Votre lecture du Coran ne nous regarde pas !
Semaine assez calme sur le plan politique. Du genre le calme avant la tempête. Et puisqu’elle a été assez calme, il nous faut (en bons méditerranéens et arabes) créer un problème de toutes pièces autour duquel on se chamaille, on se bagarre, on se tape dessus. Chacun s’occupe comme il peut.
La tempête devrait arriver à la fin de l’été, début de l’automne à l’occasion des élections législatives et de la présidentielle. Une tempête, ça se prépare et quoi de mieux pour préparer la tempête que de sortir les bonnes vieilles recettes qui ont toujours marché, la fibre religieuse. Un excellent filon où les masses ne raisonnent plus avec le cerveau, mais avec le cœur et la passion. En occident, ce filon ne marche plus depuis qu’on a remis l’Eglise à sa place, c'est-à-dire à l’église. On a fini, après des siècles et des guerres sanguinaires innombrables, par se rendre compte que l’Eglise n’a pas à régir les affaires de la Cité et des gens et que la séparation est inéluctable pour atteindre la lumière et pouvoir avancer. Dans nos contrées, ce n’est pas encore le cas et ça ne risque pas de l’être avant un ou deux siècles. Mais ça aussi, ça se prépare.
Ceux qui ne veulent plus qu’une mosquée régisse les affaires de la Cité ont réussi à imposer en janvier 2014 des textes dans la Constitution garantissant l’égalité des citoyens et leur liberté de conscience.
Partant, et puisqu’une constitution ne sert à rien si elle n’est pas suivie de lois et de décrets d’application, un projet de loi a été soumis à l’Assemblée par la présidence de la République, pour établir dans nos lois une égalité de l’héritage entre les citoyens et les citoyennes. Un projet établi sur la base d’un rapport émis par une commission ad-hoc (Colibe) présidée par Bochra Belhaj Hmida et épousant les valeurs égalitaires universelles.
C’est suffisant pour faire monter les islamistes au créneau et c’est ce qu’ils font depuis quelques mois après que le rapport de la Colibe a été remis à Béji Caïd Essebsi. Le palier supérieur a été franchi il y a quelques jours quand le projet de loi fut soumis à l’Assemblée.
Au niveau du législatif, les députés sont dans l’embarras. Le camp dit moderniste et laïc fera tout pour que cette loi égalitaire passe. Les conservateurs (dont les islamistes et une infime partie des figures de l’ancien régime) feront tout pour qu’elle ne passe pas. Et quand on dit tout, il n’est pas exclu qu’on use de la menace.
Ainsi, c’est sans surprise que Ali Laârayedh soit sorti dans les médias pour nous dire que l’égalité successorale peut constituer un prétexte pour les terroristes. Le député islamiste d’Ennahdha n’en a cure de l’Etat et de sa suprématie. Ancien condamné pour terrorisme, amnistié en 2011, ancien chef du gouvernement et ancien ministre de l’Intérieur, il sait comment raisonne un terroriste et comment raisonne un homme d’Etat.
Le débat en cette année électorale est donc lancé. Plutôt que de parler économie, croissance, programmes d’emploi etc, on cherche, coûte que coûte, à nous convaincre que le texte de l’égalité successorale est contraire aux directives divines. On nous sort des textes coraniques avec des interprétations machistes, fallacieuses et orientées et on nous promet une place en enfer le jour du Jugement dernier. En face, plusieurs du camp laïc opposent d’autres textes coraniques avec des interprétations égalitaires et modernistes pour prouver que la loi de l’égalité successorale n’est pas contraire à la chariâa. Dans ce capharnaüm, le grand public choisira et c’est tout ce dont rêvent les islamistes : des choix faits sur des bases d’idéologie identitaire et religieuse et non des choix sur des bases politiques et idéologiques. Sauf si l’on accepte d’abandonner le projet. C’est tout là où veulent nous mener les islamistes. On est déjà tombé dans le piège en 2011 avec l’épisode de Persepolis, ça suffit !
