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Chroniques
Votre lecture du Coran ne nous regarde pas !
Par Nizar Bahloul
04/03/2019 | 15:59
6 min
Votre lecture du Coran ne nous regarde pas !

 

Semaine assez calme sur le plan politique. Du genre le calme avant la tempête. Et puisqu’elle a été assez calme, il nous faut (en bons méditerranéens et arabes) créer un problème de toutes pièces autour duquel on se chamaille, on se bagarre, on se tape dessus. Chacun s’occupe comme il peut.

La tempête devrait arriver à la fin de l’été, début de l’automne à l’occasion des élections législatives et de la présidentielle. Une tempête, ça se prépare et quoi de mieux pour préparer la tempête que de sortir les bonnes vieilles recettes qui ont toujours marché, la fibre religieuse. Un excellent filon où les masses ne raisonnent plus avec le cerveau, mais avec le cœur et la passion. En occident, ce filon ne marche plus depuis qu’on a remis l’Eglise à sa place, c'est-à-dire à l’église. On a fini, après des siècles et des guerres sanguinaires innombrables, par se rendre compte que l’Eglise n’a pas à régir les affaires de la Cité et des gens et que la séparation est inéluctable pour atteindre la lumière et pouvoir avancer. Dans nos contrées, ce n’est pas encore le cas et ça ne risque pas de l’être avant un ou deux siècles. Mais ça aussi, ça se prépare.

Ceux qui ne veulent plus qu’une mosquée régisse les affaires de la Cité ont réussi à imposer en janvier 2014 des textes dans la Constitution garantissant l’égalité des citoyens et leur liberté de conscience.

Partant, et puisqu’une constitution ne sert à rien si elle n’est pas suivie de lois et de décrets d’application, un projet de loi a été soumis à l’Assemblée par la présidence de la République, pour établir dans nos lois une égalité de l’héritage entre les citoyens et les citoyennes. Un projet établi sur la base d’un rapport émis par une commission ad-hoc (Colibe) présidée par Bochra Belhaj Hmida et épousant les valeurs égalitaires universelles.

 

C’est suffisant pour faire monter les islamistes au créneau et c’est ce qu’ils font depuis quelques mois après que le rapport de la Colibe a été remis à Béji Caïd Essebsi. Le palier supérieur a été franchi il y a quelques jours quand le projet de loi fut soumis à l’Assemblée.

Au niveau du législatif, les députés sont dans l’embarras. Le camp dit moderniste et laïc fera tout pour que cette loi égalitaire passe. Les conservateurs (dont les islamistes et une infime partie des figures de l’ancien régime) feront tout pour qu’elle ne passe pas. Et quand on dit tout, il n’est pas exclu qu’on use de la menace.

Ainsi, c’est sans surprise que Ali Laârayedh soit sorti dans les médias pour nous dire que l’égalité successorale peut constituer un prétexte pour les terroristes. Le député islamiste d’Ennahdha n’en a cure de l’Etat et de sa suprématie. Ancien condamné pour terrorisme, amnistié en 2011, ancien chef du gouvernement et ancien ministre de l’Intérieur, il sait comment raisonne un terroriste et comment raisonne un homme d’Etat.

 

Le débat en cette année électorale est donc lancé. Plutôt que de parler économie, croissance, programmes d’emploi etc, on cherche, coûte que coûte, à nous convaincre que le texte de l’égalité successorale est contraire aux directives divines. On nous sort des textes coraniques avec des interprétations machistes, fallacieuses et orientées et on nous promet une place en enfer le jour du Jugement dernier. En face, plusieurs du camp laïc opposent d’autres textes coraniques avec des interprétations égalitaires et modernistes pour prouver que la loi de l’égalité successorale n’est pas contraire à la chariâa. Dans ce capharnaüm, le grand public choisira et c’est tout ce dont rêvent les islamistes : des choix faits sur des bases d’idéologie identitaire et religieuse et non des choix sur des bases politiques et idéologiques. Sauf si l’on accepte d’abandonner le projet. C’est tout là où veulent nous mener les islamistes. On est déjà tombé dans le piège en 2011 avec l’épisode de Persepolis, ça suffit !

Ce n’est pas la loi qu’on devrait abandonner, mais la nature même du débat qu’on veut nous imposer. Il faut juste s’éloigner du débat religieux stérile et les différentes interprétations des cheïkhs, des imams, des califes et des Bukhari et Muslim. Rassemblons toutes les interprétations du Coran et mettons-les de côté, on n’a pas à subir de débat religieux. On a une Constitution qu’on doit appliquer, point. On n’a pas à réfléchir si l’égalité successorale est halal ou haram, on s’en moque, ce n’est pas notre sujet. Notre sujet est si l’égalité successorale est constitutionnelle ou pas, point !

Toute autre question est littérature, toute autre question est une diversion pour nous éloigner de la loi. Il ne faut céder ni à leurs menaces terroristes, ni à leurs menaces d’une place en enfer.

