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Tunisie – La police est-elle au service du gouvernement ou du citoyen ?
23/07/2012 | 1
min
Tunisie – La police est-elle au service du gouvernement ou du citoyen ?
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La police tunisienne se fait remarquer, ces derniers jours, par ses prises de positions et ses interventions peu ordinaires alors qu’elle est censée être devenue une police dite «citoyenne, indépendante et républicaine».
Avec des agents qui exécutent des descentes dans les lieux de restauration et cafés ordonnant leurs fermetures durant les journées du mois saint de Ramadan et une décision du ministère de l’Intérieur de boycotter les spectacles de Lotfi Abdelli pour cause «d’atteinte à la dignité des agents», les réactions se suivent mais ne se ressemblent pas.
Des faits et gestes qui prouvent que les prérogatives de notre police et autres forces de sûreté sont ambigües et posent plus d’une question. On ne sait plus ce quela police est censée assumer comme responsabilité et assurer comme services. Est-elle là, juste, pour appliquer les ordres des supérieurs ou est-elle, comme on essaie de nous le faire croire, au service des citoyens ?


Ce phénomène s’est amplifié depuisquelques semaines, déjà,avec les interventions «musclées» ayant touché l’actrice Rim El Banna qui a affirmé avoir été agressée, en compagnie de son ami bloggeur Zakaria Bouguerra, par des agents de la police en plein centre-ville de Tunis.
Ces policiers lui reprochaient essentiellement une tenue vestimentaire «indécente». A cette plainte, le ministère de l’Intérieur a déploré la volonté de cette actrice d’instrumentaliserles forces de l’ordre afin de créer le buzz et de faire parler d’elle, un coup médiatique, quoi! Plusieurs témoignages ont, par la suite, fait état des mêmes méthodes employées par les forces de l’ordre à l’encontre d’autres jeunes femmes.

Puis, et dès le premier jour du mois saint de Ramadan, une brigade spéciale a fait irruption dans les restaurants et cafés pour les contraindre à fermer boutiques et à faire évacuer les lieux des clients s’y trouvant.Le porte-parole du ministère de l’Intérieur a alors affirmé qu’il s’agissait d’une application de procédures en vigueur depuis des années déjà.
Or, s’il est vrai que la plupart des restaurateurs et autres cafetiers fermaient, ils faisaient cela de leur propre gré, mais jamais des descentes policières ne les contraignaient à le faire par la force, surtout que la loi ne prévoit rien de tel.
Exception faite des restaurants et cafés touristiques et sous réserve de ne servir que les étrangers, selon des témoignages concordants, uniquement à l’intérieur de ces lieux, l’ouverture de ces endroits aux «non-jeûneurs» ne peut être tolérée, même si aucun texte de loi clair dans ce sens n’est prévu. Il faut tout de même noter qu’il est peu probable que des touristes veuillent s’engouffrer dans ces cafés et restaurants fermés, pour y consommer, dans un bruit assourdissant et un nuage de fumée étouffante!

A partir de tous ces exemples, on voit bien que les forces de l’ordre changent de vocation et se transforment en prêcheurs qui «promeuvent la vertu et préviennent du vice». S’agirait-il, alors, d’une islamisation déguisée de notre police, ce qui serait en dissonance totale avec les slogans souvent prononcés par les agents eux-mêmes, scandant leur citoyenneté etleur indépendance qu’elle soit politique ou idéologique.

Par ailleurs, les forces de sûreté ont annoncé, via le porte-parole de la direction générale de la sûreté nationale, Mohamed Ali El Aroui, qu’elles ne sécuriseront plus aucun spectacle du comédien tunisien Lotfi Abdelli. Raison évoquée de cette décision, les multiples critiques et moqueries adressées par cet artiste à l’encontre des agents de la sécurité et «l’atteinte portée à leur dignité».
C’est ainsi que le spectacle de Lotfi Abdelli, prévu à Nabeul lors du weekend dernier, s’est déroulé sans l’ombre d’un agent de sécurité, ni même des forces de protection civile, malgré la présence massive du public!
Cette décision a suscité l’indignation de Lotfi Abdelli qui a jugé «extrêmement grave» de voir les forces de sécurité réagir de la sorte et saboter ses spectacles uniquement parce qu’il a usé de sa liberté d’expression et qu’il a ironisé à leur sujet. Lotfi Abdelli propose même de recourir à la justice s’il s’avère que, par son humour, il aurait enfreint la loi.
Mais de là à faire prendre des risques à des milliers de spectateurs, c’est une autre paire de manches! Il n’a pas omis, non plus, de préciser qu’il n’y avait aucun problème personnel entre lui et les agents et que même certains de ses «amis policiers» ne cessent de lui adresser des messages de soutien et font preuve d’un esprit sportif par rapport aux plaisanteries les concernant.

Sur le plan strictement juridique, l’avocat de Lotfi Abdelli, présent sur le plateau d’Hannibal TV, hier 22 juillet 2012, a expliqué qu’il s’agit d’une violation à la loi. Citant l’article 5 de la loi n° 82-70 du 6/08/1982, portant statut général des forces de sécurité intérieure, l’avocat a précisé que les forces de l’ordre sont dans l’obligation d’intervenir pour sécuriser les citoyens quels qu’ils soient et où qu’ils soient.
Il a ajouté que, conformément à l’article 41 du code pénal, l’obéissance à quelqu’un qui enfreint la loi, même s’il s’agit du supérieur hiérarchique est un délit en soi, et peut entraîner des poursuites judiciaires, voire des sanctions allant de 6 mois à 2 ans de prison! Autrement dit, si les agents justifient leur attitude par le fait qu’ils ne font qu’exécuter les ordres, ils n’en sont pas moins coupables.

En fait, la police d’aujourd’hui fait preuve de peu de neutralité, s’active pour une cause dans un cas et s’abstient de réagir dans l’autre. Et comme si cela ne suffisait pas pour sombrer dans l’incohérence, les conflits internes ont gagné le corps des forces de l’ordre.
En effet, entre des syndicalistes criant au scandale pour cause d’agression de la part de leurs «collègues» et des agents en colère manifestant devant le ministère, le département de l’Intérieur n’est pas au bout de ses peines.
Issam Dardouri, secrétaire général du syndicat des agents des forces de sûreté de l’aéroport Tunis-Carthage, qui s’est fait arrêter par la brigade criminelle, crie, lui aussi, au scandale!Ce même agent est lui-même accusé d’agression physique et verbale par le blogueur Zakaria Bouguerra. Aux agents qui appellent à un rassemblement dans l’enceinte de l’aéroport, le ministère répond par une interdiction stricte et les menace de poursuites judiciaires…

Naturellement, on ne peut pas oublier le fameux 9 avril 2012, un triste épisode où la police a tenu à appliquer d’une manière assez violente la décision ministérielle d’interdire toute manifestation sur l’avenue Habib Bourguiba. Les militants étaient pacifiques et ne projetaient aucune violence, mais la réaction de la police, ce jour-là, était disproportionnée.

La police tunisienne et plusieurs cadres du ministère de l’Intérieur semblent se trouver dans la tourmente entre appliquer strictement la loi et les décisions (y compris celles liberticides héritées de l’ancien régime) et servir le citoyen-contribuable. On les a vus avec des fleurs le 20 mars et avec des matraques le 9 avril. Cela veut tout dire…


Dorra Megdiche Meziou
23/07/2012 | 1
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