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Hakim Ben Hammouda, confessions d'un ancien ministre
09/12/2016 | 19:59
7 min
Hakim Ben Hammouda, confessions d'un ancien ministre

Hakim Ben Hammouda, ancien ministre de l’Economie et des Finances sous le gouvernement Jomâa, vient de publier un nouveau livre, paru chez la maison d’édition Cérès. Un livre de 241 pages qui relate son expérience au sein de cette équipe technocrate ayant dirigé la Tunisie au cours de l’une de ses périodes les plus critiques.

De son premier contact avec le chef du gouvernement désigné, de sa vision pour cette Tunisie en pleine mutation, des crises qui ont jalonné le parcours du gouvernement, en passant par les multitudes de défis à relever, l’ancien ministre raconte son passage à la tête d’un département clé dans cette démocratie naissance, qui faisait face alors, à tant d’incertitudes.

 

« Chroniques d’un ministre de transition »*, se veut être une réflexion sans concession sur cette expérience de ministre de l’Economie et des Finances dans un contexte, politique, sécuritaire, économique et social, explosif.

Exit la Troïka, menée par le mouvement islamiste Ennahdha, l’avènement du gouvernement Jomâa a marqué un nouveau départ pour la Tunisie. Issue du fameux Dialogue national conduit par le quartet, cette équipe est investie d’une mission : mener le pays à bon port jusqu’aux élections législatives et présidentielle de 2014.

 

L’œuvre se veut également une contribution à l’écriture de l’histoire immédiate de la Tunisie. L’auteur aspire à donner sa part de vérité : « Ce travail contribue doublement à documenter notre histoire. D’un côté, il permet d’éclairer des moments importants et certaines facettes parfois cachées de cette histoire. De l’autre, ces récits fournissent la matière nécessaire aux historiens à venir ».

Il s’agit donc, pour Hakim Ben Hammouda, outre de dresser le bilan, les acquis et les limites de ce gouvernement de transition, de donner un éclairage interne à cette expérience du pouvoir, cette expérience humaine « avec ses moments de joies, mais également d’inquiétudes et de difficultés, dans une Tunisie qui vit un moment extraordinaire de son histoire ».

 

Etant l’un des premiers à rejoindre le gouvernement technocrate début janvier 2013, M. Ben Hammouda se pose en témoin privilégié des péripéties et des concertations constituant la genèse de cette équipe.

L’auteur nous transmet l’effervescence de cette étape, décisive, l’ambiance chargée de tensions. Ainsi, un certain samedi 25 janvier 2013, Mehdi Jomâa devait déposer la liste de son gouvernement. Il reçoit, le même jour, le quartet du dialogue national et on apprend que les échanges ont été vifs et la tension palpable sur les visages. L’ancien ministre cite Hatem Atallah qui sera le futur conseiller diplomatique de Mehdi Jomâa en ces termes : « Il y a de la nervosité dans l’air ».

Dans la soirée, le chef du gouvernement désigné se rend à Carthage pour rencontrer Moncef Marzouki et lui présenter la liste de son équipe. La réunion ne durera que quelques minutes et l’annonce de la composition sera reportée. Hakim Ben Hammouda nous révèle avec minutie les coulisses et le climat de cette soirée et des journées suivantes qui ont abouti le 26 janvier à l’annonce de la composition du gouvernement et le 28 au passage de l’équipe devant l’Assemblée et finalement au vote de confiance.

 

L’ancien ministre ne se contente pas de rapporter les coulisses du pouvoir, mais donne également une portée humaine à son œuvre, en permettant au lecteur d’entrapercevoir, l’ambiance qui régnait au sein de cette nouvelle équipe. Des anecdotes émaillent ainsi le livre, ne serait-ce que celle où il raconte cette équipe de « ministres footballeurs » qui jouait une fois par semaine en soirée. M. Ben Hammouda revient avec humour sur les talents footballistiques de ses collègues, évoquant entre autres, la classe d’un Mehdi Jomaâ ou la technique déroutante d’un Mourad Sakli. Il dépeint ainsi une équipe soudée et solidaire.

 

Dans la peau de ministre de l’Economie et des Finances, en période de crise, Hakim Ben Hammouda rappelle le travail colossal qu’il devait abattre et sa volonté, avec toute l’équipe l’entourant, à l’accomplir au mieux. Non sans émotion, il déclare : « Cette courte expérience à la tête d’un ministère majeur, en période de transition et de difficultés économiques, a été d’une grande richesse. Elle m’a donné la chance de servir mon pays. Elle m’a offert la possibilité de mieux connaitre la réalité économique et l’ampleur des défis… ».

