
Quand on analyse les discours et communiqués officiels de Kaïs Saïed, il y a trois points récurrents. Le premier est qu’il fait souvent appel à l’Histoire face à n’importe quel sujet. Il est, comme obnubilé, par l’Histoire des pays, des monuments, des institutions. Que ce soit pour parler d’une minoterie ou quand il échange avec un homologue étranger, il se sent obligé de regarder en arrière et d’étaler ses connaissances historiques.
Le deuxième point récurrent est ces formulations en arabe littéraire rébarbatives dignes d’un collégien ou d’un journal propagandiste. Des formules inutiles qui n’ajoutent rien au propos, qui n’apportent aucune information nouvelle et alourdissent les phrases. Kaïs Saïed adore insérer ces phrases inutiles dans ses communiqués et ses discours, non pas pour donner de la consistance, mais pour allonger le texte et donner l’air qu’il maîtrise la langue.
Le troisième point récurrent chez Kaïs Saïed est de dire et répéter la même chose devant chaque responsable qu’il voit. La redondance est une seconde nature chez lui. Il choisit un sujet et il le répète à tous ceux qu’il rencontre pendant une certaine période, avant de le délaisser et de choisir une autre thématique.
Une obsession passagère : les travailleurs productifs dans un climat sain
Exemple, parmi d’autres, le sujet redondant de la semaine dernière, celui des travailleurs qui seraient, d’après lui, fort productifs s’ils évoluent dans un climat professionnel stable et rassurant. Le 27 mai, en recevant le ministre des Affaires sociales Issam Lahmar, il lui a expliqué « que lorsque le travailleur est rassuré et stable, sa productivité augmente et l’économie s’épanouit, car il a le sentiment que l’entreprise dans laquelle il travaille lui garantit les moyens d’une vie digne. Il s’agit d’un climat sain, fondé sur la justice et l’équité. Et lorsque ce climat est réuni, les Tunisiennes et les Tunisiens accompliront ce que certains pourraient considérer comme des miracles. »
Le 29 mai, en recevant sa cheffe du gouvernement, Kaïs Saïed lui a (re) expliqué que « lorsque le travailleur se sent stable et qu’il n’est pas lésé dans ses droits, sa contribution sera plus importante, ce qui entraînera une véritable croissance économique et contribuera à instaurer un climat sain pour l’investissement. »
Enfin, le 30 mai en conseil des ministres, le chef de l’État a (re re) expliqué que « c’est en garantissant les droits des travailleurs que l’investissement sera dynamisé, car de nombreux textes taillés sur mesure n’ont pas conduit à la création de richesse, mais seulement à une économie de rente et à des taux de croissance artificiels et trompeurs.»
La parole présidentielle, un outil galvaudé
Ayant passé toute sa vie professionnelle à dicter des cours de droit constitutionnel, Kaïs Saïed a pris l’habitude de marteler les mêmes idées à ses étudiants. À la présidence, il a conservé ce réflexe, considérant ses ministres — et le peuple — comme une salle de classe à qui il faut répéter inlassablement les mêmes messages.
Il ignore, hélas, que la parole présidentielle est précieuse et, à ce titre, doit être rare. Chaque mot, chaque phrase prononcée par le chef de l’État devrait porter du sens et véhiculer un message fort. Tout ce qui relève du bavardage devrait être écarté.
Le temps du président est lui aussi capital. Il ne devrait pas être gaspillé à ressasser les mêmes formules devant différents interlocuteurs.
Enfin, cette parole ne saurait contenir de fausses informations — ligne rouge à ne jamais franchir — ni de formulations trompeuses ou approximatives.
Le mythe du travailleur parfait et du patron cupide
Avec son sujet redondant de la semaine dernière, Kaïs Saïed induit en erreur ses ministres et le peuple tunisien. Quand il dit que le travailleur devient productif quand il évolue dans un climat sain et stable, ceci est loin d’être une règle. C’est une espérance peut-être, mais ce n’est pas une règle.
Dans un monde parfait, celui des Bisounours, le travailleur est bon et gentil qui produit durant tout son temps de travail et l’employeur est conscient de la valeur ajoutée de son employé et lui donne le salaire conforme à ses besoins.
Dans le discours de Kaïs Saïed, on conclut que les employeurs sont cupides et stupides. Il leur explique que c’est dans leur intérêt de bien rémunérer leurs employés. En diabolisant les employeurs, les présentant comme esclavagistes, et en victimisant les employés, les présentant comme de pauvres esclaves, Kaïs Saïed reproduit un dessin de l’imaginaire populaire qui n’a rien à voir avec la réalité.
Tous les employeurs ne sont pas esclavagistes, loin s’en faut. Tous les employés ne sont pas de pauvres exploités, loin s’en faut. Les premiers ne sont pas tous des diables, les seconds ne sont pas tous des anges.
