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Les erreurs de Syphax, les fautes du ministère et l'illusion de Tunisair
01/05/2012 | 1
min
Les erreurs de Syphax, les fautes du ministère et l'illusion de Tunisair
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L’inauguration de Syphax Airlines par le président de la République Moncef Marzouki aurait-elle apporté la poisse à la compagnie ? Pour le démarrage de ses entreprises, Mohamed Frikha a connu des jours meilleurs. Telnet puis Telnet Holding étaient une fierté pour le secteur tunisien des technologies (et le sont encore) et tout indiquait que Syphax allait suivre le même chemin.
Seulement, les incidents au décollage de la compagnie aérienne ne s’oublieront pas de sitôt. Et les responsables de ces incidents sont à tous les niveaux.

Le secteur aéronautique est réglementé. Bien réglementé et bien protégé. Et, à ce niveau, la Tunisie reste à la traine dans le monde.
Comparée à la Royal Air Maroc, Tunisair est encore un enfant. Par le nombre des destinations desservies, par le nombre de ses appareils et par son chiffre d’affaires, Tunisair est loin de faire le poids.
Alors que l’aéroport de Casablanca fait figure d’un hub comparable à quelques aéroports européens, la taille de l’aéroport Tunis-Carthage est similaire à un aéroport régional de la Nord-Méditerranée.
Face à cet état de fait, le gouvernement de Ben Ali, puis de Ghannouchi et de Béji Caïd Essebsi ont continué à protéger drastiquement la compagnie aérienne nationale. Du protectionnisme anachronique imposé par les puissants syndicats de Tunisair. Le gouvernement de Hamadi Jebali n’a pas fait l’exception et semble refuser de prendre le taureau par les cornes. Il continue, lui aussi, à protéger Tunisair de toute concurrence sérieuse.
Allez expliquer à ce gouvernement et à ce syndicat que la concurrence est fortement profitable pour le pays, le consommateur et les compagnies aériennes, personne n’est convaincu. Inutile donc d’essayer de les convaincre avec les cas de Tunisie Telecom qui ne s’est jamais mieux senti depuis l’arrivée de Tunisiana puis d’Orange ou encore les cas des différentes compagnies aériennes dans le monde.

C’est dans ces conditions, bien singulières, que Mohamed Frikha a décidé de lancer sa petite compagnie aérienne ayant pour base la ville de Sfax, deuxième ville de Tunisie. Ce fut la première erreur de son business plan, car Sfax n’a pas les capacités, à elle seule, de remplir les deux avions de la compagnie, nous indique un homme d’affaires ayant élaboré, il y a quelques années, un business plan pour une compagnie aérienne.
La deuxième erreur de M. Frikha est le nom Syphax choisi. Selon un expert en marketing, le nom historique de la ville porte, qu’on le veuille ou non, une connotation régionaliste. Cela plait peut-être aux Sfaxiens et satisfait leur ego, mais pas les autres.
La compagnie a été inaugurée en grandes pompes le 16 mars. Voyant grand, Mohamed Frikha a réussi à convaincre le président de la République d’assister à la cérémonie. Un voyage de presse a été organisé quelques jours après et la cérémonie fut grandiose également. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais il a fallu juste quelques jours pour que les responsables de la compagnie s’aperçoivent que Sfax ne pouvait être rentable à elle seule.
Il fallait se rabattre sur un autre aéroport. Quoi de mieux que Tunis-Carthage ?
Sauf que voilà, on ne change pas les plannings de vol d’une compagnie aérienne comme on change de chemise. Il faut des autorisations du ministère du Transport, de l’Aviation civile et de Tunisair Handling qui a (encore) le monopole de la gestion des enregistrements et du transport des bagages dans les aéroports. Tunisair Handling où l’Etat tunisien est (encore) actionnaire majoritaire.
Syphax tente le forcing et, alors qu’elle n’a pas encore obtenu les autorisations nécessaires, elle fait atterrir ses avions à l’aéroport. Les agents de Tunisair Handling ne se laissent pas intimider et refusent d’être mis devant le fait accompli. Conséquence, les graves incidents du week-end dernier à Djerba et à Tunis. Ce fut là une autre erreur de Syphax. On ne peut pas programmer des vols, vendre des billets d’avion et embarquer les passagers alors que les autorisations nécessaires n’ont pas encore été obtenues.

