Face à un policier, bouclez-la !
De ces histoires qui défrayent la chronique et qu’on retrouvera bientôt en Une des plus grands quotidiens internationaux. Une citoyenne tunisienne et un Franco-Algérien condamnés en Tunisie à de la prison ferme pour, entre autres, « atteinte aux bonnes mœurs ». Comme disent les vieux policiers, « les pataquès arrivent toujours avec les honnêtes gens », ou comment un simple contrôle d’identité se termine au poste. Dans les faits, les choses sont un peu plus compliquées.
Mercredi 4 octobre, le tribunal cantonal de Carthage décide de condamner à de la prison ferme un couple « pour atteinte aux bonnes mœurs » mais aussi « outrage à un fonctionnaire public ». 3 mois de prison ferme pour la femme et 4 mois et demi pour l’homme.
L’histoire est celle d’un Franco-Algérien, cadre dans une société marseillaise, qui se rend à Tunis vendredi 29 septembre, explique l’avocat de la défense Ghazi Mrabet sur sa page Facebook. Accompagné d’un groupe d’amis, il se retrouve avec sa petite amie, dans la soirée, dans un restaurant-club de Gammarth (Tunis). Après avoir commandé deux bières chacun, « elle n’en boit qu’une et demie », ils quittent ensemble le restaurant vers 2heures du matin. Ils s’arrêtent, en voiture, sur la route touristique de Gammarth pour discuter, et c’est là que des policiers les interpellent.
Trois policiers étaient en tenue de civils. « Ils leur ont demandé ce qu’un homme et une femme faisaient seuls dans une voiture, de nuit ». Ils leurs demandent leurs documents d’identité. La Tunisienne obtempère, le Franco-Algérien, ne comprenant pas un mot d’arabe, ne répond pas. Les policiers se fâchent, « lui crient dessus de suite, l'insultent et le font descendre de force », toujours selon l’avocat. C’est là qu’il va chercher son passeport dans sa valise, dans le coffre de sa voiture, et le leur remet. Après une fouille minutieuse des bagages, ils sont conduits au commissariat de police. 20 minutes après, on leur annonce qu’ils peuvent rentrer chez eux. L’histoire aurait pu se terminer ainsi, sauf que c’est à ce moment-là qu’elle commence.
Le Franco-Algérien se révolte, jugeant avoir été abusivement interpelé. Il dit aux flics : « Vous pensez que ça va s'arrêter là? Je veux vos noms et vos immatriculations. J'ai l'intention d'en parler à mon ambassade ». Des paroles qui évidemment n’étaient pas du goût des policiers, trop habitués à ce que les citoyens obtempèrent, docilement, lors de ce genre d’interpellation.
Les policiers font rédiger un PV qu’ils leur font signer sous la menace. Le Franco-Algérien ne comprend pas un mot d’arabe. Pourtant, on l’oblige à signer sous peine d’être jeté en prison. Le couple demande à être assisté par un avocat, à faire appel à un proche. On le refuse ce droit et on les insulte. Ils signent le PV et se font transférer en matinée à la maison d’arrêt de Bouchoucha. Ils y restent jusqu’à dimanche avant de comparaitre devant un substitut du Procureur un dimanche matin, à 9h. C’est là qu’ils prennent connaissance des charges qu’on leur reproche, à savoir : « atteinte à la pudeur, atteinte aux bonnes mœurs, ébriété sur la voie publique, tapage, refus de se conformer à un ordre et outrage à un fonctionnaire public pendant l'exercice de ses fonctions ». Un mandat de dépôt est émis contre les deux.
Trois nuits en prison, l’homme à la prison civile d'El Mornaguia et la femme à la prison des femmes de La Manouba. Mercredi 29 septembre, la juge du tribunal cantonal de Carthage les auditionne et le Franco-Algérien est assisté par un traducteur. Tous les deux nient les faits mais reconnaissent avoir bu « une petite quantité d’alcool », explique l’avocat.
La juge finit par les condamner à de la prison ferme : 3 mois pour elle, 4 mois et demi pour lui. Chacun des deux écopera de 2 mois pour atteinte à la pudeur et de 15 jours pour refus d'obtempérer à un ordre. On ajoutera, à la peine de la Tunisienne, 15 jours de détention pour état d'ébriété et 2 mois pour le Franco-Algérien pour outrage à un fonctionnaire public et atteinte aux bonnes mœurs.