 

A travers ce livre, le lecteur revit cette époque, pas si lointaine, chargée d’espoirs et d’appréhensions. Une époque dont l’issue définira les contours de la politique future de la Tunisie et impactera dans la durée la société tunisienne. Témoin privilégié donc, Hakim Ben Hammouda nous emmène dans les arcanes du pouvoir et de ses vicissitudes. Comment l’équipe Jomâa a géré un pays laissé au bord du précipice ? Faire face aux contestations sociales, à la menace terroriste de plus en plus persistante, à une économie qui périclite, à des réformes plus que nécessaires… En l’expert en économie qu’il est, Hakim Ben Hammouda dresse un diagnostic sans équivoque de la situation dans le pays et apporte sa vision.

L’un des problèmes qui l’avait le plus préoccupé lors de son passage à la tête du département de l’Economie et des Finances, était l’éventuel défaut de payement de la Tunisie : « Le cauchemar à éviter tout au long de cette année ». M. Ben Hammouda révèle que par souci de maintenir une atmosphère d’optimisme, il a dû communiquer le moins possible sur ce risque.

« A chaque fois que la question m’a été posée sur la capacité de l’Etat à payer les salaires en fin de mois, et à honorer ses engagements, je tenais un discours rassurant ». Ceci étant dit, la question constituait un important sujet de préoccupation pour le gouvernement, assure l’ancien ministre. Une situation tellement alarmante que Mehdi Jomâa a décidé d’en informer Moncef Marzouki et Mustapha Ben Jaâfar, lors d’un petit-déjeuner à Carthage, la veille de son départ aux Etats-Unis. Le lendemain, il en informe Houcine Abassi, Wided Bouchamaoui, Rached Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi, alors président de Nidaa Tounes.

« C’était une vraie course contre la montre que nous entamions tous les mois, la peur au ventre, et tout au long de l’année 2014 », a-t-il confessé. Finalement, cette situation n’est rentrée dans l’ordre que « le 31 décembre 2014 vers 19 heures, le président du gouvernement, le gouverneur de la Banque Centrale, et moi-même avons quitté nos bureaux en laissant près de 400 millions de dinars dans les comptes du Trésor ». Pour Hakim Ben Hammouda, cette mission accomplie, dont il n’a pas parlé, constitue, avec l’organisation des élections et la lutte contre le terrorisme, un beau résultat à mettre à l’actif du gouvernement technocrate.

 

L’auteur de Chroniques d’un ministre de transition, pose un regard à la fois lucide et critique sur cette année de transition dans un pays en pleine tourmente. Comme il le souligne : « Les transitions politiques ne sont pas de longs fleuves tranquilles ». Il qualifie ainsi le plan d’action suivi par le gouvernement Jomâa de « programme de l’ampleur de l’œuvre de Sisyphe, et qui exigeait probablement un haut degré d’inconscience et une grande dose d’engagement pour accomplir cette tâche en moins d’une année ».

Relaté ainsi, par une personne qui était aux premières loges, ce témoignage d’un passé si proche, mais qui parait si lointain au vu de tout ce qui s’est déroulé depuis dans le pays, nous fait revivre cette effervescence qu’a connue la Tunisie durant toutes les étapes qui ont jalonné sa transition. Après la transition politique, on parle aujourd’hui de celle économique, que le pays se doit de réussir, au risque de mettre en péril tout ce qui a été bâti parfois dans l’euphorie, souvent dans la tourmente…

 

* Chroniques d’un ministre de transition, Tunis, Cérès Editions, 2016.

 

 

09/12/2016 | 19:59
7 min
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Commentaires (27)

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Tunisienne
| 11-12-2016 15:17

Bonjour Jamila,

Certains commentateurs ont avancé (arguments à l'appui) que BCE avait voulu écarter Jomaa, j'ai répondu que je ne mettais pas en doute leur parole. Je n'ai pas d'éléments d'information précis à ce sujet, mais je peux supposer que BCE a désigné l'ex-Chef du Gouvernement Essid sur la base de ce qu'il estimait alors être le «meilleur profil», c'est-à-dire un homme d'État et d'expérience et un vieux de la vieille de l'administration, sans grandes ambitions politiques et qui ne pouvait pas lui faire de l'ombre. On peut également supposer (et ce sont plus que des suppositions !) que tous les ambitieux et opportunistes qui avaient activement soutenu Nida Tounes lors de sa campagne électorale se sont jetés sur tous les postes-clés gouvernementaux comme des affamés et ont même casé leurs amis et proches. Certes, il y a des compétences parmi ces gens-là, mais elles ne correspondent pas au profil «sociodémographique» des technocrates de Jomaa.

