Le Qatar mis en quarantaine, ses amis tunisiens s'insurgent
L’Arabie saoudite et ses alliés ont décidé aujourd’hui de mettre en quarantaine le Qatar. Le pays est accusé, entre autres, de soutenir le terrorisme et d’afficher une évidente complaisance avec l’Iran. Faute de réaction officielle des autorités tunisiennes, plusieurs personnalités de la scène nationale ont commencé à gesticuler défendant ce petit émirat si cher à leurs cœurs.
Lundi 5 juin 2017, l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes Unis, le Bahreïn, l’Egypte et le Yémen annoncent une rupture de leurs relations diplomatiques avec Doha. Une décision à laquelle se sont ralliés, plus tard, la Libye et les Maldives. On reproche à l'émirat de déstabiliser la région en finançant ouvertement le terrorisme mondial, y compris Al-Qaïda, le groupe Etat islamique (Daech) et la confrérie des Frères musulmans. Le Qatar a également été exclu de la coalition militaire qui intervient depuis deux ans au Yémen, sous commandement saoudien. Dans les 24 heures, les frontières aériennes, terrestres et maritimes de ces pays lui seront fermées. « C’est la crise la plus grave depuis 40 ans entre les pays membres du Conseil de coopération du Golfe », peut-on lire dans nombreux titres de la presse internationale.
En Tunisie, la diplomatie locale temporise avant de se prononcer. Rien n’indique à l’heure actuelle que le ministère des Affaires étrangères tunisien interférera dans cette crise. En attendant, sur la scène nationale, les réactions fusent de toutes parts.
Moncef Marzouki réagit avec une rapidité qu’on ne lui connaissait pas pour d’autres sujets brûlants à dimension nationale. Alors qu’il avait promis de ne pas parler de politique sur sa page personnelle durant tout le mois de Ramadan, l’ancien président de la République et fondateur du parti Harak Tounes Al Irada, n’a pas pu se retenir de commenter. Ce ne sera pas la première fois que Marzouki ne tiendra pas parole.
Dans un post Facebook publié ce matin, Moncef Marzouki, farouche défenseur des libertés individuelles et collectives, ne semble pas s’émouvoir outre mesure que l’Etat qu’il défend soit une dictature décomplexée. « Si l’Etat du Qatar n’a jamais affirmé être un état démocratique, pour des considérations qui lui sont propres, il a toujours soutenu tous les mouvements de libération nationale, dont notre révolution », écrit-il ajoutant que « cette bataille est la nôtre ».
L’Etat du Qatar serait, selon lui, visé à cause de « son soutien à la cause palestinienne et son refus de qualifier l’organisation Hamas de mouvement terroriste ». Marzouki voit dans ce ban « une guerre menée contre le Qatar afin de le punir d’avoir soutenu le Printemps arabe et, dans un premier temps, d’avoir créé la chaîne Al Jazeera, dont tous reconnaissent le rôle joué pour libérer les esprits arabes ». La propagande basique opérée par Al Jazeera en faveur de l’islam politique n’est, en effet, pas un secret pour tout observateur de la scène politique internationale, et même locale.
L’ancien président a aussi appelé les autorités tunisiennes à « protester contre cette tentative d’isoler et d’étouffer le Qatar et à demander qu’un terme soit mis aux mesures injustes et agressives qui touchent un peuple pacifique et qui ne feront qu’aggraver les blessures arabes ». Moncef Marzouki n’a pas hésité, dans son post, à se placer lui aussi en victime en soutenant que les attaques subies pendant sa présidence étaient mandatées. « La preuve est qu’elles ont cessé alors que le soutien qatari se poursuit, démentant ainsi le fait qu’il soit en faveur de partis ou de personnes mais qu'il était [proposé] à la Tunisie et sans contrepartie ».
Les positions pro-Qatar de Marzouki ont toujours été franchement assumées. Lorsqu’il était président de la République, il avait même déclaré que « ceux qui insultent ou s’attaquent au Qatar seront mis devant leurs responsabilités ».
Les mêmes termes sont retrouvés dans d’autres réactions. Celle de Rached Khiari, directeur du site d'information islamiste, Al Sada, par exemple, qui a publié aujourd’hui un post qui reprend la même logique. « Suite à l’instigation de l’état sioniste des Emirats, l’Arabie Saoudite, le régime putschiste égyptien et le Bahreïn décident de rompre toute relation diplomatique avec le Qatar ».
Une autre réaction enflammée vient de Slim Ben Hamidène. L’ancien ministre des Domaines de l’Etat a appelé, ce matin sur sa page sur les réseaux sociaux, l’Etat tunisien à « engager des mesures préventives et de surveiller les déplacements des hommes d’affaires tunisiens aux Emirats arabes complotant contre notre sécurité nationale et impliqués dans des affaires terroristes et putschistes ».
« Que Dieu protège le Qatar et les Qatariotes du danger putschiste et des Arabes sionisés », a-t-il écrit dans une autre publication accompagnant la nouvelle, ce matin.
Pour Mohsen Marzouk, secrétaire général de Machrouû Tounes, cette décision serait tout simplement « prévisible ». Appelé à réagir aujourd’hui, sur Shems FM, il a déclaré : « Plusieurs changements s’opèrent aujourd’hui dans la région, mais aussi dans le monde, concernant des choix faits par plusieurs pays depuis 2010 et d’autres changements arriveront dans le but de contrôler tout soutien à ce qu’on qualifie d'islam politique […] s’il y a un différend entre l’Iran et les pays du Golfe, la stratégie de la Tunisie est de se ranger avec les pays du Golfe ».
Ces « guerres et règlements de compte », ne nous concernent pas, écrit l’ancienne députée à l’ANC Nadia Chaâbane.
L’Arabie saoudite décide, épaulée par des pays alliés, de mettre en quarantaine cet autre pays membre du Conseil de coopération du Golfe en invoquant des « accusations de soutien au terrorisme ». Ironique lorsque l’on sait que les mêmes soupçons pèsent sur l’Etat wahhabite. Cette décision a été prise quinze jours après la réunion des 50 états arabes lors du sommet du Riyad, lors de laquelle le président américain Donald Trump a appelé à l'unité des Arabes face à l'extrémisme.
A défaut d'une réaction officielle tranchée et précise, le ministre tunisien des Affaires étrangères, Khemaïes Jhinaoui, a affirmé à Jawhara FM aujourd'hui que la Tunisie suit avec préoccupation les péripéties de cette crise. « On espère que cette crise sera circonscrite et qu’elle sera dépassée. Le monde arabe connait plusieurs problèmes et on espère que nos frères au golfe parviendront à un consensus pour dépasser leurs différences », a-t-il expliqué. Il ajouté que « la Tunisie ne veut plus de crises et que les pays du Golfe parviendront à un accord eu égard au rôle important qu’ils jouent dans la communauté arabe».