Il faut leur opposer une fin de non-recevoir à tout argument et tout débat nous éloignant de cette loi en leur disant que leur interprétation du Coran ne nous regarde pas, ne nous engage pas ! Ils sont libres d’interpréter le Coran comme ils veulent, mais chez eux, pas dans la Cité. S’ils n’ont pas envie d’égalité, ils n’ont qu’à distribuer leurs richesses personnelles de la manière la plus conforme à leurs convictions, mais ils n’ont pas à imposer quoi que ce soit à leurs compatriotes.

Il faut s’attendre ces prochains jours à plusieurs sujets de diversion, allant des provocations immondes relatives au décès de Chokri Belaïd et Mohmaed Brahmi au non-lieu obtenu par les assassins présumés (et filmés) de feu Lotfi Nagdh. Face à de pareils gens, il ne faut pas même pas exclure la possibilité d’un attentat !

Les islamistes sont des pros en matière de victimisation et de diversion. Regardez le dernier fait divers en France relatif à un directeur de la chaîne de cosmétiques Nocibé. Le bonhomme a insulté sur Twitter un islamiste et le voilà accusé d’islamophobie ! En deux temps trois mouvements, les islamistes ont réussi à se victimiser et à fédérer l’opinion publique contre lui. Pourtant, il n’a épinglé que les islamistes et non les musulmans ! Il n’a épinglé que des gens qui épousent la même idéologie que les terroristes de tous bords, à savoir nous imposer, de gré ou de force, la loi religieuse dans la Cité. Peu importe, la tactique a marché ! Mais si cette tactique marche en France où la majorité ne fait pas encore la différence entre l’islamisme et l’islam (ce qui était notre cas en 2011), elle ne doit plus marcher en Tunisie. On se doit de nous opposer aux islamistes en leur rappelant qu’ils ne sont pas les gardiens du temple de l’islam, qu’ils ne sont pas les porte-paroles de Dieu, qu’ils ne sont pas ses avocats et que, justement, le plus grand blasphème est de faire descendre Dieu et son Coran dans la sale arène politique. Il faut laisser Dieu là où il est dans ses cieux et le Coran là où il est, dans les cœurs.

 

Deux mots pour finir à propos de ce qui se passe en Algérie. Je n’ai pas l’habitude de m’immiscer dans les affaires étrangères, nos affaires suffisent. Si je peux quand même me permettre un conseil. Pour comprendre ce qui se passe en Algérie, il faudrait éviter de suivre les chaînes Al Jazeera, France 24 et assimilés qui sont en train de reproduire la même stratégie en 2011 appliquée en Tunisie, en Egypte et en Syrie. Il y a un véritable danger et ces chaînes dirigées par des puissances politiques ont pour mission d’orienter l’opinion publique vers des objectifs géostratégiques. En façade, on parle de libertés de peuples et de démocratie. Dans le fond, il y a des enjeux géostratégiques d’Etats. Ces chaînes sont dirigées par des Etats !

La Tunisie est comme cette viande hachée de hamburger entre la Libye et l’Algérie. Si l’un de ces deux pays croule, la Tunisie le paiera cher ! Bon courage à nos voisins algériens qui ont besoin de beaucoup de tact, de courage et d’intelligence pour préserver leur indépendance. La nôtre (tout comme celle de la Libye) en a pris un sacré coup en 2011, qu’ils en tirent la leçon !

 

Par Nizar Bahloul
04/03/2019 | 15:59
6 min
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Commentaires (22)

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Imed
| 06-03-2019 10:26
@BN: 2 coquilles dans l'article, assez répandues dans l'écriture journalistique.
Après "après que" on utilise l'indicatif et non le subjonctif.
"N'en avoir cure de quelque chose" est faux. Le "en" renvoie à quelque chose dont on a déjà parlé. Ici on devrait dire "n'a cure de". En revanche, la formulation suivante est correcte : "La démocratie, il n'en a cure", "en" renvoyant au mot démocratie qui l'a précédé.

B.N : Merci d'avoir attiré notre attention.

Forza
| 06-03-2019 00:29
Il y'a plusieurs nous dans la société. Des nous qui son pour et des nous qui sont contre et des nous bayna bayn, chacun des nous peut citer des arguments de la constitution pour supporter sa position. On peut procéder au vote et le projet de loi devrait avoir une majorité, Nidaa historique, afek, le front et tayyar sont pour. Est-ce la bonne approche, je ne le pense pas car des changements qui impactent toute la société comme une la question de l'héritage, de la retraite, de l'assurance maladie etc. doivent chercher un large consensus car les majorités peuvent changer et de tels sujets ne devraient pas devenir un match de ping poing.
Maintenant cette initiative va-elle changer la position misérable de la femme tunisienne, le dernier rapport de l'inclusion des femmes classe la Tunisie 155 -ème sur 187 pays et loin derrière le Maroc, je ne le pense pas car l'état dès l'indépendance et au lieu de travailler sur le fond, n'a cherché que des reformes de façade. Les avancées relatives réalisées pour les femmes citadines et issues de familles aisées cachent la misère de millions de femmes rurales et des femmes du prolétariat des villes et des quartiers populaires. Ce projet de loi ne va rien changer dans le vécu de ces millions de femmes même si l'égalité est un droit logique mais la loi ne va rien changer car ces femmes-là n'ont rien à hériter, leurs parents sont pauvres.
Rapport de la banque mondiale sur l'inclusion de la femme :