Peut-on alors parler de mise au frigo sciemment orchestrée ou de dommage collatéral de l'opportunisme goulu des nouveaux gouvernants ? Je l'ignore. Je pense qu'il y avait quand-même un minimum de calculs politiques et de considérations de «défense du territoire politique nouvellement acquis»...



Je ne sais pas si j'ai répondu à vos interrogations (?) ...


Merci et à bientôt !

micmac
| 11-12-2016 11:09
Depuis 2011, on assiste à l'arrivé d'apprentis sorciers qui importent des recettes déjà décriées chez leurs pourvoyeurs pour leur ultralibéralisme sauvage primaire.
Tous proposent de "vendre la Tunisie".
Tous échouent lamentablement et s'inventent aussitôt des sagas farfelues et totalement déconnectées des réalités, que dément l'État lamentable du pays qu'ils laissent invariablement derrière eux.

Ils me rappellent ces profils FB ou des gens que vous connaissez parfaitement se fabriquent des exploits imaginaires et finissent par y croire...

Thérapie du miroir complaisant.

Jamila
| 11-12-2016 10:44
Ce livre arrive un peu tard. Je l'ai lu en diagonale mais à première vue il aurait fallu l'éditer plus tôt pour qu'il ait un impact.
Je mexplique, le gouvernement Essid a erré; il a cassé la dynamique mise en place par MJ et son équipe. BCE a encore manoeuvré pour des raisons obscures en nommant Essid avec une équipe totalement incompétente. C'était une troïka bis. C'est à ce moment qu'il fallait parler et dire que les acquis étaient entrain d'être dilapidé.
L'auteur nous raconte des anecdotes mais passe sur des choses serieuses. Je ne comorends pas votre reponse à certains commentaires. BCE veut étouffer le bilan, c'est ce que voulez dire? Sinon pourquoi les technocrates qui ont fait du bon travail ont été mis à l'écart? ils avaient au moins le droit de retrouver des fonctions dans l'administration? A priori et vous n'en parlez pas, ils sont au frigo comme on dit. Est ce une attitude délibérée politicienne?

Dr. Jamel Tazarki
| 11-12-2016 10:17
Il est temps de reconnaitre que l'électeur tunisien vote non pas pour un programme ou pour un parti politique mais vise à élire une personnalité.


J'ai fait récemment un petit sondage (certes, qui est non représentatif) parmi les Tunisiens de mon entourage et je leur ai demandé la raison de leur choix politique. Les résultats étaient sans ambigüité:
a)90% de ceux qui ont voté Ennahdha voulaient voter Mr. Rached Ghanouchi
b)98% de ceux qui ont voté Nidaa Tounes avaient la seule intention de voter Mr. Béji Caïd Essebsi

Et à la question "qui voter aux prochaines élections", la réponse était aussi sans ambigüité "probablement Mr. Youssef Echahed", et ceci même parmi les électeurs du parti politique Ennahdha. Oui, le coté sociale et anti-oligarque de la loi de Finances 2017 a fait augmenter la popularité de Mr. Youssef Echahed. Il est intelligent, jeune, beau, charismatique et parle le langage que la masse pauvre aimerait écouter: la justice sociale.


Je conseille à Mr. Youssef Echahed de prendre les rênes du parti politique Nidaa Tounes en main et de se garantir sa présidence! Il est dans l'obligation de s'imposer à l'intérieur de Nidaa Tounes, s'il veut vraiment gagner la confiance de la majorité des Tunisiens. Il n'a aucun avenir politique sans une réussite absolue à l'intérieur de Nidaa Tounes. Il doit d'abord persuader les Tunisiens qu'il est l'homme de la situation!


Mr. Hafez Essebsi a intérêt à consolider la position de Mr. Youssef Chahed à l'intérieur de Nidaa Tounes et de se limiter à une position de second rôle derrière Mr. Youssef Chahed. Sinon, Mr. Hafez Essebsi risque de tout perdre après le départ à la retraite de son père!


