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Chroniques
Affaire BFT : un scandaleux gâchis
20/07/2017 | 18:00
3 min

 

N’ayons pas honte des mots. L’affaire de la BFT (Banque franco-tunisienne) constituera incontestablement le plus gros scandale politico-financier de ces trente dernières années, voire de l’histoire économique du pays. C’est l’histoire d’une des premières opérations de privatisation depuis l’indépendance dont on ne connaîtra pas de sitôt l’épilogue, mais dont l’enjeu financier est devenu, au fur du temps, considérable.

 

Tout commence au milieu des années 1980. Financièrement aux abois, l’Etat décide de privatiser une banque, qu’il a nationalisée au début des années 1960, par une augmentation de capital totalement dédié à un partenaire privé. ABCI Investment limited, holding financier appartenant à un tunisien, Abdelmajid Bouden, est choisi par les pouvoirs publics.

Dès sa prise de fonction, il agace ses nouveaux pairs. On raconte qu’au cours d’une réunion des PDG de banques avec le gouverneur de la Banque centrale, le personnage leur aurait déclaré qu’ils ne pouvaient prétendre être des banquiers car, ce n’est pas avec leur argent qu’ils font fonctionner leurs établissements. Il agacera les pouvoirs publics en affirmant qu’il a acquis la banque à une valeur bien supérieure à la réalité. Il énervera au plus haut point les tous puissants dirigeants de la Société tunisienne de banque (STB), en affirmant que la société-mère a lesté les comptes de la BFT en lui refilant une bonne partie de ses créances. La goutte qui fit déborder le vase, c’est lorsqu’il réclama officiellement d’être indemnisé.

 

Commence alors un véritable bras de fer juridique entre l’Etat et Abdelmajid Bouden. Bras de fer c’est beaucoup dire. Il s’agit plutôt du pot de fer contre le pot de terre. Bouden en verra de toutes les couleurs : Blocage de fonds investis, poursuites judiciaires pour infraction à la législation de change, condamnation pénale. Il quittera le pays pour éviter la prison, mais ne lâchera pas prise. C’est ainsi qu’il internationalisera le litige en portant  l’affaire auprès des tribunaux britanniques du fait que ABCI est domicilié aux Iles Caïman, paradis fiscal sous tutelle britannique. Cependant, la justice britannique se déclara incompétente.

Qu’à cela ne tienne. En 2004, il saisira le Cirdi (Centre international de règlement des différends relatifs aux investissements), une des institutions du groupe de la Banque mondiale aux côtés de la BIRD, de la SFI et de l’AMGI, dont la mission est la conciliation et l’arbitrage pour régler les différends relatifs aux investissements internationaux. En 2007, un tribunal se réunit et écoute les parties.

 

Dans l’attente qu’il rende son verdict, l’Etat tentera de revendre la BFT. Deux appels d’offre n’enregistreront aucun prétendant. Il tentera ensuite la cession de gré à gré, en vain. Durant tout ce conflit, la BFT, dirigée par un administrateur judiciaire, subira la prédation du clan Ben Ali-Trabelsi. Sa situation financière se dégradera à un tel point qu’il a fallu solliciter d’autres banques publiques pour renflouer ses fonds propres et lui éviter la faillite. On parle de la mobilisation d’une enveloppe de 150 MD.

 

En février 2011, le tribunal rend son verdict : le Cirdi est compétent pour juger le litige. Traduire : le vent a tourné en faveur d’ABCI. C’est à ce moment que l’Etat propose une conciliation à l’amiable. L’initiative  a traîné en longueur, pour de sombres raisons. Maintenant, il faudra en payer le prix. Dans son rendu du 19 juillet 2017, le Cirdi a donné raison à l’ABCI ce qui  obligerait l’Etat d’acquitter des dommages et intérêts à l’ABCI et de prendre en charge tous les frais de poursuite et de procédures. On estime le montant du dédommagement entre 400 MD et un milliard de dinars. A cela, il faudrait ajouter les fonds nécessaires pour, ou bien maintenir la banque en activité ou bien procéder à sa liquidation, ce que la STB ne peut absolument pas effectuer, ayant elle-même fait l’objet d’une recapitalisation de plus de 750 MD afin d’assainir son bilan et obéir aux normes prudentielles minimales exigées par la Banque centrale.

