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Chroniques
Les carottes d'Ennahdha
30/10/2011 | 1
min
Les carottes d'Ennahdha
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Par Nizar BAHLOUL

Le séisme de la victoire des Islamistes n’a pas fini d’ébranler les progressistes, les libéraux, les laïcs, les modernistes. Lourde défaite dont les explications ont été traitées en long et en large la semaine dernière.
Les Islamistes ont vaincu, tant mieux pour eux. Maintenant que les autres sont derrière, il faut apprendre la leçon du vainqueur et essayer de faire mieux que lui.
La recette tient en un mot et c’est la même recette qui marche pour tous les politiciens qui réussissent des élections. Que l’on soit Japonais, Argentin, Américain ou Français, ils utilisent, tous, les mêmes ingrédients. De belles promesses, de belles paroles, de beaux rêves, de jolis dessins, des cadeaux, petits et gros, de vagues engagements, le tour est joué et les élections sont gagnées.

Pour Ennahdha, on a commencé par les mariages collectifs, puis les cours particuliers. C’était du cash. Quant aux promesses, on en a promis à merveille. Du court, du moyen et du long terme.
Pour le court terme, on a proclamé qu’Allah sera aux côtés d’Ennahdha. Il l’a été, promesse tenue. Pour le moyen terme, on a concocté un programme de 365 points indéchiffrable pour le citoyen lambda. Pour le long terme, les imams des mosquées ont pris le relais pour appeler les fidèles à voter « islamiste » et garantir, éventuellement, une place au paradis. On ne saura jamais, dans ce bas monde du reste, si cette promesse va être tenue.
Jusque là, on était au stade des paroles. On peut dire ce que l’on veut durant une campagne, les promesses des hommes politiques n’engagent que ceux qui les écoutent.
Après le 23 octobre, on est passé au stade du concret et là, on demande des actes et non plus de paroles. Et quand il s’agit de passer à l’acte, on ne peut plus compter exclusivement sur Allah, mais sur le forceps.

Que va donc faire Ennahdha qui, après son succès éclatant et indéniable des élections, est condamnée à réussir comme l’a si bien dit Noureddine Bhiri ?
Au vu de leurs premières déclarations, on sent les leaders des partis islamistes dans l’embarras. Le populisme et les paroles divines marchent à merveille dans une campagne électorale, mais ne fonctionnent guère quand on est aux commandes.
Fortement appuyés par la masse populaire, il leur faut le soutien de l’élite qui tient les rênes du pays. Ils ont donc commencé par rencontrer les principaux acteurs de la bourse et du milieu des affaires.
Ils n’ont cessé de multiplier les signaux positifs et les déclarations rassurantes. Tellement rassurantes que l’on a du mal à reconnaître qu’il s’agit bien d’Ennahdha et que l’on ne voit plus ce qu’il y a d’islamiste chez le parti islamiste.

Ces appels, aussi rassurants soient-ils, sont cependant insuffisants pour passer au concret. Pour diriger le pays, il faut des commandants de bord pour chaque département et ces commandants manquent à l’appel dans les rangs d’Ennahdha.
Samir Dilou, Hamadi Jebali ou Noureddine Bhiri ne peuvent composer à eux seuls un gouvernement.
Faute de joueurs suffisamment qualifiés, Ennahdha est allé chercher chez les autres. Au nom de l’intérêt collectif, elle a donc lancé l’idée du gouvernement d’Union nationale où les vaincus sont appelés à gouverner aux côtés des vainqueurs.
Les tractations ont commencé. Les négociations évoluent déjà avec Mustapha Ben Jaâfar et on envisage de les élargir (si ce n’est déjà fait) en offrant des portefeuilles ministériels à quelques leaders du PDP, d’Afek Tounes (Yassine Ibrahim aurait déjà rencontré Hamadi Jebali, murmure-t-on dans les coulisses) et quelques leaders de listes indépendantes.
« Nous avons gagné et nous vous invitons à gouverner à nos côtés, mais que voulez-vous de plus ? », répète-t-on à l’envi chez Ennahdha.

Du populisme pur séducteur, qui (en apparence) sert le pays à court terme, mais met en danger la démocratie naissante.
Mustapha Mezghanni, secrétaire général d’Afek Tounes l’a très bien démontré en déclarant que c’est le retour du parti unique. Même son de cloche du côté du PDM, chez quelques leaders du PDP et d’Ettakatol et chez El Moubadara.
Le risque est que ces leaders soient lâchés par les leurs en privilégiant leur égo et leurs carrières en obtenant un portefeuille ministériel immédiatement au détriment de leur parti. C’est là la bataille qui se joue chez Afek et Ettakatol pour empêcher ceux qui jouent « perso » de répondre au piège (sous apparence de main tendue) d’Ennahdha.

Un pays a besoin de toutes ses forces pour avancer, certes, mais une démocratie a besoin d’un pouvoir et d’une opposition pour évoluer. Autrement, cette démocratie meurt dans l’œuf.
Si les modernistes entrent dans le gouvernement, qui jouera alors le rôle de contrepouvoir quand le pouvoir dérive ?
Quel est, du reste, le sens même de cette alliance contre-nature ? Que va faire un Mustapha Ben Jaâfar ou un Yassine Ibrahim quand, demain, Ghannouchi and co décrètent la polygamie, interdisent l’adoption ou imposent une loi moyenâgeuse inspirée d’un pays du Golfe ? Après tout, le « peuple » les a bien élus pour ça. Au sein du gouvernement, ils auront une obligation de réserve et doivent se taire. Ce n’est qu’en étant à l’extérieur qu’ils pourront s’opposer.

Il y aura déjà de sérieuses batailles au sein de la Constituante entre ceux qui voient à droite et ceux qui voient à gauche, entre les modernistes et les conservateurs. En aucun cas, il ne doit y avoir de bataille du même genre au sein du gouvernement. Le pays, déjà fortement fragilisé par une difficile année 2011, ne peut pas supporter de graves crises en 2012.
Ennahdha a gagné, qu’elle « assume » sa victoire en démontrant ce dont elle est capable. L’opposition moderniste a échoué, qu’elle « protège » sa défaite en prouvant qu’elle peut se relever et affronter la nouvelle bataille.
30/10/2011 | 1
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