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Chroniques
De la ''zatla'' pour Sami Fehri
10/10/2011 | 1
min
De la ''zatla'' pour Sami Fehri
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Par Nizar BAHLOUL

Belhassen Trabelsi s’est enfui et son associé est resté. L’occasion est trop belle pour la rater. Il faut qu’il paie ce Sami Fehri. Ce corrompu, cet enfoiré, ce voleur de l’argent du peuple, cet opportuniste, ce nouveau riche. Il faut le mettre en prison, il faut le lyncher et le fouetter en place publique. Il faut que l’on sache, que tout le monde sache, que la Tunisie post-révolutionnaire, la Tunisie des martyrs, la Tunisie du 14-Janvier n’a plus de place pour ce genre de criminels qui ont saigné les Tunisiens 23 ans durant. Ce Sami Fehri doit payer. Lui qui a empêché les compétences d’avoir une place à la télé. Ces compétences, ces lumières, qui seraient devenues des vedettes internationales si Sami Fehri n’a pas pris leur place. Si Sami Fehri n’a pas pris tout l’argent qui était dans les caisses de l’ERTT.

Mais voilà, il se trouve que ce corrompu et ce criminel est toujours dehors dans la nature. Pire, il est culotté. Il n’a pas froid aux yeux. Il n’a pas honte. Il a osé créer une nouvelle chaîne de télévision. Pis encore, sa chaîne réussit ! Elle attire l’audience et fait de beaux programmes. Elle parvient à ramener des leaders politiques de la droite et de la gauche. Des socialistes et des libéraux. Des communistes et des extrémistes. La police leur ouvre les portes pour des reportages de terrain nocturnes et même le porte-parole du gouvernement, ministre de l’Education, se déplace pour aller sur ses plateaux.
La Tunisie post-du 14-janvier marche sur sa tête ! Il faudrait corriger le « maçar » (le parcours) de la révolution et créer de toutes pièces une nouvelle affaire pour liquider ce corrompu de Sami Fehri.
Et voilà donc une nouvelle affaire, encore une. Cette fois, elle est destinée à faire empêcher l’accès aux studios de Cactus et, de fait, l’arrêt de diffusion des émissions d’Attounsiya.
Pourvu que la justice suive le plaignant (l’Etat) et arrête la diffusion de cette chaîne de corrompus et de voleurs destinée à contrecarrer la révolution.

Il y a cependant de quoi s’interroger. Pourquoi se casser les pieds avec toutes ces plaintes et toutes ces procédures judiciaires ? Puisqu’on est d’accord que Sami Fehri est un corrompu, puisque tout le monde est d’accord que Sami Fehri a volé l’argent du pauvre peuple, pourquoi ne pas revenir aux bonnes vieilles méthodes d’antan ? Lui-même l’a suggéré d’ailleurs, car il n’en peut plus de rester libre dehors alors qu’il devrait être en prison comme il le mérite. Qu’on lui mette de la zatla (cannabis) dans sa voiture et qu’on l’attrape en flagrant délit. Comme ça le juge d’instruction ne trouve rien à redire et émet ce satané mandat d’arrêt que tout le peuple réclame.
Tout le monde sera tranquille et on arrête les polémiques. Al Jazeera peut continuer à nous diffuser ses magnifiques reportages journalistiques et Tunis 7 (pardon, la chaîne nationale) peut poursuivre ses débats polémiques d’une richesse qui ferait jalouser les politiques suédois.

Trêve d’ironie, j’en ai trop fait. Mais pas davantage que ceux qui s’acharnent actuellement sur Sami Fehri.
Je ne dis pas qu’il est innocent, je n’en sais rien. Mais je n’ai pas à dire, non plus, qu’il est coupable. C’est à la justice de le dire et les dossiers judicaires du bonhomme suivent leur cours. En attendant, et au vu de l’évolution de ces dossiers, il n’y a rien, absolument rien, de concret qui inculpe clairement Sami Fehri.
Le dernier rapport de la Cour des comptes s’est penché dessus et a relevé les abus de la télé (voir notre article à ce sujet). Cela devrait être suffisant pour donner à tout observateur une idée sur le fond du dossier.
Le doyen des juges d’instruction (c'est-à-dire le meilleur des meilleurs de ce que l’on a) a interrogé durant 12h30 (douze heures trente, un record !) Sami Fehri et n’a pas trouvé d’éléments suffisants pour émettre un mandat d’arrêt.
Sur le plan judiciaire, et à moins que l’on se croit plus informé et plus outillé que le collège des juges de la Cour des comptes et le doyen des juges d’instruction, il n’y a aucune raison de continuer à accuser ce producteur.