 

Aujourd’hui, c’est une véritable bombe à retardement qui est enclenchée. La réunion, jeudi 20 juillet 2017, des représentants de la BCT, du secteur bancaire et financier ainsi que de la Banque mondiale au sujet de la modernisation du secteur bancaire ne semble avoir qu’un seul point à l’ordre du jour : comment désamorcer l’explosif. Un pis-aller est possible : la cession des participations minoritaires de l’Etat dans les établissements de crédits pour dédommager l’ABCI et non plus affecter le produit de ces cessions à des programmes publics d’investissement. Un énorme gâchis.

20/07/2017 | 18:00
3 min
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Commentaires (14)

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A4
| 25-07-2017 11:54
Je vois que vous avez votre propre interprétation. Moi, je n'ai que que décrire une piste de danse en forme de lune, où une étoile danse dans les bras d'un croissant.

Dr. Jamel Tazarki
| 25-07-2017 09:50
Merci pour votre poème, vous êtes vraiment talentueux.

Par contre je vous propose de ne pas nous rendre souvent la tâche très facile afin de trouver le thème/sujet de vos poèmes. ===> Car ainsi vous nous privez d'interpréter votre poésie à notre façon. Je vous donne une citation de Mahmoud Messadi: "lorsqu'on analyse/interprète un poème, on est jamais hors-sujet" ===> chacun de nous peut voir/déduire des choses à sa façon, des choses même auxquelles le poète n'a pas songées!

Au Baccalauréat allemand, 70% des candidats préfèrent faire une analyse d'un poème plutôt qu'une étude de texte, pour la simple raison que "lorsqu'on analyse/interprète un poème, on est jamais hors-sujet"

Je reviens à votre poème ci-dessous, j'aurais aimé deviner par moi-même qu'il s'agisse du drapeau tunisien.

Très Cordialement

Jamel Tazarki


PS: Mon imaginaire trouve habituellement son élan à partir de mes "décodages" de poèmes, je suis un grand consommateur de poésie!

A4
| 24-07-2017 22:11
DRAPEAU ROUGE
Ecrit par A4 - Tunis, le 04 Mai 2013

J'ai peint le ciel en rouge
Un rouge vif couleur sang
Sang neuf, qui vibre et bouge
Bouge et flotte dans le vent

J'ai pointé dessus la lune
Lune de miel au c'ur en blanc
Un blanc doux comme une dune
Dune de sable et rêve d'enfant

Mais voyant mon dessin et toile
Une étoile dedans se glissa
Glissa un croissant et dévoile
Des voiles immenses qu'elle plissa

Ainsi mon beau drapeau prit forme
Forma une tente et m'abrita
M'abrita sous une cape énorme
Enorme comme un sage potentat

Comment pourrais-je penser un instant
Instant de faiblesse ou de mauvais choix
Choisir la bannière noire de Satan
Satan la haine, sans issue ni voie ?

De retour à mon étrange étoile folle
Folle et agile avec ses cinq petits doigts
Dois-je vous décrire la scène la plus drôle
Drôle et même insolite qui s'offrit à moi ?

Je l'ai vue, je le jure au détour d'un regard
Regardant son croissant en héros d'opéra
Opéra deux pas sûrs, avança avec art
Et artiste comme il est, il lui ouvrit les bras !

Dr. Jamel Tazarki
| 22-07-2017 15:48
Merci pour votre feedback,
Je n'ai pas l'intention de défendre qui que ce-soit!

Je suis mathématicien et franchement j'ai un très grand problème avec la logique juridique à la tunisienne (qui n'a rien à voir avec le plus élémentaire bon sens, ni même avec la justice telle que la conçoit le sens commun). ===> D'où la grande frustration du peuple tunisien face à certaines décisions de justice!!!!

Vous écrivez ci-dessous : "Le second point troublant est l'origine des fonds de Bouden [---], et cela pose aussi des problèmes sur la recevabilité du dossier par le CIRDI' ===> Je suis désolé de vous le dire, mais vous mélangez tout !

Je reprends votre Exemple d'Ennakl (dans l'autre sens) : Imaginez qu'Ennakl vend intentionnellement/Consciemment une voiture neuve avec un bloc moteur légèrement fissuré à un cambrioleur de banques! ===> Ce n'est pas parce que le client est un cambrioleur de banques que l'on justifie (innocente, acquitte, excuse) l'acte criminel d' Ennakl.


