La solution de l'endettement a atteint ses limites
Il y a quelques mois, Youssef Chahed avait déclaré que si la situation des finances publiques ne s’améliorerait pas durant l’année 2017, « ce sera l’austérité ». Au regard du résultat obtenu par la récente sortie du pays sur le marché obligataire européen, il devient de plus en plus légitime de se ranger, d’ores et déjà, du côté de cet inéluctable choix et de préparer l’opinion publique en conséquence. En tout cas, les nombreux non-dits sur cette opération ont exacerbé ce sentiment.
Certes, l’opération a permis de lever 850 millions d’euros, montant qui correspond à ce qui fut fixé par le budget de l’Etat comme besoin de financement à solliciter auprès des marchés financiers internationaux. Pourtant, au départ, le gouvernement avait fixé le montant de 1 milliard d’euros d’emprunt. Un choix de prudence face aux incertitudes qui entourent les financements d’appui budgétaire promis par les institutions financières multilatérales. Le retard pris dans le décaissement des premières tranches du crédit élargi de 1,7 milliards de dollars accordé par le FMI prévu initialement en septembre et décembre de l’année dernière y incitait fortement. Un choix dicté aussi par une préoccupation de renforcement des réserves en devises qui permettrait de répondre aux exigences de paiements extérieurs du pays tout en préservant, un tant soit peu, le taux de change nominal de nouvelles dégradations.
Lors de sa sortie en 2015 pour lever un emprunt fixé au départ à 500 millions de dollars, puis à 750 millions de dollars, le gouvernement de Mehdi Jomaâ, à l’époque, a décidé de relever le montant à un milliard de dollars, sur la base de ces considérations. Il est fort peu probable que le gouvernement de Youssef Chahed n’ait pas adopté une telle approche à l’occasion du dernier emprunt émis sur l’euromarché.
Est-ce que le montant obtenu correspond à ce que le pays mérite d’obtenir en termes de montant, de maturité et de taux d’intérêt, sur les marchés des capitaux lorsqu’il ne présente pas de garanties publiques étrangères ; américaines, japonaises ou autres ? On serait tenté de le croire. Certains indices plaident d’ailleurs dans ce sens. C’est en effet la première fois que, pour une émission d’un tel montant, la Tunisie n’ait pu susciter qu’une offre de 1,6 milliards d’euros. En 2015, plus de 4 milliards de dollars ont été offerts par plus de 250 investisseurs alors qu’on ne demandait pas plus de 750 millions de dollars. C’est la première fois aussi qu’un emprunt de ce type n’ait obtenu qu’une maturité de 7 ans. Habituellement, le délai de remboursement s’étale sur 10 ans. Enfin, si le taux du dernier emprunt affiche 5,65% contre un taux de 5,75% pour l’emprunt de 2015, cela renvoie évidemment aux paramètres que sont le montant et la maturité de l’emprunt. « Il est devenu plus difficile pour la Tunisie, au regard des conditions de cette dernière émission, de boucler ses transactions aux montants annoncés et/ou souhaités, et surtout d’accéder à des maturités et à des niveaux de marge acceptables à même, d’une part, d’éviter des concentrations d’échéances sur le court terme et d’alléger le coût du service de la dette extérieure soumis par ailleurs à la dépréciation du taux de change du dinar », a remarqué le Centre tunisien de prospective et de développement économique, un think tank dirigé par Tawfik Baccar, ancien gouverneur de la Banque centrale.
Autrement dit, le pays ne peut plus s’endetter comme auparavant. Emprunter devient de plus en plus difficile. Cela, il faut l’avouer sans chercher éperdument des boucs émissaires. Ni Fitch, ni le FMI ne sont la cause ayant aboutit à ce résultat. Le mal, ce n’est pas eux. Le mal renvoie à la frilosité politique du gouvernement d’engager le protocole thérapeutique adéquat, même s’il est douloureux. Le mal renvoie à une classe politique de plus en plus mue par le clientélisme et soumise aux lobbies en tout genre que par l’intérêt général. C’est désespérant.