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Chroniques
Le piège
27/03/2014 | 1
min
Le piège
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Par Mourad El Hattab*

Après avoir pris conscience de l’ampleur du gouffre dû à l’héritage de la gouvernance socioéconomique calamiteuse de la troïka, les Tunisiens retiennent leur souffle. Les défis pour sortir d’une crise monétaire et financière, sans précédent, sont de taille. La situation sociale n’est pas rassurante et la réconciliation entre les attentes des populations en grande souffrance et les obligations des nouveaux gouvernants pour redresser la barre est une équation difficile à résoudre.

Rappelons que dernièrement, la Tunisie a obtenu un concours financier multilatéral conséquent notamment du Fonds Monétaire International, de La Banque Mondiale, de La Banque Européenne d’investissement, de La Banque Africaine de Développement et d’autres bailleurs de fonds. Globalement, l’enveloppe empruntée pourrait s’élever à 4,1 milliards de Dollars U.S soit 6,5 milliards de Dinars et ce, dans un laps n’ayant pas dépassé deux mois : une situation sans précédent.

A l’unanimité, les partenaires financiers du pays, applaudissant la nécessité d’ancrer en Tunisie les jalons d’une croissance inclusive, pensent que la réduction des déficits budgétaire et extérieur, le rationnement des subventions destinées dans une large mesure à la consommation des classes défavorisées ainsi que la restructuration du système bancaire, dans son ensemble par une injection massive de fonds, sont des préalables indispensables à tout changement garantissant la solvabilité du pays.

Dans la même ligne de conduite, on préconise l’adoption d’une politique monétaire restrictive, la révision du régime de change, la résorption progressive des résultats comptables négatifs cumulés des institutionnels et l’accélération des réformes fiscale et sociale.
Néanmoins et selon les acteurs de la société civile et plusieurs économistes, ces ajustements pourraient avoir un coût social transcendant, en termes de coupes budgétaires, qui atteindrait, probablement, 4500 millions de Dinars.

L’ampleur du gouffre
L’évaluation des déficits enregistrés au niveau des comptes nationaux, à fin 2013, a dépassé toutes les estimations des dégâts jusque là évoqués par les analystes économiques et financiers. En effet, selon le document faisant état des résultats provisoires de l'exécution du budget de l'Etat au titre de l’année écoulée et émanant du Ministère de L’Economie et des Finances, le solde budgétaire, compte tenu des revenus des privatisations, des dons et des recettes des confiscations, était de -2.966,5 millions de Dinars.

Sur un autre plan et selon les chiffres publiés par l’Institut National de La Statistique, le déficit extérieur du pays a atteint, à fin décembre 2013, un record historique de -11.808,1 millions de Dinars. Le déficit de la balance des paiements courants était de 6.148,9 millions de Dinars. Ainsi, le total des déficits jumeaux a culminé à 9.115,4 millions de Dinars. Des chiffres « officiels » à donner le vertige et passant outre tout commentaire.

La liquidité a été impactée de plein fouet suite à l’enregistrement des déficits macabres présentés. A ce niveau, le volume d’intervention de La Banque Centrale de Tunisie sur le marché monétaire était, au 31 décembre 2013, de 4.786 millions de Dinars pour résorber l’écart entre les ressources et les emplois du système financier et ce, afin de permettre aux établissements de crédit et aux institutions similaires d’assurer le financement de l’économie. En somme, le trou frôlait donc les 14.000 millions de Dinars.

Les issues

Il est clair que le champ d’action du gouvernement actuel est très restreint pour résorber un déficit qui a dépassé, en réalité, le seuil fatidique de 12% du produit intérieur brut. D’autant plus que le recours supplémentaire à des emprunts extérieurs, quelle que soit leur maturité, relève du suicide dans le sens où le service de la dette pourrait hypothéquer définitivement la soutenabilité de la gestion des charges de fonctionnement de L’Etat.

Une autre variable qui compliquerait, éventuellement, la tâche des nouveaux gouvernants réside dans le fait que drainer de l’investissement, en l’absence jusque là d’un cadre réglementaire pertinent et par rapport à des turbulences politiques sans fin, exige qu’un cycle bien défini, dans le temps et dans l’espace, soit établi. Ce, pour amorcer au moins à court terme et partiellement des grands projets stimulant la demande et accélérant, en conséquence, la formation du capital et des richesses.

La variable la plus pesante de cette équation douloureuse pour sauver le pays d’une situation de défaut et de confusion, est d’ordre social. En fait, il a été montré sur le plan macroéconomique que l'utilisation du déficit budgétaire pouvait influencer la demande des agents économiques, notamment, en termes de consommation, de niveau de vie des ménages et d’investissement. Ce qui accélèrerait la spirale de la dépression sachant que le niveau de l’épargne national est en position de dégradation.

En suivant la typologie des politiques économiques appliquées en cas de chocs, il a été recommandé d’agir sur trois axes de relance. Ces axes sont : la stabilisation de l'activité à travers le lissage du cycle économique en le considérant comme un phénomène d'équilibre et d’ajustement de la synergie sectorielle, la distribution équitable des ressources sociales en puisant dans les niches du recouvrement fiscal et des cotisations et la promotion d'un sentier de croissance basé sur l'accumulation du capital.

Il est fondamental d’éviter l’arbitrage entre les objectifs susmentionnés vu le risque de la perte de soutenabilité de la politique budgétaire ce qui réduirait, fort probablement, son efficacité au regard de tous les objectifs.

La Tunisie est aujourd’hui une tragédie écrite d’avance. La logique de l’absurde était déjà bien enclenchée durant les années 2012-2013. Il s’agissait en effet d’une gouvernance qui a mené à l’asphyxie de l’économie en la condamnant forcément à la récession, et de facto, à l’incapacité pour plusieurs années à vivre un essor répondant aux besoins des Tunisiens.

La mission Jomaâ et son équipe pour limiter l’explosion du chômage et de la pauvreté et éviter le risque d’une guerre civile ne doit en aucun cas miser sur des choix de rigueur aveuglants. D’après les expériences vécues dans plusieurs pays, ces choix n’ont conduit qu’aux grandes impasses de l’austérité telles qu’elles sont tracées sciemment.

La priorité aujourd’hui est à l’ouverture d’un grand débat sur les questions brûlantes en terme d’intérêt national, l’association des partenaires sociaux à assumer leurs engagements face aux dites questions et l’implication des experts de tout bord. Il s’agit de piliers servant à mettre en œuvre des plans d’action réalistes et réalisables.

*Spécialiste en gestion des risques financiers
27/03/2014 | 1
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