Je reviens à votre texte : ce n'est pas parce que l'on a des doutes sur "l'origine des fonds de Bouden" que l'on justifie (acquitter, innocenter, excuser) le fait que "la STB a lesté à la BFT des créances carbonisées [comme vous le précisez ci-dessous]. "


Encore une fois, Je n'ai pas l'intention de défendre qui que ce-soit, mais je suis convaincu que la STB et l'Etat tunisien sont très mal conseillés !


Très cordialement

Jamel Tazarki

A.LAHBIB
| 22-07-2017 14:11
Pourquoi aura-t-il fallu attendre la révolution de" jasmin" pour que les tribunaux tunisiens reconnaissent la compétence du CIRDI pour connaitre d'un litige qui date de 1980.
Pourquoi aura-t-il fallu attendre la révolution du "jasmin" pour que l'État tunisien baisse l'échine et se met à négocier avec un escroc notoire qui a arnaqué, par cette opération, l'État tunisien estimant qu'il est en droit de récupérer par la main droite ce qu'il a avancé par la main gauche.
Désormais la révolution du "jasmin" sent le souffre du fait et de la faute d'une nouvelle classe politique dont l'apathie du gain est sans commune mesure.

Professeur de droit
| 22-07-2017 13:45
Bonjour à vous tous, qui prenez la peine de vous intéresser à un vrai dossier "business", touchant les intérets de la Tunisie.
à Alpha1 et slaheddine :
Bourguiba est bien derrière les déboires de Bouden, car sa pensée économique était dirigiste; il était convaincu que l'Etat devait tout faire. Une banque privée était pour lui une insanité. C'est la culture qu'il a laissé à son peuple, et qui fait que 60 ans après, on ouvre les grands yeux lorsque quelqu'un parle de privatiser la STEG ou la SONEDE. Pourtant sous gestion privé, dans tous les pays qui marchent économiquement. Imaginez une banque à l'époque ! Ce n'est pas le clan Ben Ali, c'est tout le pays, qui trouvait Bouden suspect, et toute l'administration, de culture "bourguibienne" voulait sa chute.
les déclarations sur son arrogance ne sont qu'un écran de fumée. Sur ce point, j suis avec Bouden.
à Houcine Ben Achour :
détail important : Il faut savoir que l'arbitrage (justice privée) n'est possible que si les parties concernés l'avait prévu dans leur contrat...ou si la partie poursuivie l'accepte, de son plein gré. Autrement, l'instance d'arbitrage ne sera pas compétente.
Le CIRDI n'a pas plus des pouvoirs que la justice britannique. Il n'est devenu compétent que PARCE QUE les tunisiens d'après 2011, par corruption ou par haine aveugle de la tunisie d'avant, ont accepté d'aller en arbitrage, exposant ainsi l'Etat à une perte certaine. Tant mieux pour Bouden, et tant pis pour l'Etat tunisien.
au Dr jamel Tazarki
Les points troublants de ce dossier :
a) Si la STB a lester la BFT des créances carbonisées (ce qui est certain) , cela ne donne pas de droit évident à Bouden qui est censé avoir acheter, après ses propres audits, et en connaissance de cause. Sa requete, sur ce point précis, est très discutable. Ce n'est pas un particulier qui achète une télé. C'est un acheteur réputé professionnel ( c'est meme la condition de sa qualification pour le rachat). C'est comme si vous vendiez votre petite golf d'occasion à Ennakl, qui revient ,des mois après, vous dire que vous l'avez trompé sur l'état mécanique de la voiture ! sur ce point, je ne peux soutenir Bouden.
b) Le second point troublant est l'origine des fonds de Bouden, tirés d'un compte secret, aux iles caiman. C'est assurément, le seul cas, dans l'histoire économique du monde moderne, où on peut acquérir une banque publique, avec des telles références.
Et cela pose aussi problème sur la recevabilité du dossier par le CIRDI, qui est alignée sur un organisme (la banque mondiale) qui criminalise les paradis fiscaux!!!
Un principe général de droit ( que je ne citerais pas pour ne pas donner l'impression d'accabler Mr Bouden) oblige, pourtant, que soit établi la clarté sur l'origine des fonds, avant d'accepter une action en justice se réclamant de leur spoliation.
Repris en main par des bons professionnels, il n'est pas certain que Mr Bouden aura gain de cause...sauf si ceux qui doivent défendre l'Etat sont ,en réalité du coté de Bouden, et réfléchissent en termes de retro-commission sur l'indemnisation.

