Par Nizar BAHLOUL

Baghdadi Mahmoudi a donc été extradé. Dimanche à l’aube, en catimini. Pendant que les citoyens observaient encore leur grasse matinée.
Le gouvernement tunisien a déjà annoncé l’extradition de l’ancien Premier ministre libyen depuis le mois de mai. Le gouvernement l’a promis aux Libyens, promesse tenue. Hamadi Jebali croit être entré ainsi de plain pied dans la real politik. Et par son acte, il le prouve. Mais il prouve aussi qu’il manque terriblement d’expérience en la matière. Tout comme l’autre locataire de Carthage qui se pavane au sud en promettant monts et merveilles, alors qu’il n’a de pouvoir sur rien ou très peu.

Baghdadi Mahmoudi était probablement abject quand il était au pouvoir. Il a peut-être ordonné des meurtres et des viols. Certainement, il détestait les islamistes. Sans aucun doute, il aurait agi d’une manière identique s’il était à la place de Hamadi Jebali.
Seulement voilà, la Tunisie a ses traditions. La Tunisie a ses principes. La Tunisie a sa dignité.
Le pire criminel au monde a droit à une justice. Et la Libye, malgré tout ce qu’on dit, n’a pas encore une justice digne de ce nom. Il suffit d’interroger le premier reporter rentrant de Tripoli pour vous le confirmer.
Et quand bien même elle aurait une justice, on n’extrade pas quelqu’un vers un pays qui applique encore la peine de mort. Un pays où la torture demeure toujours un sport national.

Hamadi Jebali a décidé d’extrader Baghdadi Mahmoudi. Il a la mémoire courte et la vision politique encore plus courte.
Il ne s’est jamais donc interrogé pourquoi les Britanniques n’ont jamais extradé les Rached Ghannouchi et Lotfi Zitoun ? Il ne s’est jamais interrogé pourquoi les Français n’ont jamais extradé les Moncef Marzouki et Salah Karkar ?
Pourquoi l’Arabie Saoudite n’a pas extradé Zine El Abidine Ben Ali et le Qatar n’a pas extradé Sakher El Materi ? Pourquoi l'Algérie n'a pas extradé Aïcha Kadhafi ? Pourquoi Foued Mbazâa et Béji Caïd Essebsi n'ont pas extradé Mahmoudi ?
Hamadi Jebali pense que par son acte, il cède à la real politik. Justement, car la real politik exige de lui tout le contraire. Il y va du sens même de l’Etat ! Que les Libyens se fâchent que l’on n’extrade pas Mahmoudi, et alors ? Ils ne vont pas couper les liens ! Ils ne peuvent rien faire sans la Tunisie !
Est-ce que l’on a coupé les liens avec les Qataris ou les Saoudiens ? Hamadi Jebali, lui-même, disait qu’il y avait des choses plus importantes et que l’on ne va pas sacrifier nos relations pour Ben Ali et Materi.
La Tunisie a-t-elle sacrifié ses relations avec la France ou la Grande-Bretagne parce qu’ils ne nous ont pas livré les Islamistes, bien qu’ils sachent qu’ils ne seront jamais condamnés à mort ?
C’est horripilant que Hamadi Jebali use d’excuses pour justifier la position saoudienne ou qatarie et n’en use pas pour justifier sa propre position auprès des Libyens.

Baghdadi Mahmoudi est extradé et l’adolescent politique de Carthage, Adnène M’nasser, sort pour nous dire que la présidence n’en est pas informée et que le président de la République n’a rien signé.
C’est faux et totalement faux. Moncef Marzouki n’a même pas le courage d’assumer. Car il y a quelques semaines, Lotfi Zitoun, dans une émission télé et à la radio, a déclaré publiquement que Mahmoudi allait être extradé et que la décision est prise.
Hamadi Jebali lui-même a confirmé et a déclaré publiquement cela en prenant le soin d’ajouter que le président de la République n’a pas à signer le document d’extradition. Il n’a pas suffisamment de prérogatives pour cela.
De plus, ils étaient ensemble, hier encore, et on doute fort que Jebali n’ait pas dit à Marzouki que Baghdadi Mahmoudi allait être extradé le lendemain.
Que raconte donc Mnasser ? Il prend les Tunisiens pour des idiots ? Qu’il sache que tous les Tunisiens ne sont pas des CPR pour boire ses paroles sans sourciller !
Moncef Marzouki qui a toujours vendu (avec grand succès) son image de militant des droits de l’Homme est maintenant dos au mur. Plusieurs de ses amis savaient parfaitement que son militantisme n’était qu’une image à vendre. Et ils l’ont déclaré publiquement.
C’est à Moncef Marzouki de nous démentir tous, en prenant la seule décision qui s’impose pour un vrai militant des droits de l’Homme : la démission !
Abdelbari Atwen a été le premier à le demander. Tous ceux qui croient en lui, vont suivre.
Idem pour les autres « militants des droits de l’Homme » tels les Samir Ben Amor, Mohamed Abbou et consorts.

Aujourd’hui, les Tunisiens ont la honte par rapport à la décision de leur gouvernement. Moncef Marzouki pourrait les sauver de cette honte. Le fera-t-il ?
Le doute est permis, car il n’a rien à gagner politiquement de cette démission. Ceux qui ont été déjà déçus par Marzouki ne vont pas changer d’avis, suite à cette démission. Le jour du vote, ils ne lui accorderont aucune voix. Ceux qu’il lorgne (la Tunisie profonde) n’ont rien à foutre de Baghdadi Mahmoudi. Peut-être même qu’ils n’ont jamais entendu parler de lui.
A ceux qui lui sont déjà fidèles, il a déjà sa réponse : « le pays a besoin de moi, je ne vais pas laisser les Nahdhaouis gouverner tout seuls, il faut continuer la bataille de l’intérieur. »
N’empêche. Moncef Marzouki aura le bénéfice du doute et on verra, dans les jours qui viennent, s’il est plutôt attaché aux droits de l’Homme qu’à son fauteuil présidentiel. Des paris ?