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Faut-il dévaluer le dinar tunisien ?
24/09/2012 | 1
min
Faut-il dévaluer le dinar tunisien ?
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Par Ezzeddine Saidane*

Des bruits ont couru au début du mois de septembre courant concernant l’intention qui serait prêtée aux autorités monétaires de dévaluer le Dinar de 10%. Il est important de rappeler à ce propos que, dans ce domaine, les rumeurs peuvent produire des effets négatifs même si la rumeur n’est pas suivie d’une décision dans le même sens. En effet, une rumeur de dévaluation est tout de suite intégrée dans les anticipations, et donc les décisions des opérateurs. Elle peut ainsi produire les effets négatifs (dévastateurs), sans produire d’effets positifs.

La monnaie est le miroir de l’économie :

La monnaie d’un pays est supposée être le miroir de ce qui se passe au niveau de l’économie de ce pays. En effet, si les performances de l’économie sont bonnes, la monnaie du pays concerné a tendance à se renforcer. Mais la réciproque est vraie aussi. Si l’économie montre des signes de faiblesse, et notamment en matière d’inflation (différentiel d’inflation par rapport aux pays partenaires) et de productivité (différentiel de gains de productivité par rapport aux pays partenaires), ces faiblesses se reflètent ou devraient se refléter au niveau de la parité monnaie nationale (cours de change).

Le communiqué de la Banque Centrale du 3 septembre 2012 :

Voici le texte intégral de ce communiqué :
« Suite aux rumeurs qui ont circulé sur les réseaux sociaux et dans certains médias concernant l’intention de dévaluer la valeur du dinar tunisien, la BCT dénie ces informations infondées et insiste sur son rôle de défenseur de la monnaie nationale et sur sa volonté de garantir une valeur juste du dinar reflétant les fondamentaux économiques du pays. »

Je ne ferai pas de commentaires sur la forme de ce communiqué. Quant au contenu, la phrase qui retient l’attention est la suivante : « … sa volonté de garantir une valeur juste du dinar reflétant les fondamentaux économiques du pays ». Il faut remarquer, en premier lieu, que cette phrase est incomplète. En effet une « valeur juste du dinar » doit refléter non seulement les fondamentaux économiques (ceux de la sphère réelle), mais aussi les fondamentaux monétaires, inflation, déficit budgétaire, équilibres (ou déséquilibres) financiers extérieurs, etc. Il faut noter, en deuxième lieu, que tel que rédigé, le communiqué confirme implicitement la volonté de la Banque Centrale de continuer à déprécier la valeur de la monnaie nationale (dévaluer) en utilisant la méthode dite du « glissement » (par opposition à dévaluation). En effet, les fondamentaux de l’économie tunisienne (taux de croissance, taux de chômage, taux d’investissement, taux d’épargne, déficits de la balance commerciale et de la balance des paiements courants, taux d’inflation, déficit budgétaire, endettement extérieur, réserves de change, etc.) continuant de se détériorer, il est normal (nécessaire) que la monnaie (miroir de l’économie) reflète ces fondamentaux et se déprécie.

Dans le cas où les autorités monétaires choisissent, pour des raisons qu’il faut toujours chercher à déchiffrer, de ne pas déprécier la monnaie malgré les mauvaises performances de l’économie, le résultat peut être dramatique. En effet, un tel choix handicape les exportations, facilite et encourage les importations, gonfle le déficit commercial, favorise la consommation aux dépens de l’épargne, et en somme détruit les fondamentaux et peut mener jusqu’à la banqueroute (exemple de l’Argentine et plus récemment la Grèce).

Dévaluer ou faire glisser

Quand l’économie va mal, il est donc impératif de déprécier la monnaie nationale afin de protéger les équilibres de la balance des paiements, et notamment sa composante commerciale. La question est par contre de savoir s’il vaut mieux dévaluer ou faire glisser.

