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Tunisie - Rached Ghannouchi devra-t-il passer le flambeau ?
28/11/2011 | 1
min
Tunisie - Rached Ghannouchi devra-t-il passer le flambeau ?
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Le leader islamiste à la barbe blanche, âgé de 70 ans, a dit adieu à la Grande-Bretagne, où il avait obtenu l'asile politique, le 30 janvier 2011, à peine deux semaines après la fuite de l’ancien président Ben Ali.
Dans le Boeing de British Airways qui le ramènera en Tunisie, ce jour-là, après plus de vingt ans d’exil, il déclare « être surpris par l'ampleur et la rapidité du changement », un changement différent de celui qu’il avait « prévu ». Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha, savoure aujourd’hui sa victoire, ou plutôt celle de son parti, proclamé premier du scrutin de l’Assemblée nationale constituante du 23 octobre.

Le nouvel homme fort du pays, aurait cependant déclaré, au moment de sa venue en Tunisie, vouloir se retirer de la vie politique et ne briguer aucun poste de responsabilité au sein du parti. Le mystère entourant sa possible démission demeure pour l’instant entier. Nul doute cependant quant au rôle qu’il jouera en coulisses, où il pèsera de tout son poids, sur le processus de transition démocratique et de la préparation d’une nouvelle Constitution pour la Tunisie.
L’arrivée au pouvoir du mouvement islamiste a suscité de grandes inquiétudes, non dissimulées, et a fait grincer les dents des laïcs, progressistes et féministes. Loin d’avoir été chaleureusement accueilli par les pays étrangers, ces derniers ont vu dans ce changement, pour le moins inattendu, une menace à leurs relations avec la Tunisie.

Aujourd’hui, la France qui redoutait tant la prise du pouvoir par les islamistes, déclare la nécessité de « faire confiance » aux responsables d’Ennahdha et la volonté de « travailler avec eux ». Le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, aurait téléphoné, il y a trois semaines, à Rached Ghannouchi pour lui transmettre un « message de confiance sans préjugé ni procès d’intention ».

Gordon Gray, l’ambassadeur des États-Unis à Tunis, à également affirmé la « volonté des États-Unis de collaborer avec le gouvernement qui sera démocratiquement élu par les Tunisiens ».



Rached Ghannouchi semble attirer la sympathie des pays voisins. Il a même été invité pour une visite officielle de 3 jours pour rencontrer le chef d’Etat algérien, Abdelaziz Bouteflika. Visite pendant laquelle, il a eu droit à « tous les honneurs » dus à un chef d’Etat, et a rencontré plusieurs hauts responsables algériens. Une visite qui prend une allure officielle et, pendant laquelle, Rached Ghannouchi, se comporte en parfait leader, se prononçant « pour des concertations dans l’intérêt des deux pays et de la région ».

Rached Ghannouchi qui avait été déclaré persona non grata (durant le règne de Ben Ali) par de nombreux pays comme la France, les États-Unis, le Liban, l’Égypte ou encore l’Arabie saoudite, serait-il aujourd’hui devenu fréquentable ?

Certes la « Révolution du 14 janvier» y est pour beaucoup. Mais ce personnage, très médiatisé, a-t-il lui aussi fait sa révolution ?

Les Britanniques semblent, en tout cas, le croire, accordant à Ghannouchi, ainsi qu’à plusieurs de ses compagnons, l’asile politique en 1993, ce qui lui a permis de continuer à diffuser ses écrits sur des sujets autour de la réconciliation de l’Islam avec la démocratie ou encore de la liberté et la modernité.

