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Tribunes
Doit-on indemniser les prisonniers politiques et comment le faire?
30/07/2012 | 1
min
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Par Mustapha Mezghani*

Depuis quelque temps, le bruit court que les nahdhaouis veulent se faire indemniser les années passées en prison. La polémique a repris d’autant plus fort depuis la démission de Houcine Dimassi du poste de ministre des Finances et l’évocation d’un projet de loi devant permettre la distribution d’un milliard de dinars aux ex-prisonniers politiques.

Il est certain que les abus, depuis l’indépendance ont été nombreux, et que le nombre de prisonniers politiques est important. Presque toutes les familles tunisiennes en ont connues, que ce soit du temps de Bourguiba ou de Ben Ali, avec les Yousséfistes, les perspectivistes, les islamistes, les communistes,… et bien d’autres. Certains ayant été emprisonnés pour un simple délit d’opinion, pour avoir voulu défendre une position politique ou un avis particulier, sans n’avoir commis aucun délit spécifique, mais pour lesquels un « dossier » en bonne et due forme a été constitué pour masquer cette condamnation en délit de droit commun. Alors que d’autres, dans le cadre de leur militantisme, ont effectivement commis un délit de droit commun voire un crime. Certains ont aussi été jetés en prison sans accusation aucune.

Certains considèrent qu’une telle indemnisation n’est pas du rôle d’un gouvernement provisoire qui a été chargé d’effectuer les opérations courantes du pays en attendant la rédaction de la Constitution. Certains vont jusqu’à considérer que ceci est un abus de pouvoir de la part du parti qui gouverne, et qu’un véritable militant politique ou des droits de l’Homme ne peut se prévaloir d’une quelconque indemnité pour les années passées en prison car il a fait cela par conviction, sans que personne ne le lui demande et que sa rétribution est la chute de la dictature et la libération de la Tunisie. Cet avis a été en premier lieu donné par d’anciens prisonniers politiques, parmi les plus anciens, et plus exactement les militants de gauche, Perspectivistes, Parti Ouvrier Tunisien, ex-PCOT, l’Association tunisienne des prisonniers politiques, qui refusent le principe d’une telle indemnisation et refusent de percevoir une indemnité quelconque même si une telle loi était votée. Après tout ils ont milité par conviction et être indemnisés reviendrait à les considérer comme des mercenaires et non des militants. Demander une telle indemnité, c’est aussi considérer que le peuple entier est complice du régime dictatorial.
D’autres, à l’instar de Cheikh Fathi Boussaâda (d’après une publication sur Facebook) considèrent que pour revendiquer une telle indemnité payée par l’Etat, il faudrait avant tout avoir été chargé d’une mission de la part du peuple, ce qui n’a, à aucun moment, été le cas. Cheikh Boussaâda rappelle d’ailleurs que dans l’histoire de l’Islam, ce genre d’indemnité n’a jamais eu lieu et qu’aucun combattant de l’Islam ne l’a demandé.

Un milliard de dinars serait le montant d’une telle indemnité. Ce montant est colossal et correspond à une contribution moyenne de 100DT par habitant, quel que soit son âge, 0 ou 99 ans, quel que soit son revenu, même s’il n’en a pas, et quel que soit son niveau social. Cela revient à une moyenne de 400 DT par famille. A titre indicatif, un milliard de dinars c’est plus que le montant du Crédit que la Tunisie vient de lever avec la garantie des USA (moins de 700 millions de dinars), ou presque l’équivalent de ce que rapportera la vente des biens confisqués aux Trabelsi et Ben Ali et estimée à 1,2 milliard de dinars d’après Slim Besbès, secrétaire d’Etat aux Finances. Une telle somme pourrait grandement contribuer à l’atteinte des objectifs de la révolution.

Certains considèrent la décision d’une telle indemnisation comme un abus de la part du gouvernement qui est majoritairement issu du parti Ennahdha, parti dont les membres seront les premiers et principaux bénéficiaires. Pour atténuer cela, Mohamed Abbou a tenu à rappeler que cette initiative est une initiative du CPR et que les membres du gouvernement et de l’ANC ne peuvent bénéficier d’une telle mesure car cela reviendrait à s’auto-attribuer des primes et indemnités. En abondant dans le même sens, il faudrait aussi élargir cette exclusion au président de la République, à tous ceux qui ont occupé un poste gouvernemental après le 23 octobre, même s’ils l’ont quitté, ainsi qu’aux ascendants et aux descendants des membres du gouvernement et de l’ANC car de telles indemnisations profiteraient indirectement à ceux qui les auront décidées.

Cette requête ayant été introduite par la Troïka ne pourra qu’être approuvée par l’ANC comme toute autre initiative venant de la Troïka. Aussi serait-il important de discuter des mécanismes de sa mise en œuvre.
Tout d’abord, et comme dans toute forme d’indemnisation, le risque de voir les demandes affluer est important, que ces demandes soient justifiées ou pas. Il est alors nécessaire d’envisager la mise en place d’une commission indépendante qui sera chargée d’étudier ces demandes afin de n’attribuer des indemnités qu’à ceux qui sont effectivement éligibles, c'est-à-dire ont été effectivement emprisonnés pour délit d’opinion et uniquement pour délit d’opinion et non pas tous ceux qui ont été amnistiés, certains l’ayant été par erreur. Ainsi, ne seraient pas concernés les prisonniers de droit commun, même ceux qui ont perpétré des actes criminels dans le cadre du militantisme, à l’instar de ceux qui ont tué ou provoqué des incendies ou lancé du vitriol et défiguré des passants,… ceux-là ne doivent pas bénéficier d’indemnisation car ils ont commis des actes punissables par la loi. Il y a aussi les auteurs de tentatives de coups d’Etat, ceux-là non plus ne doivent pas être indemnisés car considérés comme emprisonnés à juste titre. En bref, la règle générale est : ne peuvent bénéficier des indemnités que les auteurs d’actes que le gouvernement actuel considérerait comme étant des actes de militantismes s’ils étaient perpétrés aujourd’hui et s’engage, dès maintenant, à ne pas punir les auteurs d’actes similaires.

Dans un souci de transparence, cette commission indépendante, des partis et personnes susceptibles de demander une indemnisation, ne prendra pas d’initiative, en ce sens qu’elle n’étudiera que les cas des personnes qui en font la demande d’eux-mêmes et qu’aucun dossier présenté par une tierce personne que le bénéficiaire ne pourra être étudié.
Bien que le dossier présenté doive être étayé et appuyé de justificatifs, son étude passera par une instruction qui fera recours aux archives des tribunaux et du ministère de l’Intérieur, y compris ceux de la police politique, aux auditions de témoignages,...
Il va de soi que, dans un souci de transparence, toutes les demandes reçues seront immédiatement publiées sur un site web de même que les résultats des investigations qui seront rendus publics, que la réponse soit positive ou négative. Cette réponse devra naturellement être dûment justifiée.
Enfin, et juste avant de percevoir son indemnité, il sera demandé au concerné de prêter serment, à la Mosquée Ezzitouna, qu’il n’a jamais participé à/ou commis de crime.
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