Une vision déconnectée des réalités économiques
Dans la réalité professionnelle (que Kaïs Saïed ignore faute d’expérience), il y a des réalités économiques sur lesquelles on ne peut faire l’impasse.
Les employeurs ne peuvent pas tous donner de gros salaires et titulariser leurs employés, autrement ils ne seront plus compétitifs sur le marché.
Les employés ne sont pas tous productifs à 100%, car les capacités diffèrent d’un individu à l’autre. Les Hommes ne sont pas des machines.
Tu peux bien donner des milliers de dinars à un ouvrier, il ne pourra pas produire au-delà de ses capacités et de son énergie.
La corrélation entre productivité et stabilité professionnelle, que dicte Kaïs Saïed comme étant une vérité absolue est juste erronée.
Des contre-exemples qui contredisent la fable présidentielle
Deux contre-exemples illustrent le propos. Les fonctionnaires tunisiens ont la stabilité du travail et le salaire adéquat. Leur productivité est pourtant bien inférieure à celle des salariés du privé. Les exemples sont très nombreux. Tunisie Telecom est bien moins performante qu’Orange et Ooredoo, en dépit de son sureffectif et du salaire à cinq chiffres de son PDG. Idem pour la STB, BNA et BH quand on les compare aux Biat, Attijari et Amen Bank ou Agil face à Total et StarOil. Il y a même des cas emblématiques qui enregistrent des records en termes d’improductivité, comme celui de la RNTA dont les salariés ont les meilleurs avantages du pays.
Dans l’autre sens, il y a des entreprises réputées pour être esclavagistes, mais qui engrangent des bénéfices énormes et ont la meilleure productivité au monde. Le cas de l’entreprise américaine Amazon est celui qui illustre le mieux cet exemple. Le chiffre Amazon en 2024 est de 638 milliards de dollars (2000 milliards de dinars) pour un bénéfice net de 59,2 milliards de dollars (178 milliards de dinars). Pour comprendre ce chiffre, sachez que le PIB de la Tunisie (c’est-à-dire toutes les richesses produites par l’ensemble des Tunisiens, État compris) est équivalent au seul bénéfice net d’Amazon. Ce qu’il y a à savoir, c’est que les conditions de travail des salariés d’Amazon sont parmi les plus esclavagistes au monde. Les salariés sont surveillés tout le temps par des caméras et leur productivité est calculée par IA. Ils sont constamment sous pression et n’ont aucune garantie de stabilité. Ce qui est valable pour Amazon est également valable pour Uber ou, chez nous, de Glovo. Les employés de Glovo sont bien efficaces puisqu’ils vous ramènent votre déjeuner chez vous en un temps record, mais leurs conditions sont parmi les plus précaires du marché.
Le palais de Carthage n’est pas un théâtre de marionnettes
En définitive, Kaïs Saïed confond gouvernance et prêche dogmatique, économie réelle et morale utopique. À force de répéter les mêmes mantras comme un professeur face à une classe d’élèves supposés ignorants, il oublie que diriger un pays ne se résume pas à dicter des principes, mais à affronter des complexités.
Son discours sur le lien automatique entre stabilité et productivité ne tient pas face à la diversité des situations de terrain. Il ne s’agit pas de nier l’importance d’un climat professionnel sain, mais de reconnaître que la croissance ne se décrète pas par des incantations, pas plus que l’équité ne se construit sur des oppositions caricaturales entre bons salariés et méchants employeurs.
À travers ses formules ampoulées et ses fables manichéennes, Kaïs Saïed propose une vision déconnectée, presque enfantine, du monde du travail. Ce n’est plus un chef d’État que l’on écoute, mais un conteur.
Or, la Tunisie n’a pas besoin d’un narrateur de mythes. Elle a besoin de lucidité, de courage et d’efficacité. Autrement dit, tout ce que l’on ne trouve pas au pays des Bisounours.


Blague à part, quand on ne maîtrise pas un sujet et on a un tel rang, on s'entoure de conseillers et dans le cas présent, de coachs pour l'expression en public et la maîtrise des sujets. Bon, passons!!!
L'orientation generale du Président concernant la réduction radicale de l'exploitation de nombre de travailleurs.precaires en Tunisie est pertinente.Elle est louable.
C'est son application qui produit a terme les résultats inverses de ceux poursuivis. Qui a provoqué et provoque encore des milliers de licenciements de contractuels et d'intérimaires.
C'est la méthode qui est très discutable; pas la fin.
Meme chose pour tous les autres aspects de la politique publique du regime.
On dit qu'un prof est rentré à l'école à l'âge de 6 ans et en sort à 65ans, c'est tristement vrai!
Votre article le démontre parfaitement.