https://www.huffpostmaghreb.com/entry/inclusion-economique-des-femmes-la-tunisie-classee-2e-dans-la-region-du-maghreb_mg_5c7e619ae4b07fa0e2352feb

soufi
| 05-03-2019 18:06
Si vous êtes un vrai Bahloul vous pourriez être un descendant du grand allama Bouhloul ibn rached disciple de sidi Ali Ibn Zied ou bien du sayeh Bahloul Al Baghdadi; toutefois votre arrière grand père ne pouvait être qu'un sayeh.
Bon revenons maintenant à nos moutons.
Un bon musulman n'a pas besoin de loi pour qu'il y ai égalité entre hommes et femmes. Un bon musulman est avant tout altruiste. Même si le partage de l'héritage est défini par le législateur musulman ceci n'empêche pas que que l'homme hérite à parts égales avec la femme. D'ailleurs si vous consultez le tableau déterminant les parts d'héritage hommes femmes vous allez vous rendre compte que dans la plupart des cas la femme hérite autant que l'homme sinon plus. Et pourquoi la femme hériterait moins que ses enfants ? . Si Bahloul vous qui êtes un grand démocrate proposez un référendum pour consulter le peuple sur ce sujet .
Autre cause que vous pourrez défendre, certaines femmes en tunisie n'héritent même pas, pourquoi ? et ceci est assez répandu chez les islamistes pseudo musulmans.
Wassalamou ala man ittabaa al houda.

Al fehria
| 05-03-2019 15:35
On a besoin des gens comme mr Bahloul 'intelligent', ben Hmida ,mme Grami... au lieu des arnaques qui occupent les médias et perdent les temps de peuple à consommer du poison .Alerte où est nos élites

Jamal
| 05-03-2019 15:22
Vous êtes lamentable, monsieur. Ce n'est pas avec ce genre de discours que l'on pourra élever le niveau et discourir vraiment. Vous provoquez vos interlocuteurs sans plus. Lamentable.

HatemC
| 05-03-2019 14:09
On ne nparle pas du même yassine, celui dont il s'agit en Tunisie c'est yassine ayari ... HC

HatemC
| 05-03-2019 13:11
Ce Yassine n'est pas franc du collier car on peut lui renvoyer dans la gueule son sketch sur les islamistes et beurres et par un hasard il devient leur fervent défenseur...
Savez vous qu'il a reçu des menaces des islamistes à cause de ses prises de positions ?
Et démissionner de la chaine n'est pas une solution pour manifester son désaccord ... HC

librexp
| 05-03-2019 11:26
D'abord Yassine Belattar n'est pas un islamiste et même s'il l'était, est-ce un délit qui mérite d'être insulté publiquement ?
Deuxio, le directeur de Nocibé vient de présenter des excuses publiques à Yassine Belattar qu'il a insulté vulgairement sur twitter.
Pour rappel, Yassine Belatta a annoncé sa démission de LCI sui à des propos polémiques de Zemmour sur cette même chaîne

HAtemC
| 04-03-2019 20:35
Les Ikhwans avaient cette propension à vouloir le pouvoir maintenant et tout de suite quitte à recourir à la violence, les années 80/90 '?'
Les Ikhwans ont compris que le pouvoir dans un pays comme la Tunisie ne s'obtenait qu'en allant aux urnes '?'

Nahdha a compris que la politique des étapes avait son importance '?' mais comment obtenir l'adhésion du peuple ? Facile, en infiltrant les institutions, en menaçant, et surtout en appauvrissant le pays '?' intellectuellement, en détruisant l'école publique au profit de centres d'embrigadement et financièrement en détruisant la classe moyenne '?'

Quand ces critères sont réunis, le discours islamiste devient plus audibles '?'

Nahdha mise sur 2019 pour concentrer le pouvoir absolu en jetant quelques miettes aux dit partis modernistes, qui ne sont en fait que des partis satellites '?' tel Nida de HCE '?'

Nous sommes à la croisée des chemins, Nahdha détruira après 2019 tout système démocratique pour une THEOCRATIE avec la Charia comme modèle '?'

N'oublions pas les PAROLES de Laarayedh à la direction des terroristes ...il ne faut pas les froisser '?'. HC

Ali Baba au Rhum
| 04-03-2019 20:25
conforme à la Constitution? justement ! ces gens là se prévalent de l'article I pour s'opposer à ce projet. et vous serez surpris de voire combien de laïcs les suivront...