Marouen Abassi : La Tunisie n'a pas encore touché le fond
Le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) Marouen Abassi a été auditionné, lundi 25 février 2019, lors d’une séance plénière par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Il est revenu sur les raisons ayant poussé la BCT à augmenter le taux d’intérêt directeur.
Au cours de son intervention, le gouverneur a estimé que le problème principal est le déficit de la balance courante qui a atteint 11,2%, ce qui représente un signal d’alerte qui aura, certainement, des répercussions sur le glissement du dinar. Ainsi, il a indiqué que ce déficit s’est aggravé depuis 2014, notamment à cause de la dégradation de la balance énergétique du pays, le déficit s’est accru de 2 milliards de dinars en 1 an.
Il a relevé l’amélioration de la balance alimentaire grâce à l’excellente récolte d’olives, ainsi que l’amélioration du tourisme. Sauf que ces deux indicateurs ne se sont pas améliorés à prix constant. Les nuitées ne sont que de 17 millions alors qu’elles étaient de 29 millions en 2010. Donc, en termes d’entrée en devise, le rythme n’a pas suivi : ainsi, alors qu’on faisait 2 milliards d’euros de recettes touristiques, elles ne sont que de 1 milliard d’euros, pour le moment. Ceci est dû au fait que les touristes sont essentiellement des Algériens et des Libyens qui passent par le marché parallèle de change. Abassi a de ce fait souligné l’importance de créer des tours opérateurs.
Autre priorité, ce qu’il a appelé la régularisation de change –NDLR pour ne pas dire amnésie de change– via un projet de loi déposé à l’ARP et qui permettra d’encourager les personnes qui détiennent des devises de déposer leur argent dans les banques pour profiter d’un bon rendement au lieu que le pays recours à l’endettement étranger. Le pays devra aussi encourager les TRE à ouvrir des comptes en devises en Tunisie, et ceci ne peut se faire qu’on leur offrant un taux d’intérêt intéressant.
M. Abassi a, par ailleurs, noté que la dette, principal et intérêt, augmente chaque fois que le dinar glisse, et ceci est dû principalement aux problèmes d’équilibre extérieur soulignant que le déficit courant impacte directement le dinar.
Il a indiqué que la dépréciation du dinar a débuté à partir de 2015, avec les deux attentats qui ont porté atteinte au tourisme et ayant comme répercussion une perte de confiance des partenaires. Ce qui a un impact sur le rating de la Tunisie qui a baissé rapidement depuis cette date, et en seulement 3 ans le coût du financement sur le marché international a largement augmenté.
En évoquant le glissement du dinar, le gouverneur a expliqué que sans le commerce, le pétrole, le phosphate, la BCT n’avait aucun moyen de renflouer les réserves en devise et donc de défendre le dinar.
S’agissant de la hausse du taux d’intérêt directeur, Marouen Abassi a affirmé que si le conseil de la BCT n’avait pas pris ces décisions de hausse, les réserves seraient inférieures aujourd’hui à 84 jours, et les agences de rating auraient bien sûr impacté ceci sur la notation de la Tunisie. Et de préciser que les chiffres des pays similaires à la Tunisie sont meilleurs, mais que la baisse de leur monnaie est plus importante.
Le gouverneur a indiqué que certes la BCT gère la dépréciation, mais la dévaluation est décidée par le gouvernement et que les réserves stratégiques en devise de 84 jours permettent de justement importer des biens de premières nécessités comme les médicaments et le blé.
Il a martelé que le non-engagement des réformes promises est devenu problématique, le pays ayant des problèmes à accéder au financement.
M. Abassi a estimé que certes la demande de consommation a augmenté, mais pour des produits qui viennent de l’extérieur, relevant que le pays est en train d’être "desindustrialisé". Il pense qu’il aurait mieux valu augmenter le prix du lait et préserver le système qu’importer notre lait. Et de noter que le pays ne peut plus tolérer l’inflation qui vient de l’extérieur, considérant qu’on augmente peut et pas au bon moment le taux d’intérêt directeur et que l’inflation s’est beaucoup écartée du taux directeur. Pour lui, il aurait dû augmenter plus le taux et s’aligner sur le plus haut taux pratiqué par les banques sur le marché interbancaire, soit une hausse de 250 points de base.
Il a souligné que les pauvres s’endettent à des taux de 24% par la voie des microcrédits et de 15% via le leasing et que justement, ils n’ont plus accès au financement vu les taux pratiqués. rappelant le faible taux de bancarisation de ces franges.
L’objectif final étant que l’inflation passe en dessous de la barre des 7% fin 2019. Ceci dit, il a estimé que les efforts de la BCT doivent être accompagnés par la mise en place d’autres politiques, pour encourager l’investissement. Il a également évoqué la mise en place d’une politique globale de decaching et la restructuration de la BCT (2019-2021) à travers 60 projets stratégiques.
Et de conclure : « La Tunisie est certes un petit pays, mais nous avons les moyens et nous n’avons pas encore touché le fond, nous pouvons remédier à la situation actuelle du pays ».
I.N