Le parti politique Ennadha va disparaitre de la scène politique avec le départ de Mr. Rached Ghanouchi. Le seul politicien du parti politique Ennadha qui aurait pu gagner la confiance et la sympathie du peuple tunisien est Mr. Zied Ladhari, mais malheureusement ses résultats en tant que Ministre sont nuls (pour ne pas dire négatifs) et je me demande souvent qu'est-ce qu'il fait encore au sein du gouvernement d'union nationale.


Pour le moment, la Tunisie n'a pas d'autres options que de consolider la position et la politique de Mr. Youssef Chahed!


De même Nidaa Tounes, Ennahdha, Mr. Béji Caïd Essebsi, Mr. Rached Ghnouchi et son clan et ainsi que Mr. Hafez Essebsi n'ont pas d'autres choix que de consolider la position et la politique de Mr. Youssef Chahed! En effet, ils doivent en fin comprendre que si le gouvernement de Mr. Youssef Chahed risque d'échouer c'est toute la Tunisie qui risque aussi d'échouer et c'est le collapse socio-économique et socio-politique qui nous attend, et ceci n'est pas de leur intérêt

Jamel Tazarki

Louis Armstrong: What a wonderful world,
https://www.youtube.com/watch?v=bkTLIO2zanM

harbi
| 11-12-2016 08:44
se relancer, il cherche à se donner de l'envergure mais...sous l'ombre d'autres "leaders" ou réseau...
Mieux jouer sur sa propre valeur, savoir dire les choses meme de façon cruelle...les tunisiens veulent ça finalement...L'aire de la langue de bois, du capitonnage, du masquage , du "caressage"... est révolu..
Il doit se " Trump...er" sans trop se tromper. Il doit se tremper clairement A Gauche, A Droite, Au centre...

Fehri
| 10-12-2016 21:49
Bien dit! Merci de cet éclaircissement.

Zekri
| 10-12-2016 21:40
N'est ce pas! Il se raconte que cette équipe était solidaire comme un seul homme à l'exception d'un opportuniste.
Essayons ensemble de deviner de qui il s'agit!

Alex niffer
| 10-12-2016 18:40
On se confesse, on critique, on analyse,on soupçonne, on accuse et on juge mais jamais on propose des solutions concrètes et durable pour aider l économie de s en sortir de ce marasme. Cordialement.

Tunisienne
| 10-12-2016 18:25

Bonsoir,

Je ne crois pas que le propos était de faire le procès de Mehdi Jomaa et son équipe. Mais puisque Monsieur Zekri et vous-même avez abordé la question, il serait peut-être bon de relativiser un peu les choses et de les remettre dans leur contexte.

Nul ne peut nier les réalisations de l'équipe Jomaa et je ne mets pas non plus en doute ce que vous avancez à propos de magouilles des partis actuellement au pouvoir pour écarter Mehdi Jomaa. Cependant, ne perdons pas de vue que cette équipe s'était positionnée d'emblée comme «technocrate» (et continue d'ailleurs à se positionner ainsi !). Par ailleurs, elle était vouée à être provisoire et transitoire et censée calmer le jeu politique avec sa neutralité et la primauté de la logique de compétence de ses membres. Or cette posture ne peut pas être soutenable à l'infini. La phase actuelle nécessite AUSSI et ESSENTIELLEMENT un projet et de l'envergure politiques. Ce sont cette stature et ce type de positionnement qui font actuellement défaut à Jomaa qui continue d'ailleurs à éviter sciemment de se positionner.

En attendant, rien n'empêche tous ceux qui en ont les moyens (la compétence, l'expérience, les relations internationales) et la volonté de continuer à servir (même dans l'ombre) leur pays. Les gratifications et la gloire viendront plus tard !


Salutations

SAMIA
| 10-12-2016 18:13
J'ai gaspillé du temps à lire cet article pourtant j'attends rien de cet ex ministre qui a pris toutes les couleurs et à viré avec tous les vents
D'après la description de E. Latif
ça ressemble à un livre de cuisine où on trouve toutes les recettes sauf celle qu'on cherche... j'aurais du salué s'il a exploité son recul pour trouverez des solutions pour nous faire sortir du gouffre..mais il raconte son histoire et dénombre les bonnes actions de sa fameuse équipe...et nous avons assez d'intelligence pour comprendre pourquoi !!