
Les parents s’imaginent souvent qu’envoyer leurs enfants dans un lycée pilote est une chance inestimable, un raccourci vers la réussite, un ticket d’or pour l’avenir. Ce n’est pas tout à fait faux. Mais ce n’est pas tout à fait vrai non plus.
Comme dans la majorité écrasante des lycées publics, la pédagogie et la psychologie de l’enfant ne sont pas une priorité. Ce qui compte, c’est l’enseignement. Et dans ces lycées-là, on enseigne bien. Souvent. On y sélectionne les meilleurs élèves du pays, on leur assigne les enseignants jugés les plus aptes à s’adapter à leur prétendu génie. Les bacheliers en sortent avec d’excellentes moyennes, nourrissant les promotions de médecins, d’ingénieurs, de futurs énarques. Ceux qui feront la fierté de leur pays. Paraît-il.
Une excellence qui broie
Mais dans quel cadre exige-t-on à ces futures « élites » d’évoluer pendant quatre ans ? Un cadre rigide, souvent étouffant, rarement propice à la construction d’un adolescent sain, épanoui, équilibré. Loin d’être un sanctuaire d’éveil intellectuel ou de développement personnel, ces lycées deviennent des machines à fabriquer des majors, broyeuses de créativité, raboteuses de toute différence, obsédées par les notes. On y apprend à exceller, mais pas à penser. On y prépare à décrocher des diplômes, pas à vivre.
Ce dimanche, des centaines d’élèves ont décroché leur baccalauréat. Parmi eux, comme chaque année, figurent quelques-unes des meilleures moyennes, issues des lycées pilotes. Avec leurs taux de réussite de 100%, ce n’est pas un diplôme qu’ils visent, mais une forme d’excellence... souvent au prix de leur santé mentale.
Le témoignage de la jeune Toumadher Allouche n’est qu’une goutte dans l’océan des énormités que les professeurs débitent, année après année, dans ces établissements. Alors qu’on attend le meilleur de ces élèves, certains enseignants n’hésitent pas à user du dénigrement comme levier de motivation. Ils pensent que l’humiliation pousse à la performance.
Car une fois à l’intérieur, les « 20 » cumulés avec plaisir et fierté deviennent soudainement ordinaires. Bienvenue dans la jungle. Même les cancres ont des 17. Les premiers, eux, doivent gratter des demi-points pour conserver leur trône. Le plaisir d’apprendre laisse place à une compétition acharnée, étouffante. Le mérite devient une guerre de chiffres, où la moindre faute vous coûte votre place dans le carré d’or.
Et les railleries des autres lycéens qui vous traitent de « cosinus » dans la rue, à cause de votre uniforme à petits carreaux ? De doux souvenirs en comparaison de ce qui vous attend à l’intérieur. Car c’est là, dans les salles de classe, que se jouent les véritables blessures : ce professeur qui vous explique, le regard glacé, que malgré vos bonnes notes vous n’irez jamais loin. Cette enseignante qui ricane à votre accent, ce prof d’arabe qui vous traite d’inculte car vous n’êtes plus dans le top cinq. « Toi, faire des maths ? Tu rêves mon petit ».
Sacrifiés sur l'autel du mérite
Les parents, eux, encouragent la performance. Ils poussent leurs enfants à réviser tout le programme en juillet pour « gagner du temps ». À peine les vacances commencées, les manuels sont ouverts et les parascolaires empilés. On sacrifie les après-midis entre amis, la musique, la peinture, le sport, les échecs. L’important, c’est d’avoir 20 en maths et 19 en sciences. Même si, malgré tous ces efforts, on finit par se sentir moins que rien à côté de celui qui aura grappillé un quart de point de plus.
Et gare à ceux qui oseraient préférer le sport ou l’économie. Ces filières n’existent tout simplement pas. La littérature, elle, n’a été introduite dans ces usines à bonnes notes qu’il y a quelques années. Elles n’avaient pas leur place dans les lycées pilotes sous prétexte qu’elles attiraient moins de monde. Vous, tampons de l’élite, devez suivre la voie royale des branches scientifiques. Comme si aimer la philosophie ou l’histoire vous disqualifiait d’emblée de toute forme de réussite.
