La magie de l'administration tunisienne
Avec cette chaleur, ce qui pourrait vous arriver de pire n’est pas de vous faire rôtir sous un soleil de plomb mais de devoir passer par la case « administration tunisienne ». La majorité écrasante de ceux qui sont en train de lire ces lignes, ne sont, sans doute, pas insensibles à la magie du monde des guichets tunisiens.
Renouvellement de carte d’identité, permis de conduire retiré, légalisation de signature, enregistrement de documents ou même obtention d’un simple certificat de naissance, toutes ces tâches peuvent s’avérer tellement hasardeuses pour le simple citoyen tunisien contraint, malgré lui, de s’y conformer. Ne commettez pas la bêtise de croire qu’il suffit de se présenter au bon guichet, aux bons horaires, avec les bons papiers pour voir vos documents en règle. L’administration tunisienne est un jeu complexe qu’il faut savoir maîtriser.
Vous vous faites arrêter sur la route, pour une infraction ou une amende non payée et vous voyez votre permis de conduire se faire confisquer. Jusque-là rien de plus normal. C’est pour le récupérer que l’affaire se corse. Si vous vous faites arrêter alors que vous êtes de simple passage à Tunis et que vous vous rendez à Ben Guerdène là où se trouve votre domicile et votre lieu de travail, vous devrez impérativement revenir régulariser vos papiers et récupérer votre permis à Tunis. Une journée de congé et un aller-retour en semaine, durant les heures d’ouverture des guichets tunisiens s’imposent donc. Ou alors attendre une semaine (environ) pour voir votre permis de conduire envoyé chez le service afférant à votre lieu de résidence. Perte de temps vous avez dit ?
Vous vous rendez au guichet d’une municipalité, pour une simple légalisation de signature. L’opération peut prendre 5 mn si on ne compte pas la queue, mais vous devrez d’abord croiser les doigts pour que le bon fonctionnaire soit dans le bon box au moment où vous vous y rendez. Les horaires d’ouverture ne veulent rien dire, le remplacement des fonctionnaires entre eux n’est qu’une notion désuète et dépourvue de sens. Ne vous étonnez pas si on vous annonce que le fonctionnaire dont la tâche consiste uniquement à noter des noms dans un registre, à tamponner des documents et à vérifier que les noms et prénoms coïncident, n’est pas en poste.
Dans cette tâche délicate, aucun des autres fonctionnaires qui distribuent les certificats de naissance ou font des copies conformes ne peuvent poser votre nom et signature sur le fameux registre. L’administration tunisienne privilégie une spécialisation pointue des tâches et des fonctions. Nul n’a la capacité et l’expérience nécessaires pour effectuer la tâche très compliquée de l’autre. Peu importe s’il reste les bras croisés ou qu’il passe ses 6 heures 30 minutes de travail (théorique) journalier à parler au téléphone ou à raconter des potins à son collègue alors que le guichet voisin déborde de citoyens en colère. Peu importe aussi si vous vous pointez devant le guichet une demi-heure avant la fermeture effective, si l’agent a mieux à faire, il vous remballera sans ménagement.
Vous vous apprêtez à régulariser les papiers d’un héritage, à renouveler votre carte d’identité ou autre document vital, vous devrez consacrer de longues journées à finaliser des procédures administratives que vous n’avez pas besoin de comprendre. Un document dans votre ville de naissance, l’original de votre certificat de mariage vieux de 30 ans, un certificat de résidence de votre lieu d’habitation et plein de paperasse qui atterrira sur le bureau d’un fonctionnaire excédé, avant de finir orner les archives d’une administration miteuse. Dans la même administration, ne vous étonnez pas qu’un fonctionnaire vous donne une information et qu’un autre vous dise totalement le contraire. Des informations élémentaires varient d’une administration à une autre.
On continue à faire la queue et à perdre un temps précieux pour des documents aussi obsolètes qu’un certificat de perte qu’on vous délivre en se fiant uniquement à vos déclarations ou un certificat de naissance qui comporte des données qu’on retrouve pourtant sur votre carte d’identité.
La numérisation, l’informatisation et la centralisation de l’administration tunisienne est un mythe fantasmé et annoncé dans les grands cercles, qu’on mentionne dans les discours gouvernementaux et qu’on tente de mettre en place depuis des années.
Rien n’y fait. En 2017, à peu de choses près, les choses restent les mêmes qu’il y a 20 ans.
Au-delà des simples citoyens tunisiens qui sont obligés de suivre le labyrinthe des procédures administratives fastidieuses et chronophages, les investisseurs et entrepreneurs sont parfois confrontés à pire. Des affaires, pourtant fructueuses, se perdent dans des tourbillons de tampons et de papiers à empiler et des entreprises dont on a pourtant besoin ne voient jamais le jour à cause des aléas de l’administration.
Pour attirer l’investisseur étranger, on organise des forums et des rencontres. On y invite de grosses pointures de l’économie, de la finance pour évoquer, en des termes pompeux, le paradis qui s’ouvrira à eux en investissant leurs dollars sur nos terres. Une fois venus, on leur réserve le même sort que celui qui insupporte, depuis des années déjà, les investisseurs locaux ainsi que tout citoyen contraint de côtoyer le monde magique de l’administration tunisienne.