Ce n’est pas la loi qu’on devrait abandonner, mais la nature même du débat qu’on veut nous imposer. Il faut juste s’éloigner du débat religieux stérile et les différentes interprétations des cheïkhs, des imams, des califes et des Bukhari et Muslim. Rassemblons toutes les interprétations du Coran et mettons-les de côté, on n’a pas à subir de débat religieux. On a une Constitution qu’on doit appliquer, point. On n’a pas à réfléchir si l’égalité successorale est halal ou haram, on s’en moque, ce n’est pas notre sujet. Notre sujet est si l’égalité successorale est constitutionnelle ou pas, point !
Toute autre question est littérature, toute autre question est une diversion pour nous éloigner de la loi. Il ne faut céder ni à leurs menaces terroristes, ni à leurs menaces d’une place en enfer.
Il faut leur opposer une fin de non-recevoir à tout argument et tout débat nous éloignant de cette loi en leur disant que leur interprétation du Coran ne nous regarde pas, ne nous engage pas ! Ils sont libres d’interpréter le Coran comme ils veulent, mais chez eux, pas dans la Cité. S’ils n’ont pas envie d’égalité, ils n’ont qu’à distribuer leurs richesses personnelles de la manière la plus conforme à leurs convictions, mais ils n’ont pas à imposer quoi que ce soit à leurs compatriotes.
Il faut s’attendre ces prochains jours à plusieurs sujets de diversion, allant des provocations immondes relatives au décès de Chokri Belaïd et Mohmaed Brahmi au non-lieu obtenu par les assassins présumés (et filmés) de feu Lotfi Nagdh. Face à de pareils gens, il ne faut pas même pas exclure la possibilité d’un attentat !
Les islamistes sont des pros en matière de victimisation et de diversion. Regardez le dernier fait divers en France relatif à un directeur de la chaîne de cosmétiques Nocibé. Le bonhomme a insulté sur Twitter un islamiste et le voilà accusé d’islamophobie ! En deux temps trois mouvements, les islamistes ont réussi à se victimiser et à fédérer l’opinion publique contre lui. Pourtant, il n’a épinglé que les islamistes et non les musulmans ! Il n’a épinglé que des gens qui épousent la même idéologie que les terroristes de tous bords, à savoir nous imposer, de gré ou de force, la loi religieuse dans la Cité. Peu importe, la tactique a marché ! Mais si cette tactique marche en France où la majorité ne fait pas encore la différence entre l’islamisme et l’islam (ce qui était notre cas en 2011), elle ne doit plus marcher en Tunisie. On se doit de nous opposer aux islamistes en leur rappelant qu’ils ne sont pas les gardiens du temple de l’islam, qu’ils ne sont pas les porte-paroles de Dieu, qu’ils ne sont pas ses avocats et que, justement, le plus grand blasphème est de faire descendre Dieu et son Coran dans la sale arène politique. Il faut laisser Dieu là où il est dans ses cieux et le Coran là où il est, dans les cœurs.
Deux mots pour finir à propos de ce qui se passe en Algérie. Je n’ai pas l’habitude de m’immiscer dans les affaires étrangères, nos affaires suffisent. Si je peux quand même me permettre un conseil. Pour comprendre ce qui se passe en Algérie, il faudrait éviter de suivre les chaînes Al Jazeera, France 24 et assimilés qui sont en train de reproduire la même stratégie en 2011 appliquée en Tunisie, en Egypte et en Syrie. Il y a un véritable danger et ces chaînes dirigées par des puissances politiques ont pour mission d’orienter l’opinion publique vers des objectifs géostratégiques. En façade, on parle de libertés de peuples et de démocratie. Dans le fond, il y a des enjeux géostratégiques d’Etats. Ces chaînes sont dirigées par des Etats !
La Tunisie est comme cette viande hachée de hamburger entre la Libye et l’Algérie. Si l’un de ces deux pays croule, la Tunisie le paiera cher ! Bon courage à nos voisins algériens qui ont besoin de beaucoup de tact, de courage et d’intelligence pour préserver leur indépendance. La nôtre (tout comme celle de la Libye) en a pris un sacré coup en 2011, qu’ils en tirent la leçon !