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Mehdi Mabrouk, ministre tunisien de la culture répressive
23/08/2013 | 1
min
Mehdi Mabrouk, ministre tunisien de la culture répressive
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Le seul acquis de la révolution tunisienne, la liberté d’expression, serait-il sérieusement menacé ? Intimidations et arrestations se multiplient contre les artistes et les journalistes par un pouvoir qui a du mal à accepter concrètement les pratiques démocratiques ordinaires.

Mehdi Mabrouk, ministre de la Culture du gouvernement islamiste dirigé par Ennahdha, renie son passé militant et son discours d’ouverture qu’il a toujours prôné sous le despotisme de l’ancien régime Ben Ali.
Enseignant de sociologie à l’Université de Tunis, il était un collaborateur régulier de l’hebdomadaire d’opposition (PDP) Al Mawkif. Un des très rares journaux, de l’époque, à oser défier Ben Ali et à dénoncer sa politique liberticide.
Même s’il n’était pas de tous les combats, Mehdi Mabrouk était catalogué comme un militant dérangeant de par son appartenance au PDP d’Ahmed Néjib Chebbi depuis 1999.
Au lendemain de la révolution, il a cherché comme beaucoup d’autres en cette période, à récupérer les dividendes de ce militantisme et de son activisme politique.
Ne réussissant pas à s’imposer au sein de son parti, il démissionne avec fracas en septembre 2011 et le descend en flammes. Il lui reproche notamment la politique conciliante prônée par Ahmed Néjib Chebbi qui refusait de mettre tous les RCDistes dans un même sac et de les exclure en bloc.
Pour Mehdi Mabrouk, l’exclusion politique est incontournable dans cette période.

Cette démission lui rapportera les dividendes qu’il recherchait et il sera amplement récompensé par Ennahdha qui le nomme ministre de la Culture dans le premier gouvernement de Hamadi Jebali et dans le second d’Ali Laârayedh.
La société civile démocrate tombe dans le piège et applaudit des deux mains croyant que Mehdi Mabrouk est un authentique progressiste démocrate. Erreur.
Alors qu’avant la révolution, il donnait ses rendez-vous dans un bar (le Café de Paris au centre-ville de Tunis en sait quelque chose), le nouveau ministre devient pratiquant après son entrée au gouvernement.
Il tourne carrément le dos aux artistes et aux créateurs pour défendre aveuglément son régime islamiste.

Juin 2012, une exposition de peinture au palais d’El Abdelliya à la Marsa crée une polémique dans les milieux islamistes, notamment salafistes.
On dit qu’il y avait des tableaux portant atteinte au sacré. Le ministre reprend à son compte ces propos et en rajoute des couches. Il affirme que six tableaux exposés lors de cette manifestation culturelle ont été jugés comme portant atteinte au sacré. Parmi ces six œuvres, il en cite deux, celle du « Cube noir », représentant la Kaâba de La Mecque, et celle de l’écolier au-dessus duquel des fourmis forment l’expression « Sobhan Allah », affirmant que l’écolier est « pendu ».
Dans les milieux artistiques, on s’étrangle car aucun des tableaux exposés n’était offensant à l’Islam. Pire, un des deux tableaux évoqués par le ministre n’était pas exposé en Tunisie, mais au Sénégal. Quant au deuxième tableau, il s’agissait d’après les explications des artistes de fourmis qui sortaient du cartable de l’écolier et que celles-ci représentaient et symbolisaient le travail, une valeur du travail pouvant produire des miracles ou des réalisations grandioses, d’où l’expression « Sobhan Allah» utilisée dans ces cas.
Mehdi Mabrouk ne s’arrêtant pas là, il a dénigré les artistes exposant au palais d’El Abdelliya jugeant qu’ils n’étaient pas qualifiés. Or, en vérité, ces artistes sont reconnus aux niveaux national et international. Ce ne sera pas son seul mensonge.

