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Nessma TV : Affaire judiciaire ou procès politique ?
17/11/2011 | 1
min
Nessma TV : Affaire judiciaire ou procès politique ?
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« Nous sommes tous musulmans, nous savons parfaitement ce qui heurte la sensibilité des Tunisiens et nous ne nous permettrons jamais de heurter cette sensibilité. Que dire alors que de toucher au sacré ?! Nous ne permettrons jamais cela », telles furent les paroles de Nabil Karoui. Un Mea Culpa destiné à apaiser la polémique qu’a suscitée la diffusion du film, très controversé, « Persepolis ».
A défaut d’une position claire et solide, Nabil Karoui, pourtant connu pour être un farouche défenseur des principes libéraux et modernistes, a mis les pieds dans le plat et a fait échouer une initiative que, nombre de ses défenseurs, qualifiaient d’audacieuse et même de stratégique, à moins de 15 jours de la tenue du scrutin de l’Assemblée nationale constituante.
Un combat en faveur de la liberté d’expression qui s’est retourné contre son initiateur. A défaut d’avoir eu le courage de le mener jusqu’au bout, Nabil Karoui doit aujourd’hui rendre des comptes et faire face à un double procès.

Le directeur de la chaîne Nessma TV a comparu, aujourd’hui jeudi 17 novembre 2011, devant la Justice pour « offense envers les cultes », « outrage public à la pudeur » et « atteinte aux bonnes mœurs et à la morale publique ». Trois chefs d’accusation, déposés par 140 avocats, et pour lesquels il encourt 3 ans de prison. Objet du délit : une scène du film (qui raconte l’évolution de la société iranienne après la chute du Shah, à travers les yeux d'une petite fille) où Dieu est représenté.
Sacrilège dirait-on ? Ou liberté d’art et d’expression ? De telles questions ont secoué l’opinion publique des semaines durant et ont suscité des débats houleux sur les plateaux télé, dans la presse et, surtout, dans la rue.

La première phase du procès de Nabil Karoui s’est jouée (et se joue encore) avant l’audience.
Une phase de manipulation et de subversion de l’opinion publique, qui a joué sur le sentiment « religieux » du citoyen lambda en présentant ce procès comme celui de David,« musulman », contre Goliath, le « mécréant ».
De nombreux incidents se sont multipliés suite à cette diffusion, faisant monter la tension et la psychose parmi la population, et ledit passage, sorti de son contexte, a fait le tour de la toile et de Facebook.
Deux jours après la projection du film, le 9 octobre dernier, un groupe d’extrémistes avait tenté d’attaquer le siège de Nessma. Une violence qui a atteint son paroxysme, cinq jours plus tard, lorsqu’une centaine d’assaillants s’en est prise à la résidence même de Nabil Karoui en jetant des cocktails Molotov.
La vague de violence et d'intimidation s'est poursuivie les jours suivants. Le 11 octobre, certains employés de la chaîne ont reçu des menaces de mort. De plus, les manifestations du « vendredi de la colère », ont ciblé principalement Nabil Karoui, à l’instar des grands dirigeants des dictatures arabes, et des affiches le représentant égorgé auraient été accrochées, un peu partout dans le pays, avec la mention « Recherché par la justice ».
Justice de la rue ou justice judiciaire ? Il y a là lieu de s’interroger…

Le 10 octobre dernier, 140 avocats ont déposé plainte contre Nabil Karoui, directeur de la chaîne, ainsi que contre deux de ses collaborateurs : le responsable du visionnage et la responsable du doublage du film. Des accusations, portées sur le fondement des articles 44 et 48 du code de la presse (toujours en vigueur) et des articles 226 et 226 bis du code pénal.
Une enquête préliminaire a été immédiatement ouverte par le procureur et Nabil Karoui, risque aujourd’hui une peine pouvant aller jusqu'à trois ans de prison. Une menace qui pèse sérieusement sur lui et que ses centaines d’avocats se chargeront de faire disparaître.
« Avec moi, les nouveaux défenseurs de l'ordre moral en Tunisie veulent faire un exemple. Nous sommes dans une dictature morale encore pire que sous Ben Ali. Sous l'ancien régime, je n'ai jamais été menacé de mort», déclare Nabil Karoui.
Seules les autorités judiciaires sont habilitées à arbitrer d'éventuels abus de la liberté de la presse.
C’est à se demander si les lois qui criminalisent la diffamation de la religion, sont compatibles avec les normes de la liberté d’expression ? La liberté d'expression ne passe-t-elle pas aussi par la tolérance à des idées qui choquent ?

Nabil Karoui estime aujourd’hui avoir mené son combat contre l’obscurantisme et en faveur de la liberté d’expression, seul et sans avoir profité de l’appui de personne. Il dénonce même le manque de soutien de ses défenseurs et de l’intelligentsia qui l’a « lâché », selon ses dires, dans son combat.
Un combat que Nabil Karoui n’a pas mené jusqu’au bout et dont les excuses mielleuses et manquant de courage, ont eu raison de la motivation de ses défenseurs.
Ne manquons pas de rappeler que les agressions contre Nessma Tv ont été dénoncées par le Syndicat national des journalistes tunisiens ainsi que par l'Association tunisienne des directeurs de journaux, qui ont exprimé leur soutien total à la chaine.
Certains partis politiques ont dénoncé les violences, même si la majorité s’accorde à condamner ce qu’elle qualifie de « provocation en période pré-électorale ».
Nabil Karoui reconnaît avoir commis des fautes et avoir dérapé. Mais qu’en est-il du délit principal dont on l’accuse ?
«Je vais plaider non coupable, bien sûr. Il est scandaleux que ce soit moi qui comparaisse alors que les gens qui ont brûlé ma maison ont été relâchés», a-t-il déclaré à l'AFP.
« Je persiste à défendre le travail qui correspond à mes valeurs et à mes principes, dans une société libre et un régime démocratique, non dans un sixième califat », ajoute-t-il dans une déclaration faite au quotidien Le Maghreb.

Dans le véritable procès, prévu désormais pour le 23 janvier 2012, les portes se referment et on se met à faire du Droit, loin des jugements de l’opinion publique et des sentiments offensés du citoyen lambda.
Mais faut-il justement revoir ces lois qui incriminent la « diffamation de la religion » ? Dans quelles mesures ces mêmes lois sont-elles compatibles avec la liberté d’expression ? En ramenant l’affaire à sa dimension judiciaire, ne sommes-nous pas en train de confronter l’art et  les modernistes aux liberticides ?
17/11/2011 | 1
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