La vérité est que si l’on s’acharne contre lui, c’est qu’il fait peur. L’existence de Sami Fehri dérange. Ses productions dérangent. La qualité de ses émissions dérange.
On l’a vu depuis le démarrage de sa télé, malgré ses comptes gelés, malgré le harcèlement qu’il subit de toutes parts, il a réussi à produire des émissions de qualité qui forcent le respect.
Il a réussi à ramener sur ses plateaux de grandes vedettes de la politique, du sport, de la culture et du show-biz. Il a réussi à faire de la « zatla » médiatique. C’est ça qui agace tous ceux qui n’ont plus d’arguments pour justifier leur médiocrité. Avant, on disait « on nous empêche de travailler, on nous censure. »
Et maintenant ? Qu’a fait Tunis 7 (pardon, la chaîne nationale) et les autres chaînes depuis le 14 janvier ? Même le télé-journal est revenu aux habitudes d’antan avec un 20-Heures démarrant à 20h08 par un compte-rendu ennuyeux de 20 minutes sur le déplacement de Béji Caïd Essebsi aux États-Unis. On est en pleine campagne électorale et la chaîne nationale estime que l’événement national est le déplacement du Premier ministre à Washington !
Sami Fehri dérange. Tous ceux qui réussissent à sortir du lot dérangent. Tous ceux qui ne fondent pas dans le moule social classique dérangent. Tous ceux qui deviennent des vedettes dérangent.
Et vous savez ce que l’on fait à ceux qui réussissent en Tunisie ? On n’essaie pas de devenir comme eux, non ! On les casse pour qu’ils deviennent médiocres comme nous !

L’essentiel est ailleurs cependant. Sami Fehri ne pèse rien devant ce qui se trame sous nos yeux et c’est mille fois plus grave que la fermeture de la chaîne. Jugez-en.
Premier élément : Attounsiya appartient à l’Etat à hauteur de 51%. Comment le Contentieux de l’Etat dépose plainte (au nom de l’Etat) contre l’Etat ?
Deuxième élément : Attounsiya a peut-être enfreint les règles de l’ISIE, en diffusant des émissions politiques, mais c’est à l’ISIE de se plaindre et non à l’Etat.
Troisième élément : Le Contentieux de l’Etat estime qu’Attounsiya est une chaîne étrangère (d’où l’interdiction des débats politiques) alors que l’ISIE considère Attounsiya comme une chaîne tunisienne. La preuve, elle est incluse dans son monitoring médias comme on l’a vu dans un reportage télévisé et elle comptabilise le temps passé par les candidats sur cette chaîne.
Quatrième élément : Si, demain, Al Jazeera ou France 24 diffusent un débat politique, qui va-t-on sanctionner ? La chaîne télévisée ou le candidat qui est passé sur ces chaînes étrangères ?
Cinquième élément : Le ministre porte-parole du gouvernement, tout comme le ministre de l’Intérieur et les différentes autres entités de l’Etat, considèrent Attounsiya comme une chaîne à part entière du paysage médiatique tunisien. Pourquoi alors l’Etat cherche à couper le signal d’une chaîne que ses propres ministres fréquentent ?
Sixième élément : On pourra dire que l’Etat est libre de couper le signal d’une chaîne qui lui appartient à 51%. Mais on oublie que le gouvernement actuel, représentant de l’Etat, n’est là que pour 15 jours et va passer le relais à un gouvernement élu. Il n’y a rien qui justifie une telle précipitation.
Septième élément : Le Contentieux de l’Etat a déposé plainte, sur ordre d’une personne ou d’un groupe de personnes dont on ignore l’identité.
Qui a donné l’ordre de déposer cette plainte ? Pas le Premier ministre (à Washington) qui n’aurait certainement pas autorisé ses ministres de fréquenter Attounsiya s’il ne voulait pas de cette chaîne.
Et ce n’est pas la Justice dont les représentants (administrateur judiciaire et juge séquestre) tiennent les rênes de la chaîne et contrôlent Sami Fehri dans ses moindres faits et gestes. Et ce n’est pas la police qui fréquente elle-même cette chaîne.
Huitième élément : Fermer Attounsiya est un très mauvais signal qu’on donne à la communauté internationale et une très mauvaise image qu’on offre en matière de respect des libertés et de la Justice. Qui a intérêt à cela ? Certainement pas le gouvernement ou l’ISIE !

La semaine dernière, je parlais d’un illustre renard qui tire les ficelles dans les coulisses en faisant « fuiter » des informations troublantes. Serait-il le même qui est derrière la plainte de cette semaine ?
On en saura certainement davantage après les élections ! Une chose est certaine, c’est qu’au lieu de parler des candidats, de leurs programmes d’avenir et de la Constitution, on se trouve en train de parler de Kamel Letaïef, de Kamel Morjane et de Sami Fehri.
Chapeau pour la diversion, c’est un coup de maître monsieur renard !
10/10/2011 | 1
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