Accord libyen : Quand la Tunisie fait cavalier seul
Depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi, le chaos règne en Libye. La scission politique a engendré une situation de crise et a donné naissance à des milices qui s’entretuent afin de parvenir au pouvoir ou d’installer leur hégémonie sur les régions du pays voisin. La crise libyenne a également permis la prolifération de groupes terroristes, notamment l’Etat islamique autoproclamé (Daech), qui constitue une menace pour toute la région et en l’occurrence la Tunisie. Œuvrant à ce qu’une solution politique soit trouvée à cette crise, la Tunisie a cherché à rapprocher les points de vue du coté libyen, tout en excluant une quelconque intervention militaire.
C’est dans ce contexte tendu qu’un accord de principe, pour résoudre la crise politique en Libye, a été signé dimanche 6 décembre dans la banlieue de Tunis. Les négociations ont été menées dans le plus grand secret, apprend-on, et ont abouti à un projet d’accord politique. Des délégations représentant les deux autorités rivales libyennes ont paraphé l’accord. Il s’agit, en l’occurrence, du chef de la délégation de l’Assemblée des députés, Ibrahim Fethi Amich (Tripoli), et d u chef de la délégation du Congrès national général (Tobrouk), Awadh Mohamed Abdessadeq.
« C'est un moment historique que les Libyens attendaient, que les Arabes attendaient et que le monde attendait », se sont accordés à affirmer les deux cosignataires du texte. Il faut dire qu’il s’agit là d’une première que des représentants des deux autorités libyennes ennemies puissent se rencontrer sans que cette rencontre ne soit chapotée par de tierces parties. Un accord qui est intervenu «sans ingérence étrangère et sans conditions préalables», soulignent encore les deux factions. L’accord avait été négocié sans la participation de l’ONU, alors que l’organisation pousse depuis des mois à ce qu’une solution au conflit soit trouvée, sous son égide.
Afin de mieux saisir la teneur et la portée de cet accord, il serait avisé de revenir sur les deux formations antagonistes et le long processus de négociations qui s’est enclenché suite aux différends les ayant opposés.
Le Congrès général national se voit remettre les rênes du pouvoir en 2012 dans un contexte de conflits armés et de la montée en puissance d’organismes djihadistes. En 2014, la décision est prise pour organiser un scrutin en vue de désigner une nouvelle assemblée. En date du 25 juin, la Chambre des représentant est élue, mettant ainsi fin au mandat du CGN. Sauf que des membres non réélus du CGN décident de rétablir cette institution, dont le siège sera installé à Tripoli. De ce fait, le Conseil, soutenu par des milices islamistes, notamment Fajr Libya, se pose en rival de la nouvelle Chambre élue. Laquelle Chambre, seule reconnue par la communauté internationale, se verra contrainte de se baser à Tobrouk. Dès lors, le pouvoir en Libye est revendiqué par chacune des deux autorités et le pays compte, désormais, deux gouvernements et deux parlements.
Le processus de négociations menées sous l’égide de l’ONU, censées conduire à la formation d’un gouvernement d’union nationale, se déroule sur plusieurs mois. Un processus qui est jalonné d’échecs : les accords de paix et de réconciliation élaborés seront rejetés à chaque fois par les deux factions. La Tunisie, l’Egypte et l’Algérie ont également décidé de concerter leurs efforts afin de tenter de rapprocher les points de vue du coté libyen, avec pour mot d’ordre : aboutir à une solution politique à la crise en Libye et garantir sa stabilité.
L’accord de principe paraphé entre les parties rivales libyennes à Tunis est présenté comme étant une décision inter-libyenne. Autrement dit, ni la Tunisie, ni les autres pays concernés par la réconciliation libyenne, ni même l’ONU, n’ont pris part à ces pourparlers. Les clauses de l’accord prévoient la formation d’un comité de dix membres : cinq issus du Congrès général national et cinq nommés par la Chambre des représentants. Ils devront se charger d’amender la constitution d’une manière conforme aux spécificités de l’étape présente. Ainsi, les deux délégations se sont accordées pour revenir à l’ancienne constitution de 1951 qui a été abolie par Kadhafi. Autres dispositions, la tenue d’élections parlementaires dans un délai maximum de deux ans, outre la formation d’une commission, également composée de 10 membres représentant les deux autorités, qui se chargeront de désigner un chef de gouvernement consensuel et de deux vice-chefs de gouvernement, et ce dans un délai de deux semaines.
Après la signature de l’accord, l’Egypte a émis des réserves, demandant à ce que les efforts de négociations menées par l’ONU ne soient pas dispersés. Le porte-parole du gouvernement égyptien a exprimé le mécontentement de son pays, appelant, dans ce contexte, à ce que les efforts des Libyens se concentrent sur un consensus élargi, ayant pour base l’accord conclu à Skhirat au Maroc, et ce afin de former un gouvernement d’union nationale. Le Caire ne semble pas apprécier avoir été écarté de ces négociations menées à Tunis. L’ONU n’a pas encore réagi officiellement à cette nouvelle donne, cependant l’Envoyé spécial de l’organisation pour la Libye, Martin Kobler, avait déclaré, quelques jours avant la signature de Tunis, que l’accord politique parrainé par les organisations internationales est la base pour mettre fin au litige libyen.
La Tunisie aurait-elle fait cavalier seul et damé le pion, et aux pays du voisinage concernés par l’affaire libyenne et à l’organisation onusienne ? Une chose est sûre, les parties rivales affirment que cet accord est purement libyo-libyen, alors que le gouvernement tunisien a gardé le silence sur les négociations qui étaient en cours, semblant vouloir prendre de la distance et ne pas intervenir. Par contre, le chef de l’Etat, Béji Caïd Essebsi avait reçu les délégations libyennes au Palais de Carthage. Une rencontre qui s’inscrit dans le cadre des contacts établis par le président de la République avec toutes les parties en conflit en Libye en vue d’en rapprocher les points de vue et de parvenir à une solution politique. Il s’agit-là de la position soutenue depuis son avènement au pouvoir. Toutefois, le président a rappelé à ses convives l’importance de maintenir les attaches avec l’ONU.
Il est vrai que l’incidence des conflits armés en Libye et l’instabilité politique dans le pays voisin, touche de plein fouet la Tunisie, non seulement sur le plan économique, mais surtout sur le plan sécuritaire. La Libye étant devenue un vivier pour les organisations terroristes, constitue une menace de plus en plus accrue pour la Tunisie limitrophe. A nos portes, des centaines, voire des milliers de djihdistes, implantent des camps d’entrainement, où des futurs terroristes s’essayent au maniement des armes de guerre. Il est de fait légitime et vital pour la Tunisie, qu’une solution politique, de préférence pacifique, soit trouvée en Libye. Il faudrait maintenant attendre l’aboutissement de cet accord, le texte doit être voté par les deux parlements pour être mis en œuvre. La réussite ou l’échec de cette initiative en dépendent.
Ikhlas Latif
Crédit photo : AFP