Malgré ces erreurs, les responsables de Syphax estiment être dans leur bon droit. Et ils n’ont pas tort. Pourquoi donc empêche-t-on un investisseur tunisien et sa compagnie aérienne d’atterrir dans l’un des aéroports de son pays. C’est quoi donc cette bureaucratie et ce protectionnisme des entreprises publiques dans un pays qui vient de vivre une révolution ?
Il se trouve que le ministère du Transport n’est pas du tout prêt à ouvrir cet épineux dossier du transport aérien, du ciel ouvert et de la concurrence. La raison la plus invoquée est de ne pas menacer les intérêts de Tunisair. Or, tous les observateurs du secteur de l’aviation s’accordent à dire que l’intérêt de Tunisair passe, justement, par la levée de ce protectionnisme. Il faut que Tunisair se réforme et accepte qu’elle ait des concurrents sur une platebande qui n’a pas à être exclusivement la sienne.
Non seulement le ministère du Transport insiste sur son protectionnisme, mais il va jusqu’à légitimer des pratiques totalement illégales et anti-concurrentielles qu’il veut imposer à Syphax.
Le ministère, en effet, a pris à son compte une proposition de Tunisair et voulait que Syphax la signe.
Il faut que Syphax établisse ses horaires en prenant en considération ceux de la compagnie aérienne nationale, elle doit s’interdire de recruter les agents de Tunisair et ne doit pas avoir des tarifs concurrentiels !
En droit international, cela porte un nom : entente commerciale. Et c’est totalement illégal, car l’entente entre concurrents ne se fait qu’au détriment du consommateur. A cause du diktat de Tunisair (validé par le ministère), Syphax ne peut pas proposer (par exemple) un Tunis-Paris à 100 dinars. Et à cause de ce diktat, Syphax ne peut pas débaucher du personnel de Tunisair. En bref, on pipe le marché et Tunisair, grâce à son ministre, réussit à obtenir des avantages indus par des moyens éthiquement répréhensibles.
En agissant ainsi, le ministère ne prépare guère des conditions favorables à l’investissement et à l’encouragement à la création d’entreprises. Car ce qui se passe avec Tunisair se passe également avec plusieurs autres entreprises dans différents secteurs.

Et si le ministère se trouve acculé à agir ainsi, c’est à cause de l’hyper puissance des syndicats de la compagnie aérienne nationale.
Le Groupe Tunisair compte aujourd’hui 7000 salariés. Sachant que Tunisair possède 30 avions, cela fait 230 personnes pour chaque avion. Nettement supérieur à la moyenne internationale qui est de 80 à 90 personnes par avion pour les compagnies commerciales et de 180 pour les groupes qui ont le handling, la technique...
Les syndicats pensent protéger leur compagnie, en freinant des 4 fers le ciel ouvert et en empêchant la concurrence de naître, mais pour combien de temps encore ?
La compagnie aérienne nationale risque tout simplement la banqueroute en continuant ainsi. Des plans ont été imaginés par l’ancien PDG Nabil Chettaoui, mais tout est tombé à l’eau après la révolution et les multiples grèves observées.
Comme c’était le cas pour Tunisie Telecom, qui s’est bien réformée grâce à l’arrivée de la concurrence, il faut bien, un jour ou l’autre, que Tunisair se réforme. L’illusion de certains salariés qu’ils peuvent faire perdurer la situation ne peut être éternelle, un jour ou l’autre, ils doivent descendre sur terre et accepter qu’il y ait d’autres acteurs sur le marché qui soient plus performants et moins chers.
L’Etat tunisien n’a pas les moyens de supporter un déficit de la compagnie aérienne nationale et il sera obligé, un jour ou l’autre, de passer à la réforme chirurgicale. Et plus le temps passe, plus cette réforme sera coûteuse. Et celui qui paiera la facture n’est autre que le contribuable.
Tunisair est une fierté nationale (une des rares au monde à n’avoir jamais connu de crash) et il est de notre devoir de la sauver. Et cette responsabilité incombe au ministère qui, pour le moment, joue aux autruches.

01/05/2012 | 1
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