D’un simple contrôle d’identité, le couple est condamné à de la prison ferme. L’opinion publique s’indigne, les appels à s’embrasser en public s’organisent et les dénonciations se font nombreuses. S’agit-il d’une simple histoire d’arrestation abusive pour un gentil baiser de rien du tout ? Selon les faits délivrés par l’avocat de la défense, ceci est loin d’être le cas. Rien n’indique par ailleurs qu’il y a effectivement eu un baiser, prétexte intenté par les foules afin de crier à un étau qui se resserre sur les libertés individuelles et à une « police religieuse » de plus en plus active.
Il n’est pas rare qu’un simple contrôle de papiers finit au poste. Les policiers ne sont certes pas connus pour leur diplomatie et il est fréquent que le ton monte.
Dans cette affaire, les vices de procédures « se ramassent à la pelle », note l’avocat de la défense. Le citoyen franco-algérien signe un PV sans en comprendre le contenu, alors qu’il avait clairement mentionné ne pas parler un mot d’arabe. Il est privé de l’assistance d’un avocat et même d’un simple coup de fil à un membre de sa famille. La comparution devant le Procureur se fait un dimanche matin. Il s’agit donc bien de pratiques abusives d’une police qui bafoue les procédures d’arrestation et ne respecte pas les droits des citoyens et d'une justice qui n'est pas du tout gênée par un dossier visiblement vide et des vices de procédures à n'en plus finir.
En effet, le code pénal permet aux citoyens tunisiens de se faire représenter par un avocat, et ce dès leur interpellation. Grâce à un amendement de l’article 13 du Code des procédures pénales, entré en vigueur le 1er juin 2016, la période de détention est de 24 heures renouvelable une seule fois pour les délits et un avocat pourra accompagner et assister son client, dès son interpellation.
Du côté de la loi française, un citoyen français n’a pas le droit de refuser de se soumettre à un contrôle de papiers dans la rue. En cas de refus, il encourt une peine de 3 mois de prison et de 3.750 euros d’amende. Lors des contrôles d’identité, on leur recommande souvent de « rester polis », en toute circonstance, et ce même lorsque les policiers ou gendarmes sont agressifs, sous peine de voir des procédures d’outrage ou de rébellion engagées à leur encontre. La règle de « la sécurité passe avant la politesse » trouve sa place autant en France qu’en Tunisie où l’état d’urgence reste encore en vigueur.
Si en France, dans la pratique, aucun contrôle de papier ne peut être qualifié de « illégal », chaque policier est, en revanche, obligé de porter son insigne pour prouver son identité, selon le code de déontologie des forces de l’ordre. Une pratique en vigueur depuis 2014 et qui sert à protéger les citoyens et à délivrer « un message de confiance ». Ceci n’est pas le cas en Tunisie et le Franco-Algérien a eu la « naïveté » de croire le contraire.
« Une affaire montée de toute pièce, dénonce l’avocat de la défense. Une machine de l'enfer est mise en place. Une machine dont la police est le principal acteur trainant avec elle une justice dépassée, conservatrice, d'une autre époque. Une justice qui viole souvent les textes de loi et, au meilleur des cas, finit par user le justiciable. Ce même justiciable ne demande pas grand-chose. Il veut tout simplement avoir à bénéficier de son droit ».
Il est aisé pour les forces de l’ordre de détourner les dossiers d’abus policiers en des affaires de mœurs. Une frange de la société tunisienne, conservatrice et pudique par tradition, n’oserait défendre une affaire où les mœurs sont en cause. Ce genre de violation de la loi n'est certes pas anodin et ce genre d’affaires, loin d’être rare. Idem pour les arrestations d’homosexuels auxquels on fait pratiquer des tests anaux pour simple délit de faciès, ou de femmes seules au volant qu’on accuse d’ébriété et qu’on fait culpabiliser avec des reproches de « mœurs légères ».
S’agit-il d’un simple fait divers ? Pas si sûr. Ce genre d’incidents fâcheux est révélateur d’une situation où l’on défend bec et ongles des lois qui ne sont pas toujours respectées dans les faits. Mais aussi d’une police « toute puissante » et d'une justice « aveugle » qui n’ont, souvent, que faire des droits citoyens.
Les deux condamnés ont fait appel de leur jugement. Une audience en appel aura lieu dans les prochaines semaines et pourrait bien, déboucher sur une libération face à un dossier tout simplement vide…
Synda TAJINE