Les élections municipales, ce boulet que traîne la Tunisie !
Après de multiples tractations et un ping-pong acharné de déclarations et d’accusations, ce qui semblait être, de prime abord, inéluctable advint ! Le 18 septembre 2017, l’ISIE l’annonce officiellement : Les élections municipales, prévues pour le 17 décembre 2017, seront reportées. Retour sur le récit d’un énième boulet que traîne la Tunisie depuis la révolution…
« Les élections municipales vont être reportées ! Ceci est une réalité », a déclaré le ministre chargé des Relations avec les instances constitutionnelles et la société civile, Mehdi Ben Gharbia, lundi 18 septembre 2017. Quelques heures plus tard, l’Instance supérieure indépendante pour les élections, annonçait officiellement que les élections municipales ont été reportées, fort probablement, au 25 mars 2018. Un report dû aux vacances au sein de l'Instance, qui n'ont pas pu être comblées dans les délais.
La nouvelle, bien que de première importance, n’est pas une surprise. Cela fait, en effet, des semaines que l’appel devenu rumeur puis certitude, circule. Ce n’est pas non plus la première fois que la tenue des municipales est entravée, par un motif puis un autre. L’adoption de la loi relative à ces élections, avait déjà pris un retard considérable et entrainé la révision du calendrier électoral établi par l’ISIE.
Les échéances électorales avaient été prévues pour le 26 mars 2017, mais c’était sans compter sur les différends entre les groupes parlementaires, notamment autour de la question de la parité horizontale ou l’octroi du droit de vote aux forces armées (sécuritaires et militaires). Finalement, ce n’est qu’au mois de janvier 2017 que la loi est adoptée et les élections annoncées pour le 17 décembre.
Au mois de mai, la démission du président de l’ISIE, Chafik Sarsar, du vice-président et d’un troisième membre, remet sur le métier le dialogue sur les échéances électorales. Les enjeux politiques étant importants, nombreux partis ce sont saisis de l’occasion pour demander le report des municipales, d’autres, la sachant probablement inévitable ont nuancé leurs propos et timidement appelé à leur maintien.
Motif affiché de ce report, la nécessité de combler les vacances au sein de l’Instance. Huit partis politiques ont commencé ainsi à exprimer leurs doutes en ce qui concerne la date de tenue des élections municipales le 17 décembre. Estimant que les conditions nécessaires pour la tenue de ces élections en heure et en date ne sont pas remplies, ils ont jugé nécessaire de les reporter et appelé le président de la République à intervenir en refusant de signer l’arrêté des élections, si toutes conditions ne sont pas réunies, afin de garantir des élections transparentes qui ne seront pas, plus tard, remises en cause.
Ces partis, à savoir Machrouû Tounes (Mouvement du projet pour la Tunisie-MPT), Al Badil Ettounsi, Al Jomhouri, Afek Tounes, le parti Al Watan Al Mouwahad, Parti du Travail National Démocrate, Al Massar et Tounes Awalan ont souligné qu’il est nécessaire de reporter les élections jusqu’à ce que toutes les conditions légales soient remplies, ajoutant que la fixation de la nouvelle date incomberait au gouvernement, selon le consensus qui sera établi avec les différentes parties prenantes.
Ils ont expliqué leur position par les retards enregistrés dans le pourvoi des postes vacants dans la composition de l'Instance, dans la mise en place des tribunaux régionaux administratifs et financiers ainsi que dans l’adoption du nouveau Code des collectivités locales et des textes applicatifs liés, appelant l’Assemblée des représentants du peuple à tenir une séance plénière extraordinaire pour y remédier, dans les plus brefs délais. Les 8 partis trouvaient également inacceptable qu’un Conseil municipal élu puisse être dissous avec un simple arrêté du ministre de l’Intérieur ou du gouverneur de la région, en vertu de la loi de 1975 et ont, en outre, souligné que sur les 5 millions d'électeurs potentiels, 3 millions ne sont pas enregistrés sur les listes électorales. Ils ont toutefois tenu à préciser que si la date des élections venait à être maintenue, ils étaient prêts à y prendre part.
C’est sur ce point particulier, d’ailleurs, que repose toute la polémique. Nabil Baffoun, membre de l’instance avait affirmé, début septembre, que l’instance était prête, techniquement et logistiquement, pour la tenue des élections municipales à la date fixée. Il avait assuré que le nombre des inscrits sur les registres électoraux a atteint les deux tiers de la totalité des électeurs. « C’est un taux respectable correspondant aux normes internationales. Toujours est-il, il est très difficile d’inscrire tout le monde, d’autant plus que l’opération est volontaire. Pour pouvoir inscrire toute le monde, il fallait opter pour l’inscription automatique, or ce n’est pas le cas », avait-il souligné.
