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Tribunes
Il paraît que c’est l’Aïd...
31/03/2025 | 16:38
3 min
Il paraît que c’est l’Aïd...

 

Par Ramla Dahmani Accent*

 

Il paraît que c’est l’Aïd.

Il paraît que c’est un jour de fête.

Il paraît que c’est un jour de paix, d’amour, de miséricorde.

Il paraît que les familles se réunissent, que les enfants reçoivent de l’agent, que les maisons sentent le sucre et l’encens, que les prières s’élèvent.

Il paraît.

Chez nous, c’était la prison.

Chez nous, ce matin, papa et Mehdi sont allés voir Sonia.

Comme chaque lundi.

Comme on monte à l’échafaud.

Et c’est là qu’il faut comprendre.

Le jour de l’Aïd, les portes de la prison s’ouvrent exceptionnellement aux familles pour cinq minutes symboliques. Mais ceux dont le parloir tombe ce jour-là gardent leurs quinze minutes.

Et ce lundi, jour de l’Aïd, c’était justement le jour du parloir de Sonia.

Alors papa et Mehdi ne venaient pas pour cinq minutes de fête.

Ils venaient pour quinze minutes de droit.

Après une longue attente, ils l’ont enfin vue.

Cinq minutes plus tard, on leur a dit que c’était fini.

Mehdi a dit non. Sonia a dit non.

« Ce n’est pas un parloir de l’Aïd, c’est notre jour. On a droit à quinze minutes. »

Mais les droits, ici, on les crache.

On les piétine.

Et là, le gardien a explosé.

Il a hurlé. Sur Mehdi. Sur mon père. Sur Sonia.

Comme s’ils l’avaient insulté en réclamant ce qui leur appartenait.

Il paraît que c’est l’Aïd.

Mehdi a crié aussi. Sonia a crié aussi.

Parce qu’on leur arrachait ces quinze petites minutes, leur seul souffle d’humanité dans l’horreur.

Le gardien a poussé Mehdi.

Quand Mehdi a tenté de partir, il l’en a empêché en l’attrapant par le bras, lui a confisqué sa pièce d’identité et a couru au bureau de la directrice, créant encore plus de tension.

Mon père, 82 ans, a dû assister à cette scène. Impuissant.

Il paraît que c’est l’Aïd.

Et Sonia a été arrachée à eux dans les cris, dans la brutalité, dans l’absurde.

Ils n’ont même pas pu se dire au revoir.

Ils ont emporté Sonia comme on emporte une chose.

Et son cri a été la dernière chose qu’ils ont entendu en partant.

Voilà notre Aïd.

L’administration de la prison a dit « oublions tout ça il ne s’est rien passé. Rentrez chez vous »

Quel mot obscène. Quelle ironie cruelle.

Ce qui s’est passé est à vomir.

Il paraît que c’est l’Aïd.

Alors non, ce n’est pas un aïd.

C’est une blessure. Une de plus.

Une trace de plus sur nos corps, sur nos cœurs, sur notre rage.

Et vous, vous qui lisez, vous qui regardez, vous qui savez…

Ne vous y trompez pas : ce qu’on nous fait, ce qu’on leur fait, ce qu’on fait à Sonia, peut être fait à n’importe qui.

La cruauté ne fait pas de tri. Elle s’exerce, elle s’entraîne, elle s’étend.

Si vous ne criez pas maintenant, vous crierez plus tard.

Mais vous serez seuls. Parce que nous serons tous prisonniers.

Nous, on criera tant qu’on aura de la voix.

Tant qu’on aura du souffle.

Tant que Sonia sera derrière ces murs.

Tant que la peur voudra s’installer, on hurlera pour l’en chasser.

Parce que même dans l’humiliation, même dans l’horreur d’un Aïd piétiné, il nous reste ça :

La colère.

Et l’amour.

 

  • Ramla Dahmani Accent est la sœur de la prisonnière politique Sonia Dahmani, en détention depuis le 11 mai 2024
31/03/2025 | 16:38
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Commentaires
Douss
Détention de sonia
a posté le 03-04-2025 à 00:28
Ce texte est très émouvant,sonia,je devine votre atroce souffrance,mais il faut vivré,'?'que vous sortiez pour exprimer tout cela et faire dominer l,amour des votres,de la vie..,dénoncer,au monde entier ces comportements inhumains. Et triompher'?'?'de tout coeur près de vous.