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Rached Ghannouchi et le monstre de Frankenstein « salafiste »
21/09/2012 | 1
min
Rached Ghannouchi et le monstre de Frankenstein « salafiste »
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Par Salah Oueslati*

Certes, Ennahdha n’a pas créé les salafistes en Tunisie. Ces derniers existent bien avant la révolution même si leur nombre était insignifiant. Ils ont été tolérés sous l’ex-dictateur car ils n’ont jamais levé le petit doigt pour le critiquer et encore moins pour le renverser par le jihad. Selon des documents Wikileaks, certains d’entre eux étaient même des indics à la solde de l’ancien régime1.
Inoffensifs sous Ben Ali, ils ont réussi, grâce au financement wahhabite, à occuper des mosquées par la force et, surtout grâce à la bienveillance, voire la connivence d’Ennahdha, à tisser leur toile dans tout le pays. Certains nahdhaouis radicaux, notamment leur leader Rached Ghannouchi, voient dans le renforcement de ce mouvement un instrument pour réaliser le rêve auquel ils n’ont jamais renoncé : l’instauration d’un Etat théocratique en Tunisie. Ghannouchi a signé un pacte qui ne dit pas son nom avec non seulement les salafistes radicaux qui étaient dans les geôles de Ben Ali, mais aussi avec des repris de justice, des criminels dangereux amnistiés dans la foulée et convertis au jihadisme pour constituer une sorte de bras armé ou de milice aux ordres du « chef suprême ».

Sauf qu’il arrive que la « créature » échappe à son « créateur » car, obsédé et aveuglé par son rêve, ce dernier est incapable de voir que celle-ci a opéré sa mue vers une véritable autonomie. Encouragés par l’impunité totale dont ils jouissent même quand ils commettent des actes criminels, les salafistes décident de voler de leurs propres ailes et de défier Ennahdha ou tout au moins ceux de ses membres qui veulent une version light d’un Etat islamiste. Ghannouchi, lui-même, se trouve ainsi dépassé par les événements comme un apprenti sorcier qui a joué avec le feu sans disposer des moyens de l’éteindre. Dépourvu de tout sens politique, M. Ghannouchi se trouve débordé à sa droite par « ses rejetons », oubliant au passage que les radicaux préfèrent l’original à la copie. Il est pris à son propre piège : il ne peut mettre en cause les agissements de ses « enfants », sans renier sa propre stratégie et sa propre légitimité en tant que leader du parti au pouvoir.

Les risques incalculables de l’impunité
L’impunité quasi-totale, dont les salafistes radicaux jouissent sous l’aile protectrice de leur parrain, pourrait avoir des conséquences désastreuses sur l’avenir du pays. Elle permet à ces groupes non seulement de se structurer et d’asseoir leur domination dans la durée, mais aussi de tisser ou d’imposer des allégeances dans les quartiers, voire les régions qu’ils contrôlent. C’est la situation idéale pour recruter de plus en plus d’adeptes et créer à terme des zones de non-droit, à l’instar de certains groupes mafieux. Cette situation conduit à l’affaiblissement inexorable de l’autorité et la légitimité de l’Etat. Le gouvernement qui sera issu des élections de 2013, si celles-ci auront lieu un jour, quelle que soit son appartenance idéologique, aura fort à faire avec ces groupes pour les années, voire pour les décennies à venir.

