La Poste de Tozeur : Retour sur une affaire qui a ébranlé la justice
Jean Paul Sartre parlant de la fonction de la police disait : « Il ne s’agit pas tellement d’appliquer la loi que d’obtenir un comportement normal, conforme des individus ».
En refusant de violer les procédures administratives, lorsqu'un un agent relevant du tribunal de Tozeur voulait retirer un courrier administratif sans être muni d'un titre de délégation administrative délivré à cet effet, Ahmed Ben Othman a eu un comportement « anormal », il a dit « non » au procureur de la République, il est donc passé en quelques heures de son bureau à la poste à la case prison sans passer par la maison pour prévenir sa femme et ses trois enfants.
Nous sommes le 15 juin 2016, le chef du bureau de poste de la ville de Tozeur, Ahmed Ben Othman reçoit un coursier missionné par le procureur de la République près du Tribunal de Tozeur pour récupérer du courrier. A défaut de présenter une procuration spécifique, et conformément à la loi, l’agent postal refuse de remettre le courrier. Le procureur furieux, le fait alors convoquer puis le fait traduire devant le juge cantonal qui émet immédiatement un mandat de dépôt. Quelques heures plus tard, M. Ben Othman est arrêté et placé en garde à vue.
La réaction de l’administration générale de La Poste tunisienne fut immédiate. Dans un communiqué officiel, l’administration a fait savoir qu’à partir du moment où elle a eu connaissance des faits, elle a commencé à travailler avec les différentes parties et a entamé les procédures juridiques pour le faire acquitter. Pour l’administration, le problème pouvait être résolu administrativement en appliquant les procédures d’usage.
Une première demande de libération fut alors formulée par l’avocat en charge de l’affaire en date du 16 juin 2016, elle fut rejetée le jour d’après. Une deuxième a donc été présentée le 20 juin.
Cette arrestation qui survient en plein mois de ramadan fut un choc pour la famille du postier. Assez déstabilisante pour empêcher le jeune fils de l’employé d’aller passer l’épreuve de la sixième année de base.
L’UGTT monte alors au créneau et annonce qu’une grève générale des agents de la poste sera ouverte dans les différentes régions du pays jusqu'à régularisation de la situation.
« La forme de la grève ainsi que les moyens de militantisme à adopter lors de la période à venir seront décidés à la lumière de la réunion des syndicats régionaux de la poste prévue ce 21 juin », avait alors déclaré le secrétaire général du syndicat de la Poste de l'UGTT, Habib Mizouri à l'agence TAP.
Face à cette réaction de l’UGTT, l’instance provisoire de l’ordre judiciaire a lancé un appel aux magistrats, via un communiqué publié le 19 juin, les incitant à ne pas céder « aux pressions illégitimes qui sont de nature à nuire à l’indépendance de leurs décisions ». Le ministre de la Justice a été également appelé à respecter le principe de la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la magistrature. L’instance a fait savoir qu’elle réfute toute pression visant à changer le verdict concernant l'agent de la Poste en question.
Kalthoum Kennou, ancienne présidente de l'association des magistrats tunisiens a commenté l’affaire comme suit : « Quoiqu'il arrive, grève ou pas, je ne changerai jamais mon verdict, sauf dans le cas de révélation d'autres éléments dans le dossier pouvant le justifier »
Un bras de fer entre les deux corporations, celle des magistrats et celle de la Poste, qui n’a pas empêché certains juges, d’exprimer leur désapprobation face à la décision du juge cantonal de placer Ahmed Ben Othman en état d’arrestation.
« L’article 315 du code pénal stipule que le refus d’obtempérer aux ordres, comportera une infraction avec une sentence maximale de 15 jours de prison » a déclaré le juge Ahmed Souab, lors d’une allocution sur la radio Shems FM, après avoir spécifié que les éléments qu’il a pu étudier du dossier montrent un non-respect de la constitution qui stipule la présomption d’innocence et la prise en compte des intérêts de la famille.
Le juge Souab a ajouté que la détention préventive est indiquée dans des crimes graves afin, notamment, d’éviter une fuite ou une récidive et que dans le cas présent, il s’agit au pire d’une infraction, comme déjà relevé.
Le journaliste et militant des droits de l’Homme, Zied El Heni a lui aussi réagi, sec, face à ce qu’il a qualifié d’injustice en déclarant : « L’ère où le juge mettait les gens en prison selon son gré et sans rendre des comptes, est révolue. On ne va plus permettre son retour. Nous n’allons pas nous résigner ! ».
Il a été aussi l’un des premiers à annoncer la libération provisoire du citoyen Ben Othman, mercredi 22 juin au soir, dans un post sur sa page Facebook. Il s’est, en effet, félicité de la libération du postier qu’il considère comme étant une victoire pour tous les Tunisiens et pour le prestige de la magistrature fondée sur l’objectivité et l’équité.
Une libération décidée par le tribunal cantonal de Tunis, qui n’est que provisoire. Basée, juridiquement, sur le fait que l'agent a un casier judiciaire vierge avec une adresse et un emploi connus.
Le postier, libre depuis mercredi donc a donné sa première interview au journal « Echaâb », dans laquelle il a exprimé l’état de choc qui s’est emparé de lui lors de son arrestation : « Je n’imaginais nullement qu’on me mettrait en prison pour mon obstination à appliquer la loi. Je pensais qu’on m’avait invité au bureau du procureur de la République pour me féliciter de ne pas m’être plié à des ordres contraires à la loi ».
M. Ben Othman a ensuite souhaité rendre hommage à ses collègue « les mots me manquent pour exprimer ma joie face l’engouement dont ont fait preuves mes collègues et amis. Je sens que je fais partie aujourd’hui d’une grande famille ».
A travers un post publié ce jeudi 23 juin, sur sa page officielle, l’UGTT fait savoir que le juge a décidé de renvoyer le verdict dans cette affaire au 11 juillet 2016. Entre temps, les enfants Ben Othman peuvent à nouveau avoir leur « papa » à la maison. D’ailleurs, toute la famille du postier de Tozeur a été reçue aujourd’hui au siège de l’UGTT par le secrétaire général Houcine Abassi.
Cet incident aura mis aux prises deux corps puissants en Tunisie, celui du syndicat et celui des magistrats. Ces derniers se sont rangès derrière leur confrère de manière massive. Quant à l’UGTT, elle a apporté un soutien décisif qui aura permis, au moins, de faire transférer le dossier à un tribunal cantonal de Tunis. La question aujourd’hui est de savoir si l’Etat compte prendre le relais dans cette affaire sachant que le procureur de la République dépend directement du ministère de la Justice…
Sofiene Ahres