Depuis cet incident, le ministre a commencé par perdre le capital sympathie qu’il avait dans le milieu artistique et culturel. Son arrogance et son entêtement lui feront perdre la sympathie de son entourage au ministère. Fin juillet 2013, il devra subir des « dégage » à la chancellerie après son refus d’annuler les festivals au lendemain de l’assassinat du leader politique Mohamed Brahmi et de l’assassinat sauvage et l’égorgement de huit soldats tunisiens au Mont Chaâmbi.
Mi-août, Mehdi Mabrouk devient carrément méprisable après sa réaction disproportionnée ayant suivi son agression, avec un œuf, par le réalisateur Nasreddine S’hili.
Ce qui est ailleurs considéré comme une variante d’un entartage classique visant un homme politique a été considéré comme acte terroriste par Mehdi Mabrouk.
Juste après le jet d’œuf, il déclare avoir subi un coup de poing et se dirige à l’hôpital pour se faire ausculter. Sa comédie s’arrête court puisque la scène a été filmée par le journaliste-photographe d’Astrolabe TV Mourad Meherzi empêchant ainsi le ministre de poursuivre son rôle de victime et ses mensonges.
La comédie tourne cependant au drame puisqu’au lendemain du jet d’œuf, Mehdi Mabrouk va déposer plainte contre son agresseur. Le ministère public réagit au quart de tour et arrête, en moins de 48 heures, le journaliste-photographe. Trois jours après, ce fut le tour du réalisateur auteur du jet d’œuf. Ils seront officiellement inculpés et incarcérés à la prison de la Mornaguia, vendredi 23 août 2013, une semaine après l’acte. La société civile, les artistes, les syndicats et même RSF dénoncent, mais Mehdi Mabrouk demeure sourd. Surtout, il est amnésique de ses années de militantisme.

La veille, au Festival de Hammamet, sous sa direction, un groupe de rappeurs est arrêté dans les loges des artistes du Festival. Fethi Heddaoui, le directeur, laisse faire bien que les loges des artistes sont considérées comme sacrées dans le milieu.
Les jeunes rappeurs seront emmenés au poste de police et certains d’entre eux témoigneront de violentes agressions physiques par la police. Ceux présents au Festival témoigneront des agressions verbales et des insultes devant un Fethi Heddaoui imperturbable sur le moment.
Un de ces artistes, Weld El 15, a été arrêté et condamné à la prison ferme, il y a quelques semaines avant de voir sa peine assortie par un sursis, après quelques jours de détention et plusieurs jours de cavale. On lui reproche un texte insultant la police dans un de ses tubes. Pendant tout ce temps, le ministre reste muet.
Paradoxalement, ce même jeune artiste, et malgré ses textes contenant des grossièretés et des insultes, classiques dans les tubes de rap, sera invité au Festival de Hammamet. Un festival qui s’est toujours voulu élitiste et relayant l’art de haut niveau.
Sur la scène de Hammamet, Weld El 15 et autres rappeurs s’en sont donné à cœur joie choquant à merveille une partie du public habitué à des spectacles d’un autre genre et, surtout, à un niveau bien plus élevé. Le ministère de la Culture corrigera son erreur par une autre en laissant faire la police. N’assumant pas son erreur d’avoir invité ces jeunes rappeurs dans un cadre inadéquat, il n’assumera même pas sa responsabilité morale de protéger ses invités de la répression policière.

Mehdi Mabrouk, à l’instar de plusieurs autres membres du gouvernement, a totalement sali son image de militant et droit-de-l’hommiste. Il lui a suffi moins de deux ans pour atteindre ce résultat désastreux.
Un de ses amis du passé témoigne : « J’étais vraiment heureux de le voir au ministère de la Culture. J’ai cru naïvement qu’il allait empêcher toute tentative de mainmise des Islamistes sur le secteur. Non seulement, il n’a rien fait pour le secteur, non seulement il s’est mis à dos la majorité des artistes et créateurs, mais le voilà qu’il encourage et participe à la répression par ego personnel. Il devient carrément et indéniablement le ministre de la culture répressive de ce gouvernement. Dommage, vraiment dommage. »


Raouf Ben Hédi

Copyright photo : Tunivisions
23/08/2013 | 1
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