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Tunisie – Vers la destruction des médias pour laisser place à l'empereur Zitoun
03/09/2012 | 1
min
Tunisie – Vers la destruction des médias pour laisser place à l'empereur Zitoun
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Sans retenue, sans faux-semblant, sans politiquement correct, ni correction, Lotfi Zitoun, tel un animal blessé, a sorti les griffes et plus rien ne semble pouvoir l’arrêter, pas même son supérieur hiérarchique, Hamadi Jebali. Les listes noires des journalistes, Lotfi Zitoun les fait et défait selon sa volonté. Les nominations à la tête des médias publics et des médias confisqués de la famille Ben Ali sont quasi quotidiennes. Lotfi Zitoun l’affirme, il veut instaurer son « empire médiatique », Azzaytoona TV est la première pierre de l’édifice. Il s’agit d’abord de tout détruire, pour construire sur des bases plus solides.

 

Le journaliste Walid Mejri a lancé un pavé dans la mare, hier soir, 2 septembre 2012, en relatant, selon une source proche du pouvoir qu’il prétend digne de foi, le déroulement d’une réunion tenue entre Lotfi Zitoun, Rached Ghannouchi, Hamadi Jebali et d’autres hauts représentants du Mouvement Ennahdha. Selon lui, le chef du gouvernement aurait préféré annuler la nomination de Lotfi Touati à la Direction générale d’Assabah, afin d’apaiser les esprits et de stopper cette guerre entre les journalistes et le pouvoir, ce à quoi Lotfi Zitoun aurait répondu qu’il faudra lui « marcher sur le corps » : « Ce sont une poignée de gamins qui vont finir par s’ennuyer et être mis au pas ! S’il le faut, on leur fabriquera des dossiers avec la police politique, comme le faisait leur maitre Ben Ali et on établira une liste noire chaque jour ! », aurait crié Lotfi Zitoun à l’endroit de Hamadi Jebali. Rached Ghannouchi aurait fini par accorder de nouveau sa confiance à M. Zitoun et à lui donner « carte blanche », à condition qu’il trouve une solution pour Dar Assabah et qu’il ne compromette pas leurs desseins futurs, en première ligne desquels se trouverait Shems Fm.

 

D’autres échos de la Kasbah et de Montplaisir, de sources proches d’Ennahdha, font état de ce bras de fer établi à présent entre Lotfi Zitoun et le chef du gouvernement. La branche dite pragmatique d’Ennahdha, et à la tête de laquelle se trouvent Hamadi Jebali et Ali Laârayedh sont, à présent, confrontés à l’enfant terrible du Mouvement, protégé par le chef incontesté, Rached Ghannouchi. Lotfi Zitoun tiendra tête au ministre d’Intérieur en allant jusqu’à encourager et participer aux manifestations non autorisées organisées par la jeunesse du mouvement. Et Lotfi Zitoun de poursuivre ses accusations tous azimuts contre tous ceux qui osent le défier, le critiquer ou lui tenir tête. Une voiture « fonce » dans la foule de manifestants de Sfax, alors qu’il prononçait ses inlassables diatribes à l’encontre des journalistes et le coupable est vite trouvé : il s’agit des médias de la honte qui ont peur de la liste noire. Interrogé à ce sujet par notre consœur Khaoula Kaâbi et M. Zitoun en profite pour agresser son interlocutrice en accusant la radio pour laquelle elle travaille, Express FM, d’avoir participé à ces complots contre sa personne en diffusant les propos de citoyens qui le desservent ou ne le montrent pas sous son meilleur jour. Seulement Lotfi Zitoun s’est-il déjà montré sous un meilleur jour ? La question mérite d’être posée.

 

Les exactions d’Ennahdha contre les médias noircissent à présent les pages des médias étrangers. « En Tunisie, Ennahda met la presse sous pression », peut-on lire encore aujourd’hui sur les colonnes du quotidien français Libération. « En guerre permanente depuis l’arrivée au pouvoir d’Ennahdha, islamistes et journalistes se défient plus que jamais. Sourde aux critiques, Ennahdha a remplacé tous les directeurs de l’audiovisuel public, sans concertation », y écrit notre consœur Elodie Auffray. Des médias de la honte qui ont peur de la liste noire ?

Il y a quelques jours encore, Reporter Sans Frontières faisait part de ses profondes inquiétudes quant à la multiplication de ces nominations. Depuis neuf mois qu’Ennahdha est au pouvoir, la Télévision nationale a changé plusieurs fois de direction. Les radios nationales et régionales subissent également un fort turnover. Le gouvernement a légalement le droit d’opérer ces nominations, comme il a le droit de le faire pour les administrations, gouvernorats, ou autres institutions, mais la question de la légitimité, pour un gouvernement provisoire qui n’a pas encore mis en place d’Instance de régulation des médias et les mécanismes avec lesquels ces nominations doivent avoir lieu, se pose. Les changements incessants à la tête des médias publics jettent le discrédit sur la volonté d’Ennahdha d’assainir le secteur. Le parti laisse, au contraire, entrevoir une volonté de mainmise sur ce qui est communément admis comme étant le 4ème pouvoir.

 

Ainsi, après l’arrêt brutal des guignols d’Ettounsia et l’arrestation précipitée de Sami Fehri, qui selon des hauts cadres d’Ettakatol, aurait été arrêté pour empêcher Abdelwahab Abdallah d’être libéré, l’affaire de Dar Assabah, ponctuée par celle de Zitouna TV, fait monter d’un cran la tension qui persiste entre le pouvoir et les médias. Le SNJT monte au créneau, Lotfi Zitoun menace, Lotfi Touati appelle la police à la rescousse.

La dernière chronique de Youssef Seddik pour le quotidien Le Temps, dont un paragraphe a été censuré par Lotfi Touati lui-même, faisait état de cette nomination : « Pourquoi ne pas suspendre cette vilaine décision, le temps de lancer un appel à candidature sur projet et nommer une commission de gens du métier pour choisir le meilleur, le plus imaginatif, le plus méritant en vue d’améliorer tirage, distribution et vente ; le plus tendu vers l’avenir dans une Tunisie fatiguée de la pensée unique et des mensonges sur ondes et colonnes ? Et pourquoi empêcherait-on M. Lotfi Touati, jadis promu de l’IPSI, il est vrai, ex-commissaire de police, d’y participer et de concourir tout comme les autres bons citoyens ? »…

 

Au-delà de ces considérations, le cafouillage au sommet, tricéphale, du pouvoir, en rapport avec ces nominations hasardeuses, pose quelques interrogations. Si le CPR brille par son absence et son silence, le parti Ettakatol prend une position ambigüe. Partie intégrante de la Troïka, avec un président, Mustapha Ben Jaâfar, qui vante les qualités de ses alliés à chacun de leur congrès, les responsables du parti tentent de se faire remarquer, notamment pendant les manifestations organisées par les journalistes de Dar Assabah, afin d’afficher leur soutien au SNJT et aux journalistes en question et tout en condamnant les nominations du gouvernement. Rappelons que le parti Ettakatol fait partie intégrante de la Troïka régnante, qui, selon les différentes déclarations des dirigeants du parti, est souvent critiquée à tort, par les médias qu’ils viennent à présent défendre. L’ANC de retour des vacances, s’enquiert également des revendications des journalistes, par l’intermédiaire de Meherzia Laâbidi. Lotfi Zitoun, lui, prépare son empire sur les ruines de ce qu’il s’évertue aujourd’hui à détruire.

 

Monia Ben Hamadi

03/09/2012 | 1
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