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Les défenseurs des libertés serrent les rangs
29/01/2012 | 1
min
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À l’appel d’un grand nombre de partis politiques de l’opposition, et de représentants de la société civile, une grande manifestation a eu lieu, hier samedi 28 janvier 2012, dans le centre de la capitale. Partant de la place des Droits de l’Homme, sur l’Avenue Mohamed V, traversant l’avenue Habib Bourguiba et l’avenue de Paris, pour arriver à la place de la République (plus connue sous le nom du « Passage »), la manifestation a réuni, selon la police, entre 8.000 et 10.000 personnes. Organisée suite aux multiples agressions qu’ont subies les journalistes, intellectuels, ou étudiants, cette marche avait pour but de protester contre toute forme de violence et de défendre les libertés et le processus démocratique.

Ahmed Brahim, Maya Jeribi, Mohamed Louzir, Selma Baccar, Ahmed Nejib Chebbi, Yadh Ben Achour, Said Aidi, Issam Chebbi, Samir Taieb, Iyed Dahmani… la quasi-totalité des leaders de l’opposition et des figures de la société civile ont répondu présent, en rangs serrés, déterminés à poursuivre le combat pour les libertés.

L’horloge de la Place du 14 janvier marquait midi pile et un grand nombre de manifestants était déjà présent sur l’avenue Mohamed V. Exceptés quelques logos de partis politiques placés sur certaines pancartes, le drapeau tunisien était à l’honneur, et comme dans toutes les manifestations qui avaient déjà été organisées sur la même avenue, la foule de manifestants appelait au respect des libertés, de la démocratie, condamnant toute forme de violence, d’extrémisme ou de fanatisme.

Les réticences à participer à cette manifestation étaient nombreuses, dans le camp des démocrates, à l’image de l’association Touensa.org, qui avait pourtant participé à ce type de démonstration dans le passé, mais qui a fait savoir, dans un récent communiqué, que le choix de manifester, encore une fois, pour ce type de revendications, n’était pas judicieux. Dans ce communiqué, appelé « Progressiste Oui, Autiste Non », l’association dit être « contre des manifestations et marches élitistes sans un réel apport à la population tunisienne », et d’ajouter : « Nous sommes contre des messages creux qui ne servent que les intellectuels.Nous ne comprenons pas que les manifestations se fassent uniquement pour défendre le droit d’expression.Nous sommes contre tout événement qui pourrait exacerber la division des Tunisiens entre musulmans et mécréants ».

Il est vrai que ce type de manifestations était largement critiqué, car considéré comme élitiste et ne réunissant que les franges aisées de la population. Celles, en d’autres termes, qui peuvent se permettre le luxe de se battre pour ces valeurs, alors que l’autre partie de la population demande un travail ou des conditions de vie respectables ; les questions de liberté d’expression et d’opinion ne faisant pas partie de leurs priorités.

La question de savoir si effectivement cette marche ne servait en réalité qu’à exacerber les dissensions et les différences entre les Tunisiens a été posée à Mohamed Louzir, président du parti Afek Tounes. « Si une partie de la population se trouve inquiétée et souhaite manifester pour défendre ses libertés, qui sommes-nous pour juger ? », répond, en substance, Mohamed Louzir. « C’est leur droit et nous respectons et soutenons ce droit, les gens sont sortis en masse aujourd’hui, il n’y a qu’à constater en les regardant ou en parlant avec eux, que ce type de critique, que nous recevons souvent, n’est pas réellement fondé », ajoute-t-il.

Effectivement, beaucoup de personnes réticentes au départ, ont été agréablement surprises par le nombre et la diversité des gens venus manifester. Nous étions certains de retrouver les mêmes têtes, celles que nous apercevons à chaque fois, que ce soit après l’incident du film de Nadia El Fani, ou encore suite aux violences qui se sont produites après la diffusion du film Persépolis par Nessma TV, affirment plusieurs manifestants. Ils concèdent cependant que leurs doutes se sont évaporés, que la manifestation a été un succès et que la mobilisation a touché une frange plus grande de la population. « La roue tourne, lance un jeune homme, nous gagnons du terrain, il faut persévérer ».