On dit qu’en exil, Rached Ghannouchi aurait révisé sa stratégie, mais qu’en est-il réellement ?
Depuis le retour de son leader, le mouvement islamiste prétend adhérer aux valeurs des libertés démocratiques et tente de se débarrasser de l’image d’épouvantail « tissée de toutes pièces », par des années d’obscurantisme et de Black-Out médiatique des deux dictatures tunisiennes.
Ennahdha change de ton mais peine à convaincre, ne pouvant donner, pour l’instant, aucune garantie sur sa sincérité. Et les prêches politiques de certains de ses dirigeants stigmatisant certains acquis de la Tunisie moderne et n’atténuant, en rien, les suspicions qui pèsent lourdement sur le mouvement.
Force est de constater que les dirigeants d’Ennahdha ne cessent de cumuler bourde après bourde et de présenter des discours pour le moins troublants et équivoques. Des dérapages dont nous retiendrons les déclarations qui ont attisé les foules, de Souad Abderrahim, indignée de voir aborder le sujet de la légalisation du statut des mères célibataires. Le discours enflammé de Hamadi Jebali en faveur de l’instauration d’un sixième califat. Les propos de Sadok Chourou, en faveur de la « charia-isation » de la constituante.
Ou encore, les dernières déclarations en date de Rached Ghannouchi, dans son article publié dans le magazine saoudien « Koll al Watan », en date du 14 novembre, et dans lequel il glorifie le Cheikh wahhabite « Abdulaziz Ibn Baz », ancien mufti d’Arabie Saoudite, connu pour être un salafiste des plus rétrogrades. Rached Ghannouchi va même jusqu’à déclarer que chaque musulman tunisien « était redevable au Cheikh Abdulaziz Ibn Baz ».

Rappelons que ce cheikh, pour ceux qui l’ignorent, est un salafiste wahhabite, connu par certains pour sa grande piété, mais par d’autres par des fatwas en faveur de l’interdiction de la photographie, de la proclamation de la « rondeur de la terre » comme acte de mécréance ou encore, attestant qu’aucune personne n’a jusqu’à présent foulé le sol lunaire.
Venant d’un dirigeant qui prend l’AKP Turc pour modèle, ces propos, dérangeants pour certains, fantasmagoriques pour d’autres, ne cessent de troubler et de faire poser de réelles questions sur les véritables orientations du parti.
Le porte-parole du parti, Samir Dilou, semble ne pas partager le ton de ces discours « passionnés » et se veut, à chaque parution, rassurant et pragmatique, n’hésitant pas à remettre les propos de ses acolytes « dans leur contexte ».
Un visage différent qui a joué un rôle considérable dans l’apaisement de l’opinion publique, déchaînée suite à certaines déclarations troublantes de nombreux dirigeants d’Ennahdha.

Le 20 janvier dernier, le leader d’Ennahdha avait déclaré vouloir céder la présidence du parti lors d’un congrès prévu pour la fin de l’année, pour laisser la place à « une génération politique plus jeune et plus apte » à diriger le pays. Il assure « ne pas avoir d’ambition pour occuper un poste quelconque au niveau du gouvernement ». Toutefois, il dit vouloir continuer le combat politique « jusqu’à ce que nous soyons sûrs que le changement démocratique soit fait ».

Dans une déclaration faite au journal « Assabah » dans sa version hebdomadaire, en date du 28 novembre 2011, Abdallah Zouari, membre du bureau exécutif d’Ennahdha déclare : « Rached Ghannouchi a en effet, formulé le souhait de vouloir se consacrer pleinement à la recherche et à la réflexion. Dans ce sens, nous pensons qu’il serait souhaitable de lui faire pourvoir un autre poste de responsabilité au sein du parti, ou de l’en dispenser totalement. De telles décisions seront prises, dans le cadre du congrès annuel d’Ennahdha qui était prévu pour le mois de décembre cette année, mais dont les différents événements survenus ont justifié son report». [NDLR : Ce congrès est organisé tous les 3 ans afin de statuer sur les orientations générales du parti].

Certains politologues s’accordent à dire qu’ « au sein même d’Ennahdha, des dissensions s’expriment ». Le parti, loin d’être homogène, possède une aile dure et une aile plus modérée. Qu’en est-il de la tendance Ghannouchi ? Devra-t-elle être laissée sur la touche cédant la place à des visions plus jeunes et moins « tourmentées » par des années de répression et d’exil ? Y’a-t-il une réelle conscience du parti de l’urgence de se « débarrasser » des anciens visages qui lui font du tort et de les remplacer par une génération politique plus jeune et suscitant moins de préjugés ?
Il est encore trop tôt pour le dire…

 

Synda TAJINE

28/11/2011 | 1
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