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De quels provocations, outrages, humiliations parle-t-on ?
28/12/2017 | 18:43
4 min

 

Que n’a-t-on crié à la provocation, à l’outrage, à l’humiliation concernant le salut aux quatre doigts du président turc Recep Tayyip Erdogan sur le perron du palais présidentiel de Carthage lors de sa visite en Tunisie. Vite nos faiseurs d’opinion ou plus précisément certains d’entre eux ont invité l’opinion publique à monter sur ses grands chevaux pour dénoncer un geste qui porte atteinte à notre souveraineté nationale et à notre dignité. Soyons sérieux.

 

Ce n’est pas par ce geste que le président Erdogan a provoqué, outré ou humilié le pays, si tant est que cela soit vrai, mais par un choix et des propos qui révélaient nos faiblesses et nos lacunes et par certains aspects nos tares.

 

La pire des humiliations ne résident-elles pas déjà dans le fait que le Chef de l’Etat turc ait inclu la Tunisie dans un périple qui l’a conduit au Soudan, d’abord, et au Tchad, ensuite, nous mettant ainsi sur le même pied d’égalité que ces deux pays ? La pire des humiliations ne réside-t-elle pas aussi dans les propos du président turc qui, face au problème du déficit abyssal de la balance commerciale tunisienne avec la Turquie a promis d’accroître de 300 MD supplémentaires les importations turcs de produits tunisiens, et particulièrement de l’huile d’olive que les industriels turcs vont embouteiller et revendre aux asiatiques, aux russes et même aux européens, et qu’il exprime dans la foulée sa volonté d’accroître davantage les échanges commerciaux avec la Tunisie en proposant de réactiver une ligne de crédit de 300 millions de dollars pour l’acquisition de biens turcs ? La pire des humiliations ne réside-t-elle pas également dans cet empressement de notre ministre des Affaires étrangères, en réponse à cette magnanimité turque, qui indiquait, selon l’agence Anadolu, que « la Turquie fait preuve de compréhension par rapport à la situation économique que traverse la Tunisie et dispose de la volonté d’aider la Tunisie à promouvoir ses exportations à destination de la Turquie » ?

 

En fait, la pire des humiliations est celle que nous nous infligeons de n’avoir pas pu tirer profit aussi bien que les turcs de l’accord de libre-échange entre les deux pays alors que cela était largement possible. L’Union douanière de la Turquie avec l’Union européenne permettait à la Tunisie par le biais de l’accord de libre-échange tuniso-turc de contourner les contraintes des règles d’origine imposées par l’Accord de libre-échange Tunisie-Union européenne. Or, la Tunisie n’a pas su profiter efficacement de cet atout.

 

La pire des humiliations est celle que nous nous infligeons en nous voilant la face devant la dégradation de notre capacité concurrentielle. Elle est visible à travers le déficit commercial avec la Turquie. Mais à qui la faute lorsqu’on constate que la Turquie qui en 2013 était le 12e client de la Tunisie à dégringoler au 16e rang en 2016 ? Dans le même temps, la Turquie a maintenu sa 8e position en tant que fournisseur de la Tunisie durant cette période. Cette dégradation de la capacité concurrentielle, à supposer que cette capacité existe, est encore plus alarmante à la lecture du déficit des échanges commerciaux de la Tunisie avec certains pays d’Asie et particulièrement de la Chine. Le déficit commercial du pays avec les trois pays asiatiques que sont la Chine, Taïwan et la Corée du Sud est proprement effrayant. Entre 2011 et 2016, ce déficit a augmenté de 85%, passant de 2,6 milliards de dinars à 4,8 milliards en 2016. A lui seul, le déficit commercial avec la Chine représente plus de 30% du déficit commercial total de la Tunisie en 2016. Dernière donnée en date, sur les 11 premiers mois de l’année 2017, le taux de couverture des importations par les exportations avec la Chine n’atteint pas 2%. Avec Taïwan, il est de…0,3%, alors que le taux de couverture global pour la même période est de 68,3%.

 

Il n’a pas pire humiliation que celle que l’on s’inflige en faisant une fixation sur la déferlante des produits turcs tout en ignorant le tsunami des produits asiatiques car elle rend dérisoire les mesures de limitation des importations turques et rend en revanche impérative une réorientation profonde de la stratégie tunisienne d’exportation.

 

La pire des humiliations que l’on s’inflige est de refuser d’admettre que la Turquie est en train de suivre le chemin de la Chine. De devenir une puissance économique mondiale et non pas seulement régionale.  En 2016, ce pays détenait 1% du commerce mondial. Son objectif est d’atteindre 1,5% en 2023, intégrant ainsi le top 10 des puissances commerciales mondiales. Pourtant, ce pays est revenu de loin. Par deux fois, en 2000 et 2005, la Turquie a fait appel au FMI, avec tout ce que cela suppose comme conditionnalité de la part du Fonds pour lui octroyer un crédit, pour respectivement 4 et 10 milliards de dollars. En 2013, le pays a soldé son compte avec l’institution de Bretton Woods. Nous, nous venons juste de l’ouvrir sans savoir quand nous le solderons.

 

Bonne année, quand même.