La dévaluation se fait au moyen d’une décision prise par un Etat souverain de modifier la parité de sa monnaie nationale par rapport aux monnaies de ses principaux partenaires. Il s’agit donc d’une décision annoncée publiquement comportant le pourcentage de baisse de la valeur de la monnaie nationale et qui produit son effet sur le taux de change de manière instantanée et brutale. Il est évident qu’une telle mesure ne doit jamais être annoncée d’avance, ni même soupçonnée par les opérateurs. L’objectif poursuivi par une telle décision est de tenter de rétablir l’équilibre de la balance commerciale et celui de la balance des paiements courants. La dévaluation a en effet pour objectif de favoriser les exportations de biens et services en améliorant leur compétitivité, et de décourager les importations en rendant les prix des biens et services importés, exprimés en monnaie locale, plus élevés. Cet ajustement nécessite quelques mois pour se matérialiser et produire pleinement ses effets. Mais seul un gouvernement fort, soutenu populairement, jouissant de la confiance de la population peut prendre une telle mesure. L’autre possibilité consiste à faire glisser doucement la parité de la monnaie.

Le glissement, contrairement à la dévaluation, n’a pas besoin d’une décision annoncée. Il est exécuté par la Banque Centrale, via son intervention sur le marché des changes. La parité de la monnaie nationale baisse, petit à petit et de manière continue, jusqu’à atteindre le niveau de taux de change souhaité. Il est évident qu’un tel ajustement de la parité de la monnaie a « l’avantage » d’être moins visible, et donc moins douloureux car étalé dans le temps. Il a par contre l’immense inconvénient de ne réaliser que très partiellement l’objectif d’ajustement de la balance des paiements (et notamment la balance commerciale), et de rétablissement des équilibres extérieurs.

La gestion de la parité du Dinar depuis le mois de janvier 2011
L’analyse des cours en compte de l’Euro et du Dollar US, les deux principales monnaies formant le panier sur lequel est basé le Dinar, et donc les deux principales monnaies de paiements extérieurs de la Tunisie, (et de réserves de change) montre que le Dinar était resté pendant longtemps surévalué. Il demeure surévalué à ce jour. Cette surévaluation, en plus des réductions successives du taux d’intérêt directeur de la Banque Centrale, a produit des effets négatifs sur les fondamentaux économiques et monétaires de la Tunisie. Plutôt que d’utiliser des modèles compliqués qu’il serait difficile d’exposer ici, nous avons choisi une méthode simple mais significative pour suivre et analyser l’évolution de la parité du Dinar. Nous avons en effet suivi la valeur en Dinars du couple Euro-Dollar (1 Euro+ 1 Dollar US) sur toute la période janvier 2011 – septembre 2012.

Pendant cette période, le Dinar est resté stable contre le couple Euro-Dollar de janvier 2011 (3.3549 au 18 janvier) à septembre 2011 (3.3598 au 15 septembre 2011), avec une même légère appréciation du Dinar contre le couple Euro-Dollar en juillet et août 2011. Ceci veut dire en fait que les performances de l’économie tunisienne étaient négatives, que les fondamentaux se détérioraient sensiblement, mais la monnaie nationale, supposée être le miroir de l’économie, n’avait pas reflété ces performances négatives. Ceci, couplé aux réductions successives du taux d’intérêt (jusqu’à rendre le taux d’intérêt réel négatif) a handicapé nos exportations, a encouragé les importations de biens de consommation), a élargi les déficits de la balance commerciale et de la balance des paiements courants, a contribué à l’effondrement de nos réserves de charge, etc.
L’analyse montre qu’une action de correction a été engagée à partir d’octobre 2011 pour durer jusqu’à août 2012. En effet le Dinar a été déprécié (par glissement) pendant cette période (octobre 2011 – août 2012) d’environ 7,5 % (oui 7,5%). Cette dépréciation semble refléter les performances négatives de l’économie tunisienne pendant la même période mais ne corrige pas la dépréciation qui aurait dû avoir lieu pendant la période janvier – septembre 2012.
En outre le Dinar semble s’apprécier encore légèrement pendant la première moitié de septembre 2012.
Le Dinar continue donc à être surévalué. Une correction s’impose afin de préserver les fondamentaux et les équilibres de l’économie tunisienne. En outre, le taux d’intérêt doit impérativement être corrigé sensiblement à la hausse. Un taux d’intérêt réel négatif n’est simplement pas soutenable. Quelle forme va prendre la correction de la parité du Dinar (dévaluation ou glissement) ? Les autorités monétaires nous le diront bientôt.

*Expert économique et financier, ancien PDG de l'Arab Banking Corporation
24/09/2012 | 1
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