Dr. Jamel Tazarki
| 21-07-2017 19:45
que le gouvernement de Mr. Youssef Chehed n'est pas responsable de la situation misérable de notre système bancaire. Il vient d'hériter une situation bancaire où les partis politiques au pouvoir bloquent toute solution intelligente, efficace et rationnelle, et vous savez pourquoi!

Jamel Tazarki

C'est dans l'intensité, la régularité et le renouvellement du débat socio-politique que se forge le gouvernement du peuple. La bonne santé de notre jeune démocratie tunisienne se mesure à ses contre-pouvoirs. Voilà pourquoi l'indépendance des médias, de la justice, l'activité syndicale et la qualité du débat parlementaire concernent tous les Tunisiens.

La plage de Tazarka:
http://www.panoramio.com/photo/37775308

Avec la méditerranée pour dernier terrain vague
Et des vagues de dunes pour arrêter les vagues
Avec une mosquée pour unique montagne
Avec le fil des jours pour unique voyage
Le plat village qui est le mien
Quand les fils de novembre nous reviennent en mai
Quand la plaine est fumante et tremble sous juillet
Quand le vent est au rire quand le vent est au blé
Quand le vent est au sud écoutez-le chanter
Le charmant village qui est le mien.

(je n'ai pas le talent de A4, mais je me suis inspiré d'une très jolie chanson de Jacques Brel)

Dr. Jamel Tazarki
| 21-07-2017 15:38
Si le contribuable devrait indemniser Mr. Abdelmajid Bouden, la faute serait en particulier à Ennhadha et Nidaa Tounes (sans entrer dans les détails).

En effet, Il doit y avoir une gestion des créances douteuses/toxiques ===> Il faut faire la lumière sur les créances douteuses/toxiques, c.à.d. qui a reçu quoi et combien? Et prier/obliger nos milliardaires/millionnaires (les débiteurs) à rembourser leurs dettes.

L'opération est si simple et on pourrait minimiser la part du contribuable.

Très Cordialement
Jamel Tazarki

prof.
| 21-07-2017 15:10
le contribuable va rembourser Abdelmajid Bouden pour une histoire vieille de plus de 20 ans :(

Dr. Jamel Tazarki
| 21-07-2017 14:42
"réclama officiellement d'être indemnisé" est dans le sens qu'il voulait être "indemnisé", ===> C'est normal que Mr. Abdelmajid Bouden voulait être indemnisé, si "la société-mère a lesté [dans le sens d'alourdir] les comptes de la BFT en lui refilant une bonne partie de ses créances [douteuses/ toxiques]."


Vous écrivez aussi: "On raconte qu'au cours d'une réunion des PDG de banques avec le gouverneur de la Banque centrale, le personnage leur aurait déclaré qu'ils ne pouvaient prétendre être des banquiers car, ce n'est pas avec leur argent qu'ils font fonctionner leurs établissements."
===> Mr. Abdelmajid Bouden a Complètement raison et rien n'a changé après la révolution de jasmin, en effet le gouvernement de Mr. Esssid a injecté 6 Milliards de dinars dans notre système bancaire oligarque, et ceci sans aucun résultat de croissance économique. Je pourrais donner toute une liste de donation directe/indirecte au profit d'un système bancaire oligarque.

Je n'ai pas l'intention de défendre Mr. Abdelmajid Bouden, mais si on lui avait vraiment vendu une banque en tournant intentionnellement/consciemment des créances douteuses/toxiques en créances gagnantes, il faudrait l'indemniser.


Ce que je reproche le plus à nos différents gouvernements d'après révolution de jasmin est de ne pas avoir le courage d'ouvrir les grands dossiers de "corruption" de notre système bancaire et de prier/obliger nos milliardaires à rembourser leur dettes (au lieu d'y injecter 6 milliards de dinars au temps du gouvernement de Mr. Esssid).

Très Cordialement
Jamel Tazarki