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Chroniques
L’amnistie n’est pas la panacée
Par Houcine Ben Achour
15/03/2024 | 08:21
4 min
L’amnistie n’est pas la panacée

  

De tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 2011, il n’y en a pas un seul qui a su gérer convenablement les affaires publiques du pays. La dégradation progressive de la situation économique du pays en constitue une preuve manifeste. Le gouvernement de Ahmed Hachani échappera-t-il à cette constante ? Jusqu’à présent, il est permis d’en douter. En tout cas, les pressions sur les finances publiques ne plaident pas pour. Et quand bien même il tenterait d’en alléger le poids, les mesures qu’il décide de mettre en œuvre sont dictées par des impératifs immédiats, même pas de court terme, a fortiori de moyen et de long terme. Plus encore, certaines d’entre elles risquent de provoquer des effets pervers sinon contraires à ce qui pouvait être attendu. Le cas le plus emblématique est celui de l’amnistie fiscale, sociale ou autre de change.

L’utilisation de cet instrument ne peut pas obéir uniquement à des considérations de finances publiques. Autrement dit à résoudre simplement les déficits jumeaux du budget et des paiements extérieurs en boostant les ressources budgétaires de l’Etat, comme semble être le cas chez nous. Au-delà, et c’est le plus important, l’amnistie doit constituer la matrice d’un changement de cap ; le point de départ d’une nouvelle stratégie de développement du pays. Ce qui ne semble pas être le cas chez nous.

En 2022, le gouvernement de Najla Bouden a fait adopter par le parlement une amnistie fiscale à travers la loi de finances 2022. A l’époque déjà, la mesure répondait plus à des impératifs budgétaires qu’elle ne traduisait la première étape d’une réforme qui rendrait notre système fiscal plus équitable et plus transparent. Et que n’a-t-on pas dit à l’époque sur son caractère « exceptionnel ». Deux ans plus tard, voila qu’on nous ressert le même plat. A ce rythme, une telle mesure risque de produire l’effet totalement contraire à celui qui était attendu. A savoir, provoquer une hausse du nombre de ceux qui se dérobent de leur devoir de citoyenneté et pas l’inverse. En effet, ceux qui s’acquittent régulièrement de cette obligation seraient dorénavant tentés de surseoir, momentanément au moins, à cette exigence.

Il en est de même de l’amnistie sociale de 2022. Certes, l’amnistie des pénalités de retard et des frais de poursuite des débiteurs auprès des Caisses sociales aurait rapporté plus de 500 MD. Mais a-t-elle pour autant réduit le nombre de ces récalcitrants ? Une nouvelle amnistie du même genre est annoncée en 2024 par le ministre des Affaires sociales.

Quant à l’amnistie de change, le pays en a adopté une en 2021à travers la loi de « relance économique et d’amnistie de change » qui heureusement est restée lettre morte en l’absence de publication de ses décrets d’application. Une loi scélérate visant à absoudre les fraudeurs plus qu’à lever les obstacles rencontrés par les opérateurs dans leurs activités d’import ou d’export.  Cependant, une autre semble être en gestation. Empruntera-t-elle le même processus que l’amnistie fiscale ou sociale ? Cela en a tout l’air compte tenu des rumeurs allant bon train à ce sujet. Pour l’heure, gardons nous des spéculations en attendant le projet final de réforme du code des changes et plus particulièrement de cette notion de « résidence » dont la définition de la Banque centrale de Tunisie diffère de celle appliquée par la Douane tunisienne.  

 

Et ce n’est pas tout puisqu’une autre amnistie se profile, même si elle n’est pas qualifiée de la sorte, mais de « réforme ». Il s’agit bien sûr de l’amendement de l’article 411 du Code du commerce sanctionnant l’émission de chèque sans provision. Une commission a été constituée à cet effet chargée de fournir des recommandations dont tiendra compte le gouvernement dans son projet de réforme de ce fameux article. Comme si le problème ne tenait qu’à cette seule disposition alors qu’il est beaucoup plus complexe dans la mesure où il s’agit en fait de résoudre le phénomène des mauvais payeurs. En 2023, la BCT a recensé plus de 420 000 rejets chèques pour absence de provisions. Comparé au volume total de chèques émis - plus de 25 millions – le nombre est dérisoire. Mais il ne l’est plus lorsqu’il s’agit de montant dans la mesure où les 420 000 chèques rejetés totalisent un montant de plus de 3,5 milliards de dinars. Une création monétaire pure ne reposant sur aucune contrepartie. Elle équivaut à plus de 10% de la monnaie scripturale du système financier du pays. C’est en somme une planche à billet échappant à tout contrôle. L’inflation a encore de beaux jours devant elle.

Il convient de se garder de croire que les mauvais payeurs sont tous logés à cette même enseigne. Le nombre de rejet de lettres de change communément appelés « traites » est tout aussi inquiétant. En 2023, on a dénombré environ 210 000 rejets de lettre de changes, selon les statistiques de la BCT. Cela représente plus de 12% du total des émissions de lettres de change et un montant global de 2,9 milliards de dinars. Au cours de cette même année 2023, les rejets sur les opérations de prélèvement se sont élevés à environ 2,4 millions opérations pour un montant de 1,4 milliards de dinars. Qu’a-t-on fait pour résoudre le problème des impayés générés par ces deux modes de paiement ? Pourquoi n’aurait-on d’yeux que pour les impayés en chèques ? Est-ce qu’une amnistie sur les chèques impayés résoudra le phénomène des mauvais payeurs ? Ma foi…

En tout cas, sans de réelles réformes structurelles ces amnisties en tout genre sont loin d’assainir le climat d’affaires, ni fournir de perspectives sécurisantes à ce climat d’affaires. Elles ne peuvent constituer la panacée.

 

Par Houcine Ben Achour
15/03/2024 | 08:21
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