ITES : Plus des trois quarts des Tunisiens consomment des produits du marché parallèle
Depuis 2011, aussi bien la Tunisie que la Libye ont été secoués par des révolutions plus ou moins violentes. Conséquence immédiate de l’absence de sécurité et de la précarité galopante des populations : le développement du commerce parallèle et de la contrebande entre les deux pays. C’est ce phénomène que l’Institut tunisien des études stratégiques a choisi d’explorer dans un rapport rendu public le 21 novembre 2017.
La contrebande en Tunisie est un phénomène néfaste qui a explosé depuis la révolution de 2011. Cependant, son explosion n’est pas uniquement due à une négligence sécuritaire mais elle est aussi due à des facteurs socio-économiques. Quand on parle de la contrebande et du commerce parallèle dans les zones frontalières, on se doit de mentionner la ligne Tunisie-Libye, pays par lequel transitent également des produits provenant d’Afrique.
Après 2011, ces zones représentaient, de plus en plus, une menace directe pour le pays. En effet, le sud du pays, région pivot de la contrebande avec la Libye, a été le théâtre d’opérations de contrebande de grande envergure. Il s’agit de flux extérieurs illégaux alimentant le marché parallèle, un des principaux problèmes économiques de la Tunisie. L’ITES (Institut tunisien des études stratégiques) est revenu sur les facteurs de développement de la contrebande, ses effets et les éventuelles solutions pour la contrecarrer et limiter ses dégâts.
La contrebande en Tunisie est une activité lucrative pour ceux qui l’exercent, mais qui déstabilise l’économie vu que cela engendre des pertes en recettes pour l’Etat. Les facteurs de prolifération de la contrebande peuvent se résumer en la politique de la réforme structurelle des économies des Etats appliquant les termes des institutions financières internationales prêteuses depuis les années 1970. Ainsi que la nouvelle culture productive de la mondialisation qui s’est répandue à l’échelle internationale. Cette mondialisation a fait des pays du sud un espace de distribution des marchandises des sociétés transnationales bannies dans les pays européens et aux Etats-Unis. Cela signifie que les puissances économiques dominantes ont transformé les espaces frontaliers dans les pays du sud en de nouveaux marchés, ce qui consiste en une stratégie visant à acquérir de l’intérieur les économies officielles des pays du sud.
La contribution de l’économie parallèle dans le PIB mondial est estimée être entre 5% et 35% et environ 300 millions de personnes sont actives dans ce secteur représentant 62% dans les pays de l’Afrique du Nord. Les revenus de ce secteur ont atteint 250 milliards d’euros partout dans le monde et 77,6% des Tunisiens achètent les marchandises du marché parallèle qui contribue à 20% du PIB et emploie 31% de main d’œuvre non agricole.
Ce phénomène ne fait qu’à accroitre le taux de pauvreté, réduire les ressources de l’Etat ainsi que minimiser les chances d’une répartition équitable des richesses qui ne peuvent prospérer que dans le cadre de circuits structurés. En outre, ces marchandises exploitées à travers la contrebande sont à la base des produits subventionnés, ce qui entraine une perte colossale pour l’Etat. Avec un chiffre d’affaires total à la vente de l’ordre de 6,5 milliards de dinars, la contrebande et les importations parallèles représentent entre 15% et 20% du total du flux de marchandises distribué par le commerce interne. Les produits concernés les plus importants sont le tabac, les produits pétroliers, les vêtements et les chaussures, l’électroménager et les produits électroniques.
Face au poids économique et social de ce problème, il est devenu indispensable de trouver des solutions qui doivent nécessairement être multidimensionnelles. L’une des pistes explorées par l’ITES pour contrer ce phénomène est la création d’une une zone de libre échange. En effet, cette zone permettrait aux entreprises des pays touchés par ce phénomène de créer des sociétés industrielles mixtes et de les approvisionner en marchandises produites dans ces pays. Cela permettra également d’effectuer des échanges commerciaux avec des prix référentiels et exonérés de taxes douanières.
La mise en place d’une stratégie de réforme structurelle économique est également préconisée par l’ITES pour contrer le phénomène de la contrebande. Cette stratégie comprend 3 axes qui sont l’ouverture de zones de libre échange sur les frontières de la Tunisie comme Ben Guerdane, la révision des tarifs douaniers de certains produits et finalement la légalisation du secteur informel, qui représente 54% du commerce global, par l’instauration d’alternatives permettant la pratique de ces activités dans un cadre légal et structuré. De plus, le contrôle sécuritaire des frontières n’est plus suffisant pour lutter contre la contrebande puisque ce phénomène s’est même infiltré dans les circuits d’importation officiels notamment au port de Radés et dans les postes frontières classiques.
La contrebande et le commerce parallèle sont des phénomènes multidimensionnels qui impactent le quotidien de chaque Tunisien. Le gouvernement de Youssef Chahed a mis la lutte contre ces fléaux en tête de ses priorités avec un résultat mitigé. En effet, les flux de transit et d’importation sont uniquement limités par la présence sécuritaire et militaire aux frontières. Toutefois, le circuit de distribution et surtout les grandes pontes de ce trafic restent relativement à l’abri et s’adonnent allégrement au blanchiment d’argent à travers plusieurs autres circuits. Par conséquent, il est tout à fait légitime de punir le petit contrebandier de cigarettes ou d’essence, à condition de se montrer tout aussi ferme vis-à-vis des grands contrebandiers qui continuent, à ce jour, de profiter d’une certaine immunité.
Boutheïna Laâtar