Un problème nommé Ghannouchi

Les dysfonctionnements flagrants en matière sécuritaire, révélés au grand jour après l’invasion de l’ambassade américaine, montrent que le ministre de l’Intérieur ne tient pas les rênes du pouvoir au sein même de son département et que d’autres tirent les ficelles derrière les coulisses pour ne pas aliéner le soutien des salafistes radicaux. On est en droit de se demander si le ministère de l’Intérieur n’est pas infiltré par des groupes qui obéissent à des ordres autres que ceux de leur propre ministre Ali Laârayedh. Qui d’autre a autant de pouvoir pour jouer ce rôle ?
Ghannouchi n’a jamais renoncé au radicalisme de sa « jeunesse » et n’a jamais abandonné son idée d’instaurer un régime théocratique en Tunisie. C’est pour cette raison qu’il exploite le moindre événement, le tout dernier étant celui du film anti-Islam, pour remettre la question de la Chariâa et l’atteinte au sacré dans la Constitution au centre de l’agenda politique. L’obstination et l’entêtement de M. Ghannouchi à vouloir imposer aux Tunisiens un système contraire à leur tradition et à leur histoire vont conduire le parti qu’il préside, en l’occurrence Ennahdha, à sa perte.
Toute la stratégie imposée par Ghannouchi à ses amis commence à montrer ses limites. Ce dernier n’a pas la vision nécessaire pour comprendre que toute stratégie aussi sophistiquée soit-elle est sujette à des contingences et que certains facteurs imprévisibles peuvent intervenir pour tout déjouer. La ligne rouge est atteinte avec l’invasion de l’ambassade américaine. Le gouvernement Obama a misé sur les islamistes par pragmatisme, dans le but de stabiliser la région et mettre en place ce qui pourrait ressembler à une démocratie. Le soutien politique et financier des Américains au gouvernement Ennahdha s’inscrit dans le cadre de cette stratégie. L’incident de l’ambassade risque de tout remettre en cause y compris la caution apportée par le gouvernement américain pour permettre à la Tunisie d’emprunter sur le marché financier à des taux d’intérêt relativement faibles.

Ghannouchi et la tentation de la stratégie du chaos ?
La situation catastrophique du pays sur le plan social, économique et sécuritaire a un impact certain sur un parti au pouvoir qui a promis monts et merveilles à un peuple dont les attentes étaient au-delà de ce que le pays pouvait offrir. L’affaiblissement inexorable d’Ennahdha et son impopularité auprès d’un nombre croissant des Tunisiens risquent d’amener le leader de ce parti à opter pour une stratégie du chaos. Ghannouchi continue de nourrir l’espoir d’un printemps contre-révolutionnaire islamiste. Un fantasme vécu par procuration grâce à ses « enfants salafistes ». Avec l’instabilité et le chaos qui règnent dans le pays, ces derniers seraient capables de monter en puissance pour créer un mouvement qui prend corps et serait en mesure de s’emparer du pouvoir pour imposer leur idéologie à l’ensemble de la société tunisienne. Ghannouchi deviendrait alors une sorte de « guide suprême », à l’instar de Khomeiny en Iran, un rôle pourtant totalement étranger à la tradition de l’Islam sunnite. Sauf que M. Ghannouchi oublie que la révolution a fait tomber le mur de la peur pour toujours et que le peuple tunisien, qui a fait tomber une dictature policière, ne se laissera pas écraser une seconde fois par une nouvelle forme de dictature. Le leader d’Ennahdha continue pourtant d’agir dans l’ombre pour assouvir ses appétits mégalo-narcissiques au mépris de l’intérêt de tout un peuple qui aspire à la liberté et à la dignité. C’est peut être lui faire honneur que de le traiter de machiavélique. Le penseur florentin n’avait qu’une seule obsession, sauver la cité-Etat de la dislocation et des convoitises de ses ennemis. Pour lui, c’était la raison d’Etat qui primait sur toutes les autres. L’obsession de notre « guide suprême » est, en revanche, guidée par la soif du pouvoir et le rêve chimérique d’un projet politique d’un autre âge. Dès lors, il appartient aux nahdhaouis sincères, épris de justice et attachés à la démocratie, et il en existe, de mettre leur « Cheikh » hors d’état de nuire pour le bien de leur propre parti et, surtout et avant tout, pour l’avenir de leur propre pays.

*Salah Oueslati, Universitaire


1L’auteur tient à préciser qu’il ne s’agit nullement de jeter l’anathème sur tous les salafistes. Ce courant est loin d’être monolithique et tous salafistes ne sont ni violents ni d’anciens repris de justice. Je connais personnellement deux salafistes d’une grande probité et d’une honnêteté sans faille et, même si je ne partage pas leur vision, je sais qu’ils sont mus par des motivations respectables. Ces derniers, et ils ne sont pas les seuls, n’ont jamais eu recours à la violence pour imposer leurs idées. Par ailleurs, personne ne peut reprocher aux salafistes de propager leurs idées car dans une démocratie digne de ce nom, tout un chacun devrait faire sienne la fameuse citation attribuée à Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire ». Tous les pays démocratiques ont leurs groupes radicaux et ces derniers ont compris que le discours extrémiste constitue une sorte d’exutoire pour évacuer des frustrations longtemps refoulées.

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