Non, nous ne sommes pas à vendre !
Quand il est question d’accorder de nouveaux droits à la femme tunisienne, même minimes et symboliques, les réactionnaires bien de chez nous sortent le grand jeu. Côté insultes et accusations d’apostasie, nos amis gardiens de la morale et preux défenseurs des valeurs traditionnelles ne se ménagent pas.
Après le tollé provoqué par l’initiative présidentielle d’instaurer l’égalité dans l’héritage, voici que la suppression de la dot lors du mariage et la possibilité de choisir le nom de famille de la mère, font jaser nos puritains. Certains fâcheux personnages qui ne pointent du nez que lorsqu’une avancée en la matière est proposée, iront même jusqu’à menacer les instigateurs de telles réformes, à leur tête la militante féministe et députée Bochra Belhaj Hmida.
La campagne de dénigrement est donc partie sur la base de rumeurs selon lesquelles la commission des libertés individuelles proposerait, entre autre, l’abolition de l’institution éculée de la dot ou la possibilité pour la mère d’octroyer son nom de famille à sa progéniture. O blasphème ! O sacrilège ! Branle-bas de combat sur les réseaux sociaux. Il fallait encore une fois se mobiliser contre les apostats et protéger l’Islam menacé au plus haut point par ces renégats de droit-de-l’hommistes féministes !
Ce n’est que dans de pareilles situations que la véritable essence d’une grande frange de la population montre son côté obscurantiste et réfractaire à tout changement. A dire qu’une majorité du peuple tunisien n’aspire qu’à un retour aux pratiques de temps révolus où la femme était considérée comme un être de seconde zone, une marchandise qu’on pourrait s’échanger et acquérir (quoique sur ce dernier point les sociétés occidentales ont à leur façon instauré l’objectification de la femme).
L’institution de la dot, devenue avec le temps une tradition plus qu’une « rémunération » conséquente, recèle en elle-même une symbolique de domination sexiste. A l’heure de la signature du contrat de mariage, certaines auront l’impression qu’il s’agit d’un acte d’acquisition. Personnellement, j’ai ressenti cette démarche, purement administrative, comme une humiliation. Non messieurs dames, la femme n’est pas à vendre ! Vous me direz que ce n’est qu’une formalité symbolique, que ce n’est qu’un détail insignifiant. Que nenni !
Il faudra saisir le sens profond d’un tel acte. Dans le Code du statut personnel, l’article 13 dispose que « le mari ne peut, s’il ne s’est pas acquitté de la dot, contraindre la femme à la consommation du mariage ». Après consommation, la femme étant créancière de sa dot, ne peut qu’en réclamer le paiement. La dot est donc une condition sine qua non à la consommation d’un mariage. Mais encore, ceci voudrait dire qu’après le payement, le mari est en droit de réclamer son « dû ». N’est-ce pas là une façon bien pernicieuse de banaliser le viol conjugal (agression somme toute banalisée même dans les milieux progressistes tunisiens). Casquer de l’argent, même de manière symbolique, pour pouvoir consommer le mariage n’est autre qu’un acte d’achat, certes déguisé, de la femme.
Au même titre que la revendication d’une égalité totale dans la tutelle parentale, donner le choix aux parents de faire porter le nom de famille de la maman à son enfant est parfaitement équitable. Certains pays ont adopté cette démarche ou le nom des deux parents est octroyé aux enfants et ça n’a tué personne. Ça rentre dans l’ordre du privé et du choix de la mère et du père…
Alors oui, ce ne sont que des détails insignifiants pour certains, sacrilèges pour d’autres. Toujours est-il que pour provoquer un véritable changement, même infime, pour tout ce qui relève des droits des femmes, il faut faire voter des lois, lancer des initiatives et les mentalités suivront. Ça prendra du temps, ça rencontrera de la résistance, mais les initiatives sont là et le train est en marche…