Les enfants tunisiens en Libye, abandonnés à leur sort
Plusieurs enfants seraient actuellement détenus dans les prisons libyennes dans des conditions désastreuses. Si l’observatoire des droits de l’Homme mais aussi la commission parlementaire en charge des Tunisiens de l’étranger crient à la catastrophe humanitaire, les autorités tunisiennes ne confirment pas encore, préférant annoncer le déplacement prochain d’une délégation gouvernementale qui se rendra sur place afin de mettre les choses au clair.
S’exprimant sur Express Fm ce matin du vendredi 17 février 2017, le président de l’observatoire des droits de l’Homme, Mustapha Abdelkebir a affirmé que « plus de 13 enfants, âgés de 2 à 10 ans, sont actuellement détenus dans les prisons libyennes ». « Leurs situations sont désastreuses, et cela est inconcevable ! C’est une cause humanitaire qui ne doit absolument pas être traitée comme un show ! » s’est-il indigné.
Selon l’observatoire, qui affirme détenir des informations relatives à leurs identités mais aussi aux lieux de leur emprisonnement, il s’agit d’enfants dont les parents ont été actifs au sein de réseaux takfiristes et jihadistes. Certains de ces parents auraient été soit emprisonnés soit assassinés et leurs enfants sont laissés pour compte dans un pays à la situation très instable. Parmi ces 13 enfants, cinq ont déjà été transférés dans des centres de protection de l’enfance en Libye. Huit autres demeurent, en revanche, encore incarcérés dans les prisons.
Mustapha Abdelkebir a invité l’Etat tunisien à « intervenir rapidement ». Tout en pointant du doigt un « immobilisme de la part des autorités tunisiennes », il précise avoir contacté, il y a de cela un an, le ministère des Affaires étrangères et la présidence de la République sur ce sujet. « Mais rien n’a été fait !».
Même son de cloche du côté du président de l’association des Tunisiens bloqués à l’étranger. Mohamed Iqbal Ben Rejab, auditionné par la commission des affaires des Tunisiens à l’étranger au Parlement, le 16 janvier dernier, a affirmé que la majorité des enfants tunisiens détenus en Libye sont actuellement incarcérés dans les prisons de Syrte et de Sebrata. Il ajoute, par ailleurs, que parmi ces enfants, au moins 10 d’entre eux sont âgés de moins de 5 ans et que des bébés font également partie des personnes incarcérées. S’exprimant sur Jawhara FM, en septembre 2016, Ben Rejab avait également fait savoir qu’un enfant de deux ans, ayant perdu ses parents dans un raid américain en février 2016, était lui aussi détenu prisonnier en Libye.
Tout en appelant les autorités tunisiennes à « intervenir d’urgence », il a affirmé qu’une correspondance a été envoyée au ministère de la Femme, de la Famille et de l'Enfance mais qu’aucune réponse n’est parvenue, à l’époque, à l’association.
La commission des Tunisiens à l’étranger à l’ARP donne, quant à elle, le chiffre de 15 enfants tunisiens âgés de moins de 6 ans bloqués dans les prisons libyennes. Certains d’entre eux auraient «subi des opérations chirurgicales et dont l’état de santé s’est dégradé ». La présidente de la commission, Ibtissem Jebali, a souligné à Shems FM le 8 février courant, que la commission « suit de près cette affaire » ajoutant que ministre des Affaires étrangères devra être, très prochainement, auditionné afin de s’expliquer sur la situation de ces enfants et les mesures qui devront être prises pour les rapatrier.
La députée d’Al Horra, Khawla Ben Aïcha, également membre de cette commission, ajoute que le Croissant Rouge tunisien collabore avec la Croix Rouge internationale afin de faciliter les interventions et d’engager des pourparlers qui devront servir à la libération des enfants incarcérés.
De son côté, le ministère des Affaires étrangères ne confirme pas encore ces données et ne donne pas encore de chiffres exacts mais se dit, aujourd’hui, prêt à y accorder de l’importance. Khemaies Jhinaoui, s’est exprimé sur la question dans une interview accordée à la TAP hier, dans laquelle il a affirmé qu’une délégation tunisienne se rendra « bientôt » en Libye pour « vérifier la présence d’enfants tunisiens dans les prisons libyennes et les rapatrier ». Une visite qui intervient suite à un arrangement conclu entre la diplomatie tunisienne et le chef du gouvernement d’entente nationale libyenne, Fayez Sarraj, affirme la même source.
Si la question épineuse du retour des jihadistes tunisiens des zones de conflit suscite moult débats et interrogations, celle de la situation des enfants de ces derniers ne semble pas, pour le moment, émouvoir outre mesure.
A l’heure actuelle, le chiffre exact de ces jeunes enfants dont les parents ont été emprisonnés ou même assassinés dans des zones de conflit, ne figure sur aucun document officiel. Leur existence, en revanche n’est certes plus à remettre en cause.Dans des pays comme la Libye ou la Syrie, plusieurs enfants partent avec leurs parents mais se retrouvent seuls après que ces derniers aient participé à des missions jihadistes ou aient été tués par des raids. Certains d’entre eux sont, par ailleurs, emprisonnés dans les mêmes cellules que leurs parents incarcérés en attendant que la situation de ces derniers trouve une issue.
Non seulement la sécurité de ces jeunes enfants, dont la majorité est emprisonnée dans des centres carcéraux réservés aux adultes et dans des conditions plus que précaires, est menacée, mais en plus la question de leur retour en Tunisie est plus que jamais délicate.
« Si ces enfants démunis ne sont pas vite scolarisés de nouveau et pris en charge par l’Etat tunisien, ils représenteront un futur danger pour l’intégrité de la République tunisienne.A 15 ans, ces enfants se transformeront éventuellement en futurs terroristes, il faut corriger l’erreur de leurs parents pour éviter le pire », a souligné Mustapha Abdelkebir.
En plus de leur rapatriement, des défenseurs des droits de l’homme appellent à ce que ces enfants bénéficient de l’encadrement de cellules psychologiques spécialisées afin de tenter de réparer le traumatisme moral qu’ils ont subi après leur séparation avec leurs parents mais aussi leur incarcération loin de leurs pays. Un autre chantier pour les autorités tunisiennes qui se trouvent, aujourd’hui encore, embourbées dans le délicat dossier du retour des jihadistes des zones de conflit.
Synda TAJINE