28/12/2017 | 18:43
4 min
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Commentaires (11)

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Canalou
| 02-01-2018 18:40
Deja fragilisee par le terrorisme dans le tourisme ,le laisser aller de la troika dans le secteur du patrimoine du phosphate cree apres l independance par nos ingenieurs purs tunisiens ,le terrorisme militaire qui a enecessite des depenses qui auraient du aller a la creation du developpement .tous ces crimes sont restes impunis et tus par nos politiciens .

TATA
| 31-12-2017 20:51
votre évaluation de l'économie turque est trop superficielle, je vous informe que l'économie turque se maintient grâce aux capitaux/investissements étrangers, les crédits à cours-terme et l'installation de producteurs de l'aftermarkt automobile en Turquie!


Il y a eu un boycottage du tourisme turc durant 2017 par les pays européens pour des raisons que vous connaissez (je suppose)! Et la Turquie en souffre!

Si les investisseurs étrangers retirent leurs capitaux et si les producteurs de l'aftermarkt automobile se retirent de la Turquie, ça sera le collapse de l'économie turque!

La Turquie est devenue un pays à risque pour les investisseurs étrangers et risque ainsi une situation socio-économique plus pire que celle de la Tunisie!

kamelbou6
| 30-12-2017 21:45
Le pays va à la banqueroute et nos politiques,nos dirigeants et nos intellectuels ne font rien. Qu'attendons-nous.

HAMMADI
| 29-12-2017 12:26
je partage tout à fait votre analyse , c'est une analyse lucide qui ne porte aucune ambition politique , nos politiques depuis le départ de ben ali n' ont pas cette lucidité , ils devraient prendre l'exemple de la politique d'erdogan , depuis qu'il a pris la turquie en main , son pays avance à pas de géant !!!

chou
| 29-12-2017 09:11
Bravo Houcine pour cette chronique explicite et qui devrait être lu par tous nos politiques et dirigeants ignorants et affamés ! une leçon à bien comprendre et en tirer les conclusions les plus étendues possibles.
encore bravo.

Tounsia
| 29-12-2017 08:30
Merci pour cet article qui resume la situation economique mais qui doit chercher les solutions ? Le gouvernement doit recruter des responsables et des ministres specialistes ,competents et non des personnes necessairement liees aux partis nida ou nahdha .Cette entente partisane ne mene qu'a une impasse.

Forza
| 28-12-2017 20:06
Je dis même que notre déficit avec la Chine dépasse de loin les 4 milliards de dinars (le chiffre officiel). Selon plusieurs sources gouvernementaux et de l'UTICA, le secteur informel représente en Tunisie plus que 50'% de l'économie hors l'écrasante majorité des produits importés par le circuit informel sont des produits chinois donc le vrai déficit doit être dans l'ordre de 8 ou 10 milliards. Le déficit avec la Turquie risque aussi d'atteindre les 4 et 5 milliards pendant les prochaines années vu la faible productivité de beaucoup de nos secteurs et admettons que la grande partie de nos exports est faite pas des sociétés européennes installées en Tunisie et non pas par des champions nationaux (a part quelques exceptions comme COFICAB et TechOne). Pourquoi ces deux pays présentent un danger majeur ? Si on les compare avec la liste de nos autres partenaires (France, Italie, Allemagne, Belgique, Algérie, Libye) on observe les différences suivantes
- La France avec qui nous avons une balance excédentaire, nous envoie en plus 600000 touristes et nous avons 700000 tunisiens au pays qui font plus que la moitié des transferts des tunisiens résidants a l'étranger donc la balance de payement avec la France est largement excédentaire
- La même chose s'applique plus au moins pour l'Italie, l'Allemagne, la Belgique, l'Algérie et la Libye
- La Chine et la Turquie par contre ne sont pas des marchés touristiques (pour le moment en tout cas) et ne sont pas des pays d'accueil pour les tunisiens donc aucune chance de balancer les flux par des transferts en provenance de tourisme ou des TRE
Je ne suis pas un expert des relations commerciales internationales et des contrats de libre échange mais il est clair que le pays doit trouver une solution a cet déséquilibre flagrant avec ces pays sinon c'est la faillite.
Si Ben Achour, on veut que les autres nous respectent donc on doit respecter les autres et je trouve que votre article est arrogant vis-à-vis du Soudan et du Tchad hors l'Afrique est notre chance. Je pense que nous pouvons exporter plus au Soudan et au Tchad que vers la Turquie. LA Turquie veut faire 10 milliards avec le Soudan donc nous on peut faire deux milliards ' agro-alimentaire, médicaments, clinique et santé, enseignement supérieur surtout que nous avons l'avantage de la langue.

Salem
| 28-12-2017 20:02
Un article qui résume les problèmes qu'ont à pour exporter nos produits et qui met le doigt là où ça fait mal.
Certains responsables au gouvernement devrait le lire et l'analyser afin de résoudre ces problèmes, mais on peut toujours rêver car nous sommes le pays de l'immobilisme et du quart monde, en somme une république bananière.

houda
| 28-12-2017 19:34
il faut attendre 2019 pour infiger une defaite humiliante a tous les partis qui existent actuellement e tunisie particuliairement ceux qui sont representès au parlement ils ont assez profiter de la tunisie et pourquoi pas les juger