Si les rangs des défenseurs des libertés ont grossi, c’est en partie grâce aux étudiants et aux universitaires, premières victimes des troubles et violences qui ont récemment été commis par les extrémistes. Les facultés des Lettres de La Manouba et de Sousse s’en souviendront longtemps de cette bataille rangée entre salafistes et étudiants pour une poignée de porteuses de niqab à qui l’on a fait croire qu’elles combattaient pour l’Islam, et que montrer leur visage à l’entrée de la faculté était un pêché. Les étudiants étaient nombreux en ce samedi du mois de janvier, déterminés et plus que jamais motivés. Quant aux étudiantes, elles en ont surpris plus d’un… Portées sur les épaules de leurs camarades, sous un ciel dégagé et un soleil de plomb, leurs voix s’élevaient, sans discontinuer, galvanisant la foule et entraînant les troupes par des slogans rassembleurs.

« Des universités libres et civiles », « une Constitution démocratique », « Travail, liberté et dignité », sont autant de slogans scandés par les manifestants. Sadok Chourou, était également à l’honneur, suite aux propos qu’il a tenus, appelant aux châtiments corporels envers les sit-inneurs, c’est ainsi que l’on pouvait entendre : « Sadok Chourou tu n’es qu’un lâche, le peuple tunisien ne se laisse pas insulter », ou encore, à l’endroit cette fois des salafistes : « Man antom ? Ayna kontom ? » (Qui êtes-vous ? où étiez-vous ?), et enfin, alors qu’ils faisaient face à de nombreuses provocations, les manifestants ont scandé à plusieurs reprises : « Mou’aqet, mou’aqet » (Provisoire, provisoire), faisant allusion à la polémique concernant les médias qui qualifient le gouvernement et le président de « provisoire ». Qualification qui n’est pas du goût de la coalition au pouvoir qui n’a pas hésité à le faire savoir.

Notons enfin qu’un petit groupe de manifestants est venu protester contre cette marche, mais qu’une séparation a été imposée par les policiers pour éviter tout risque d’affrontements. Ce groupe semblait pas organisé, ni affilié à aucun parti. Excepté quelques drapeaux tunisiens, ils ont réussi à se procurer le drapeau vert de l’Arabie Saoudite et scandaient quelques slogans tels que : « Le peuple est musulmans, et ne cèdera pas », plusieurs observateurs se demanderont les raisons d’une telle démonstration : « Ils manifestent pourquoi ? Contre la liberté ? Ça n’a pas de sens ! », s’exclament-ils. Un passant en marge de la manifestation nous interpelle : « Pourquoi ces gens manifestent, ils n’ont que ça à faire ? », nous répondons : « Pour la liberté et contre la violence, vous ne voulez pas vous joindre à eux ? » ; « Non j’en ai assez de votre liberté, vous n’en avez pas marre de manifester pour tout et n’importe quoi ? », rétorque-t-il. Un autre groupe, en apercevant Iyed Dahmani, élu PDP, s’écrie : « Iyed ! Liberté on a compris, mais donnez-nous du travail ! Regardez-vous, vous n’êtes pas dans le besoin vous ! Nous, nous voulons travailler ! »…

La manifestation s’achèvera sur la place de la République, où les leaders de l’opposition répondront aux questions des passants et des nombreux journalistes présents. Tous diront qu’ils étaient là pour défendre la liberté, sans considérations partisanes, pour alerter les autorités des dérives et des violences qui se sont multipliées.

« Nous ne sommes pas ici pour demander un remaniement gouvernemental, ceci n’a pas de sens car ce gouvernement vient d’être mis en place », affirme Mohamed Louzir. Il précise, en outre, que le mot d’ordre est aujourd’hui celui de l’union, entre toutes les forces progressistes et démocrates, y compris Béji Caïd Essebsi, s’il retourne à la vie politique, car ce dernier « est respecté et a bien servi son pays durant la période transitoire ».
Concernant un rapprochement avec des islamistes dits réformistes, comme l’a stipulé Yassine Brahim, Mohamed Louzir affirme qu’il y a eu une incompréhension des propos tenus par ce dernier. « Nous sommes attachés à un Islam des Lumières, mais il n’est pas question de s’allier avec des islamistes, car cela n’aurait aucun sens. Cette incompréhension est due à une erreur de communication de notre part, c’est sur cela que nous devons travailler aujourd’hui ».

Monia Ben Hamadi
29/01/2012 | 1
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