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Visite de Théodore II : Hommage à la richesse identitaire de la Tunisie
05/06/2014 | 1
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Visite de Théodore II : Hommage à la richesse identitaire de la Tunisie
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A l’heure où la Tunisie connaît des changements politiques importants amenant de nouvelles visions de ce que le pays pourrait être, la question de l’identité a été évoquée par certaines parties, prônant la suprématie de l’identité arabo-musulmane des Tunisiens. Réduisant l’identité tunisienne à cette seule dimension, une telle vision omet la diversité des communautés ethniques et religieuses composant l’ancrage identitaire du peuple tunisien, à l’instar de la communauté grecque orthodoxe, qui a longtemps, vécu en Tunisie.

En témoigne la visite de Théodore II, Pape d’Alexandrie et Patriarche orthodoxe de la prédication de Saint Marc et de toute l’Afrique qui a été annoncée, lors de la rencontre qui s’est tenue, en mai dernier, entre le ministre des Affaires religieuses tunisien et l’ambassadrice de Grèce en Tunisie. Anna Corca a tenu, à cette occasion, à saluer la disposition de la Tunisie à accueillir sa Béatitude sur son sol, rendant hommage au peuple tunisien pour l’esprit de tolérance qui le caractérise et pour son respect de toutes les religions et sa consécration du principe du vivre-ensemble.

Le patriarche orthodoxe est natif de l’île grecque, la Crète. Il est élu par le Saint-Synode du Patriarcat d'Alexandrie, en octobre 2004, succédant au patriarche Pierre VII. Figure religieuse emblématique dont relèvent les églises et la communauté grecque orthodoxes partout en Afrique, notamment en Tunisie, il sera reçu par le président de la République, Moncef Marzouki, vendredi 6 juin 2014, et présidera la messe du dimanche qui suit, à l’église orthodoxe grecque Saint Georges.

En passant par la rue de Rome, au centre ville de Tunis, certains remarqueront un édifice religieux avec une forte influence architecturale du style byzantin. Il s’agit de l’église Saint Georges, édifiée sous le règne de Mohamed Sadok Bey vers 1862, sur l'initiative de son Premier ministre Mustapha Khaznadar, lui-même originaire de l’île de Chio en Grèce. L’église accueillait et servait de lieu de culte à la communauté grecque orthodoxe de Tunisie, qui a presque disparu aujourd’hui, rappelant tout un pan de l’Histoire du pays.

En effet, selon une étude¹ publiée par le doyen et professeur d’Histoire contemporaine à la Faculté des lettres, des arts et des humanités de la Mannouba, Habib Kazdaghli, la communauté grecque s’est formée en Tunisie dans le sillage des conquêtes des ottomans au XV ème siècle. S’établissant à la régence de Tunis, une première église orthodoxe grecque a vu le jour en 1645, par le patriarche d’Alexandrie. Ayant le statut de Millet (groupe religieux autonome), accordé par les autorités beylicales, les grecs orthodoxes bénéficiaient de plusieurs avantages par rapport aux autres chrétiens. Le cheminement des Grecs de Tunisie a connu plusieurs mutations jusqu’au départ de la majorité de la communauté, les années suivant la proclamation de l’indépendance en Tunisie.

"Aujourd’hui, ce qui nous intéresse, c’est de montrer la pluralité et la richesse de la Tunisie" déclare M. Kazdaghli lors d’un entretien accordé à Business News. Chaque Tunisien emporte une partie de l’Histoire de son pays : Berbère, juive, romaine, byzantine, turque ou andalouse... La communauté grecque se trouve être l’une des composantes de la mémoire de la Tunisie, « même si elle est infiniment petite, l’infiniment petit au niveau de la richesse civilisationnelle ne peut être mesuré ». Le cas des juifs tunisiens dont il subsiste 1500 personnes en est l’exemple. Cependant, au-delà des chiffres, c’est la symbolique, c’est toute l’Histoire des strates, de ce qu’on appelle les fragments de la belle mosaïque qu'est la Tunisie. Habib Kazdaghli affirme que chaque pièce de la mosaïque a sa place, « si on en enlève une pièce du tableau, une partie de l’identité tunisienne sera oubliée ».

L’idée du voyage entamé par le Patriarche Théodore II, est de concrétiser et raviver cette mémoire ancrée dans l’identité tunisienne. Un regret : le mot méditerranée, n’existe plus dans le préambule de la nouvelle Constitution, pourtant une partie de nos fondements est rattachée à la culture méditerranéenne, souligne M. Kazdaghli.

Par ailleurs, la médiatisation de ce voyage montrera que la Tunisie est entrain de changer mais restera fidèle à son passé. Cette visite présentera une Tunisie en évolution et non pas une Tunisie renfermée avec une identité bloquée mais avec une identité plurielle. Dimanche 8 juin 2014, un prix sera décerné à Habib Kazdaghli en signe de reconnaissance pour ses études publiées sur la communauté grecque orthodoxe. En effet, les nouveaux popes qui arrivent en Tunisie prennent connaissance de leur propre Histoire, à travers ces écrits puisque la communauté a beaucoup diminué.

Le plus important d’après M. Kazdaghli est de garder les liens avec la diaspora à l’étranger, il cite ainsi en exemple le professeur d’Histoire à l'Université de Toulouse, Jacques Alexandroupolos qui ne rate, selon lui, aucune occasion pour développer les échanges avec la Tunisie, ajoutant qu’ « il faut voir combien on a de capital qui se réclame de la Tunisie, c’est ce qui importe, les liens affectifs avec la Tunisie, quel capital, quelle filiation reste avec la Tunisie, c’est le plus important ».
 
Plusieurs communautés ont, indéniablement, joué un rôle dans notre Histoire qui mérite, peu importe leur nombre aujourd’hui, d’être évoqué. Pour Habib Kazdaghli, c’est à la fois important et gratifiant pour des personnes comme l'actrice de cinéma Hélène Katzaras ou l’écrivain Laris Kindynis nées dans la communauté grecque de Djerba, mais aussi pour la Tunisie reconnaissante pour toutes ses composantes. A l’occasion du pèlerinage de la Ghriba ou cette visite de Théodore II, la Tunisie a la chance de montrer ces liens avec son environnement et avec ses minorités. M. Kazdaghli affirme qu’il existe des gens qui se réclament de la Tunisie à Rhodes, en Crète, en Salonique ou à Athènes.

Les églises grecques orthodoxes de Tunis, de Djerba et de Sfax témoignent de ce pan de l’Histoire tunisienne où différentes communautés cohabitaient. L’avènement de l’Indépendance du pays en 1956 a certes mené au départ des Grecs orthodoxes de Tunisie, tout en laissant une empreinte et une image de pluralité culturelle dont les Tunisiens d’aujourd’hui doivent être les défenseurs malgré l’affirmation de la composante arabo-musulmane.

Ikhlas Latif

¹ Habib Kazdaghli, « Communautés méditerranéennes de Tunisie. Les Grecs de Tunisie : du Millet-i-rum à l'assimilation française (XVIIe-XXe siècles) », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 95-98 | avril 2002, mis en ligne le 16 octobre 2004, consulté le 05 juin 2014. URL : http://remmm.revues.org/243

05/06/2014 | 1
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