Ceux qui tiennent le rythme le paient au prix fort. Anxiété, isolement, burn-out. Des mots qu’on commence à peine à reconnaître, mais qu’on a toujours tu. Certains finissent brillants, mais vidés de toute sensibilité artistique, d’ouverture, de culture. D’autres deviennent les meilleurs du système, sans jamais en comprendre le sens.
Ceux qui s'en sortent le font malgré tout
Et ceux qui s’en sortent vraiment le font malgré le lycée pilote, pas nécessairement grâce à lui. Ils ne doivent pas leur réussite à ce système élitiste et rigide, mais à leur propre résilience. Ceux-là auront appris à ne prendre que le meilleur et à encaisser les humiliations sans se briser. Ils auront développé leur propre regard critique malgré l’endoctrinement de la performance. Ils auront cherché la beauté, la culture, la lecture, dans les marges, dans les interstices de ce système. Ils auront compris, parfois trop tard, que les bons points ne remplacent pas la curiosité, l’ouverture d’esprit ou l’estime de soi.
Oui, car ce système, s’il n’est pas totalement à jeter, est à revoir et à repenser. Le cadre dans lequel on forme ceux qu’on destine à être « les plus performants » et « les mieux formés » de demain ne devrait pas se contenter de les opprimer, mais bien les aider à tirer le meilleur d’eux-mêmes.
Même des années plus tard, devenus adultes, nombreux sont ceux qui gardent le souvenir amer d’une remarque jamais oubliée, d’un regard qui rabaissait, d’un prof convaincu que l’humiliation forgeait le caractère. Et qui, au fond, n’a jamais compris que l’intelligence ne se mesure pas uniquement en points. Ceci n’est évidemment pas automatique : certains professeurs arrivent à se démarquer et à forger des générations à force de bienveillance et d’encouragements utiles. Mais le système, lui, est conçu pour les broyer.
Oui, les lycées pilotes produisent des premiers de la classe. Mais à quel prix ?
* Synda Tajine, ancienne élève du lycée pilote de Sousse
Où ils font connaissance!
Voilà, ce sont nos enfants qui veulent partir, pas besoin ni de comploteurs ni des représentants d'une quelconque chancellerie étrangère pour les emmener ailleurs. Ils veulent tout simplement partir et laisser la médiocrité pourrir derrière eux.
Et c'est compréhensible.
Ces lycées pilotes ne seraient-ils pas également un "vivier" ou viendraient pêcher les "chasseurs de têtes" des universités étrangères pour identifier les "meilleurs" éléments et leur faire miroiter un avenir "resplendissant" après un financement (direct ou indirect) de leurs études à l'étranger et s'accaparer ainsi des talents identifiés "à la source" ?
Dans ce pays où la corruption peut atteindre des proportions aussi considérables que désastreuses pour la nation. Il ne faudrait pas négliger ce type "d'infiltration" insidieuse.
Bref, notre école a été conçu sur le principe de la compétition et la sélection dès le départ. Cette approche a été interiorisée par les citoyens et érigée en dogme. Les parents demandent avec insistance aux enseignants de placer leurs progénitures aux premiers bancs. Tous! Ils mettent une pression terrible sur leurs enfant en exigeant qu'ils soient premiers en tout! La vie de famille est consacrée à "l'étude". C est ainsi que notre école ne connaît plus et ne s'occupe plus de la vie scolaire et de l'épanouissement. Tout est devenu bachotage, surtout dans les matières scientifiques qui rapporte gros (à haut coefficient).
Les lycées pilotes s'inscrivent dans cette démarche. Les enseignants sont triés sur leur compétence sans aucun avantage par rapport à leurs collègues dans les lycées dont la compétence est pareille. Pour être juste, des enseignants préférent exercer dans des lycées ordinaires pour ne pas subir cette grande pression qui résulte de l'exigence de qualité, de disponibilité et de dévouement à toute épreuve. Etre remercié de l'école pilote serait mal vu et mal vécu par l'enseignant. La pression est sur tous les intervenants. Mais là où le bas blesse, c'est que toute cette opération n'est pas accompagnée par un encadrement psychologique. C'est tout de même frappant. Là où je n'étais pas d'accord c'est son extension à l'âge de 12 ans. Je n'ai pas connaissance d'études sérieuses faites sur la viabilité et la pertinence de ce choix, comme pour l'annulation et la réhabilitation de l'examen de 6e. Jai débattu ces questions et bien d'autres dans mon livre paru aux Editions Arabesques en 2021.

