abus des traités et conventions fiscales entre Etats », c’est-à-dire les failles contenues dans les traités de « non-double imposition » afin qu’ils ne deviennent pas des traités de « double non-imposition ». C’est aussi le cas des entreprises non-résidentes totalement exportatrices. Autre action prioritaire l’amélioration des procédures amiables entre les contribuables et l’administration fiscale dans les cas de litiges. Et enfin dernière action, le « reporting pays par pays » qui exige des groupes à fournir parallèlement à leurs comptes consolidés des comptes pays par pays afin d’en finir avec la déconnection des profits du lieu géographique où ils ont été générés.
Il semble que le pays ne se soit pas mis à jour en la matière et n’a pas plaidé avec efficacité et opportunité sa situation vis-à-vis de ces actions. De ce point de vue, il n’est nullement besoin de se dérober, a fortiori de se défausser en invoquant les insuffisances des voisins proches ou lointains qui ne font pas partie de cette fameuse liste noire alors qu’ils méritaient amplement d’y être.
Il ne fait aucun doute que lors de la prochaine réunion d’Ecofin, la Tunisie sera exclue de cette liste noire. Il n’empêche que certains points mériteraient d’être mis en perspectives.
Cette mise au ban de la Tunisie a révélé notre immense lacune en termes de diplomatie économique et de lobbying auprès de son principal partenaire économique. Que dire alors des nouveaux marchés que le pays compte investir? Elle a également mis à nu la nature des relations entre les partenaires économiques où l’amitié importe peu face à l’intérêt. Une majorité des membres de l’Union européenne ont voté contre la Tunisie. Que devra être dorénavant notre attitude à leurs égards ?