Nabil Baffoun avait, en outre, estimé que le report des élections, pourrait accroitre le taux d’abstention, soulignant que les partis politiques ne se sont pas assez mobilisés pour les municipales et devront assumer leur responsabilité à ce niveau. Il a, également, indiqué que le code des collectivités locales peut être adopté par l’Assemblée, s’il y a la volonté politique pour le faire.
Le président de l’ISIE par intérim, Anouar Ben Hassan a précisé, pour sa part, que l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), ne peut soutenir à 100% l’ISIE, et qu’elle n’est pas unanime pour la tenue des élections municipales. Sur la polémique suscitée par un rejet de faute mutuel, il a déclaré accorder tout son respect et sa confiance aux hommes politiques. « Nous entretenons de bonnes relations avec eux. Ils ne sont pas des ennemis de l’ISIE, mais ils représentent des acteurs principaux dans l’opération électorale » avait conclu M. Ben Hassan.
Nombreux observateurs ont, en effet, rendu les partis coupables de ce retard. Ils les accusent de vouloir accuser l’ISIE d’en être la cause alors que ce sont eux qui ne sont pas prêts, fait catégoriquement réfuté par les partis politiques. Il peut sembler, en effet, étrange que toute une Instance, qui se dit de surcroît prête à garantir le bon déroulement des élections, ne puisse en fin de compte reposer que sur trois personnes.
Le député Machrouû Tounes, Hassouna Nasfi, a souligné, à ce propos qu’il est « vrai » qu’il y a une instance indépendante en charge de l’organisation, mais qu’elle travaille actuellement dans des conditions particulières qui ne lui permettent pas de bien préparer le scrutin. « Il y a aussi d’autres freins comme la mise en place de structures régionales liées aux tribunaux administratifs ou encore le vote de la loi des collectivités locales », a-t-il confié aux médias. Du point de vue de M. Nasfi, il y a manque de préparation et on ne peut organiser ses élections en l’absence des dispositions précitées.
Le secrétaire général du MPT, Mohsen Marzouk, a récemment affirmé que le report des élections municipales était inéluctable. Il a expliqué que le décret présidentiel concernant l’appel des électeurs aurait dû être signé le 9 septembre, dans la mesure où les sécuritaires seront aussi concernés par le vote. Argument qui, d’ailleurs, avait rendu prévisible le report des élections aux yeux de l’opinion publique.
« Certaines parties au sein de l’ISIE semblent faire de la politique, il faut rappeler que si nous en sommes à ce point c’est de la faute à l’Instance, puisqu’elle a enregistré des démissions qui vont contraindre l’ARP à tout mettre de côté pour se concentrer sur une solution à trouver, et très vite, pour l’Instance » avait précisé Mohsen Marzouk accusant au passage Nabil Baffoun, de défendre ses propres intérêts en affirmant que l’appel aux électeurs doit se faire à la date du 17 septembre.
« Il parle ainsi, car si les vacances au sein de l’ISIE ne sont pas comblées avant le 15 septembre, il devra quitter l’Instance » a précisé le SG du MPT, estimant que l’ISIE accuse à tort les partis politiques de vouloir à tout prix reporter les élections, prétextant du fait qu’ils ne soient pas prêts, alors que c’est à elle qu'incombe la faute. Résultat des courses, que ce soit la faute des partis ou de l’ISIE, le fait est là ! Les élections ont été reportées pour le 25 mars 2018.
Evidemment, il va sans dire que dans un cas comme dans l’autre, c’est le citoyen, qui se retrouve condamné à attendre sept ans et plus pour jouir d’un environnent de vie meilleur. Le bureau de l’Assemblée des représentants du peuple a vite fait de tenir ce 20 septembre une séance plénière consacrée au pourvoi des vacances au sein de l’Instance supérieure indépendante pour les élections. La magistrate, Najla Brahem, a été élue en tant que membre de l’ISIE dans la catégorie des juges administratifs, l’élection du second membre dans la catégorie des professeurs universitaires a été retardée, mais finalement, les députés sont passés au vote. Il reste à élire le président de l’ISIE, si consensus il y a, pour changer !
Myriam Ben Zineb