Issam Dardouri - Les révélations qui ont ébranlé les députés d'Ennahdha
Issam Dardouri, sécuritaire controversé et président de l’Association de la Sécurité et de la Citoyenneté, a toujours suscité la polémique à travers ses déclarations incendiaires. Les dernières en date ont été faites à l’Assemblée des représentants du peuple. Documents et preuves à l'appui, il a livré un témoignage à la commission d’enquête sur les réseaux d’embrigadement, impliquant des dirigeants d’Ennahdha. Retour sur une audition assez mouvementée.
Des révélations explosives, fracassantes, inédites. C’est ainsi que les analystes ont qualifié le témoignage du sécuritaire Issam Dardouri qui s’est présenté, hier, devant la commission d’enquête sur les réseaux d’embrigadement. Muni d’un dossier contenant preuves et documents, dont certains portaient la mention « confidentiel », le sécuritaire a appelé à être protégé par la loi assurant la protection des lanceurs d’alerte et des dénonciateurs. Sa crainte pour sa sécurité émane, justement, de la gravité des révélations et des accusations qu’il a fournies.
C’est dire qu’il s’agit de la première fois que quelqu’un accuse directement l’une des figures emblématiques du parti islamiste, à savoir, le président de son bloc parlementaire, Noureddine Bhiri, et ce, preuves à l’appui. M. Dardouri a ramené un document portant la mention « confidentiel » daté du 3 décembre 2012, indiquant qu’un ancien ministre de la Justice avait autorisé un prédicateur à prendre contact avec des détenus en prison. Le même ministre avait, selon lui, recommandé de lui accorder toutes les facilités sans connaitre le contenu des prêches. La date coïncide avec l’ère de M. Bhiri au département de la Justice.
Le sécuritaire a, par la suite, enchaîné les révélations en rapport avec l’expédition des jeunes vers les foyers de tension et les défaillances au niveau de l’appareil sécuritaire qui ont facilité la tâche aux réseaux d’embrigadement.
Entre la levée de toutes les restrictions de voyage sur des suspects et l’intervention d’un capitaine en faveur de l’épouse de Abou Bakr Al Hakim, pour qu’elle obtienne un passeport et rejoine son mari en Syrie, ce ne sont pas les exemples qui manqueraient dans son témoignage. Il va même jusqu’à affirmer que ce capitaine n’avait écopé que d’une sanction administrative de 7 jours. Une sanction qui ne s’élève pas au degré de gravité de l’action commise et atteste d’un certain laxisme et permissivité qui entourent ce dossier.
Les révélations ne s’arrêtent pas là, puisque Issam Dardouri affirme que que le colonel major, Hichem Meddeb, ancien responsable du bureau des relations avec le citoyen, avait adressé plusieurs rapports à ses supérieurs, dont notamment le ministre de l’Intérieur, contenant des informations très graves. Ceci lui a valu des pressions subies de la part de hauts cadres sécuritaires. M. Meddeb avait déposé une plainte auprès de la justice et a fourni une liste comportant les noms de 117 terroristes qui sont rentrés en Tunisie à bord d’un vol privé provenant de Turquie. Autre révélation de taille qui fait remonter à la surface les suspicions d’implication de Syphax Airlines, et son propriétaire, Mohamed Frikha dans ce dossier. D’ailleurs, il ne s’agit pas d’une première, puisque la députée et membre de cette commission d’enquête Leila Chettaoui avait, déjà, évoqué le sujet.
Il faut dire que le témoignage de Dardouri n’a pas été de nature à plaire aux députés d’Ennahdha qui se sont retirés de la séance d’audition. Le sécuritaire assure même qu’il a été menacé par la farouche Yamina Zoghlami. « Ce qui a gêné les élus d’Ennahdha c’est que l’un des noms des terroristes cités dans le dossier (Makrem Ben Ayed Ghandri), est celui d’une grande famille du clan islamiste avec un frère actif dans l’un des bureaux politiques d’Ennahdha en Europe. Ceci est un fait ! […]Toutes leurs interventions se sont transformées en accusations et menaces. Sans l’intervention de certains élus et de la présidente de l’Instance on aurait dit qu’on était sous accusations. Aussi l’élue Mme Zoghlami m’a menacé en faisant miroiter le ministère public ! », précise-t-il.
Le cadre sécuritaire a, même, appelé à voir une audience avec le chef du gouvernement, Youssef Chahed, pour lui faire part de certaines informations qu’il détient concernant des affaires de corruption et touchant à la sûreté de l’Etat.
Dans le même contexte, la députée de Machrouû Tounes, Leila Chettaoui, très impliquée dans le sujet, et qui lui a même valu l’éjection du parti de Nidaa Tounes, est revenue sur ce témoignage, considérant que les révélations sont extrêmement graves et menacent la sécurité nationale. En outre, elle a annoncé que les personnes impliquées dans les documents présentés par Issam Dardouri seront convoquées par la commission.
Le parti Ennahdha a, pour sa part, réagi aux déclarations de Dardouri à travers le membre de la commission, Oussama Sghaier. Le député affirme que le sécuritaire qu'il qualifie de « suspect », a tenté d’induire en erreur l’opinion publique via son témoignage. « En entendant Issam Dardouri, on se croirait dans un film de science-fiction. Comment peut-on imaginer un avion privé débarquant 117 terroristes en pleine nature. C’est absurde ! Ces propos portent atteinte à l’appareil sécuritaire et militaire ainsi qu’à la souveraineté de l’Etat. Ce Monsieur, qui a déjà fait de la prison, ne fait que propager les rumeurs et se moque des représentants du peuple. Son témoignage vise, directement, le parti d’Ennahdha et ses manœuvres ne font que diversion sur les véritables réseaux d’embrigadement », souligne-t-il.
C’est dire que depuis la mort du leader de gauche, Chokri Belaïd, plusieurs voix se sont élevées pour accuser le parti islamiste Ennahdha de ce premier assassinat politique. Et les accusations ne se sont pas arrêtées là, puisqu’on incombe à certains dirigeants d’Ennahdha la responsabilité de plusieurs actes terroristes, l’embrigadement des jeunes et leur expédition vers les foyers de tensions. Sauf que personne n’a jamais présenté de preuves concrètes, ni de documents à l’appui.
La question des réseaux d’embrigadement, responsables du nombre record des combattants tunisiens dans les rangs des organisations terroristes, a, toujours, été un sujet tabou. D’ailleurs, l’ancienne députée de Nidaa Tounes et ex-présidente de la commission a payé les frais de son intérêt prononcé pour le sujet. Elle a été, rappelons-le, éjectée de Nidaa Tounes et de la commission. Mais, combattante, comme elle l’est, Leila Chettaoui a réintégré la commission en tant que membre, après avoir rejoint le parti Machrouû Tounes.
Il faut dire que nous avons pris l’habitude de créer des commissions d’enquête pour toutes les affaires qu’on essaye d’enterrer. Cependant, cette commission semble être un peu différente des autres. Alors, à la suite des documents et preuves fournis, pourrions-nous voir les choses bouger pour tirer au clair cette question qui a mis la Tunisie à la tête du classement des expéditeurs de terroristes à travers le monde ?
Sarra HLAOUI