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Chroniques
L'éclatement de la Troïka nous mènera-t-il à la dictature ?
08/01/2012 | 1
min
L'éclatement de la Troïka nous mènera-t-il à la dictature ?
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Par Radhouane SOMAÏ

Des triumvirats (mot plus joli que le bolchévique « troïka »), l’histoire de l’Antiquité en retient deux. Le premier met fin à la République romaine et aboutit à la dictature de Jules César, le deuxième finit par le sacre d’Octave, futur empereur Auguste. Plus proche de nous dans le temps, le Consulat entre les mains de Bonaparte, Sieyès et Ducos renforce le pouvoir du futur Napoléon 1er.
Petit exercice de style, dans une contre-utopie postrévolutionnaire, qui seront nos Pompée- Crassus, Marc Antoine - Lépide ou bien Sieyès- Ducos ? Les loosers de la révolution sont : roulement de tambour, Mustapha Ben Jaâfar et Moncef Marzouki, haut la main…

L’idée que deux partis estampillés « démocrates et séculiers » puissent servir de gardes–fous aux islamistes était séduisante. Ettakatol et le CPR, deux minuscules partis auréolés par la réputation d’opposants implacables au régime dictatorial (en mode mineur pour le premier), ont fait une percée remarquable lors de la campagne électorale. Petit coup de pouce du sort ou du mode de scrutin, ils se partagent un nombre non négligeable de sièges.
Maintenant, si on se fie aux bisbilles et guerres intestines qui ravagent ces deux formations, on peut conclure qu’elles n’auront été que des plateformes de lancement pour mettre Mustapha Ben Jaâfar et Moncef Marzouki sur orbite. Objectif présidence et peu importe si la fusée explose en vol.

Marzouki président, personne ne tient plus la maison CPR qui n’a de congrès que le nom. Le parti se mue en un Ennahdha bis, pendant que l’aile social-démocrate cuve sa débandade et que Tahar Hmila tire sur tout ce qui bouge. Ettakatol n’a plus de bloc que son nom lui aussi. Personne ne contrôle plus l’électron libre Khemaïs Ksila et de nombreux militants se sentent floués par les décisions stratégiques de MBJ. Il ne fallait pas se leurrer par les dizaines de milliers de militants qui constituent ces deux formations. Cela n’aura été, finalement, que deux gros poulets nourris aux hormones sans saveur ou idéologie pour cimenter les troupes.

Pendant que les benjamins de la Troïka se donnent en spectacle, le grand frère, lui, ne dévie pas de son chemin. Les militants d’Ennahdha avancent en rangs serrés, comme des légions romaines. Ordre, discipline, sens de la hiérarchie, même si les bruits de couloir annoncent quelques dissensions internes, en public rien ne transparaît. Finis aussi les dérapages incontrôlés, les déclarations improvisées obligeant Samir Dilou à faire le nettoyage après-coup. Le discours est mijoté à l’avance. Même le fantasque Moncef Ben Salem est revenu sur quelques-unes de ses certitudes et s’est découvert une tendresse émouvante pour Bourguiba et les juifs.
Ennahdha cède quelques strapontins ministériels (les moins stratégiques) à ses partenaires en misant sur leur auto-sabordement. Mais aussi sur leur propre détermination. Et les exemples historiques cités plus haut montrent que dans ce genre de situation c’est souvent le plus énergique, ambitieux, obstiné, cynique qui gagne à la fin. Mustapha Ben Jaâfar qui révise ses idéaux contre un titre « honorifique » de président de l’ANC n’entrera pas dans l’Histoire. Déjà que les élus d’Ennahdha pensent lui avoir fait trop de concessions et manigancent dans les coulisses pour lui barrer la route à la présidence de la commission en charge de la rédaction de la Constitution. Car il est « un danger pour l’identité arabo-musulmane du pays », rien que ça.

Concernant Moncef Marzouki, il est à parier qu’il se coulera tout seul. Nommé président provisoire de la République avec des prérogatives très limitées comme dans tout régime parlementaire (vers lequel on se dirige), le sémillant docteur n’arrive pas à se faire une raison. Comme pour les présidents, italien, allemand ou autrichien, Moncef Marzouki devait se contenter de faire le beau devant les caméras lors des cérémonies officielles, apposer sa signature sur quelques traités, et être une sorte d’objecteur de conscience quand l’Etat dérive des valeurs humanistes. Sauf que monsieur le président veut être un vrai président. Une dose de cynisme pour arriver à ses fins ne le rebute plus. Et si l’extradition de Baghdadi Mahmoudi peut servir le rapprochement voulu avec la Libye, lui le farouche opposant à la peine de mort, n’y voit aucun inconvénient. L’homme qui n’est pas à une toquade près (burnous, « séfirate », palais présidentiels, France, Libye, vœux de fin d’année…) est clairement en campagne pour les prochaines élections.
Hamadi Jebali n’a pas rappelé son président à l’ordre. Pour la simple raison que le spectacle de ce dernier ne convainc personne. Son attachement soudain et racoleur à l’identité arabo-musulmane, lui dont l’agnosticisme est connu de tous dans les cénacles politiques, scelle le désamour avec ses sympathisants de toujours et peinera à lui attirer le vote populaire.

La concurrence sur le créneau du populisme sera très rude. On a eu beau nous dire que le clivage droite/gauche est anachronique, après quelques hésitations et promesses fleuries, le projet d’Ennahdha s’inscrit clairement dans un projet de société ultraconservateur et ultralibéral. Les sociaux-démocrates du CPR et d’Ettakatol très mal à l’aise par le rejet d’une grande partie de l’opinion publique des valeurs de la gauche ont tenté d’arrondir les angles. Des concessions qui n’auront fait que renforcer les islamistes. Des islamistes, eux, droits dans leurs bottes, décomplexés et dont l’aile dure n’hésite plus à afficher son nationalisme exacerbé teinté de xénophobie, ses velléités expansionnistes…
Khomeiny avait manipulé la gauche iranienne le temps d’asseoir sa mainmise sur l’Iran. L’analogie avec le contexte tunisien serait certes approximative, le Guide de la révolution iranienne ayant vraiment mené la contestation contre le Shah depuis Neauphle-le-Château, son charisme et son magnétisme étant sans commune mesure avec ceux de Rached Ghannouchi, mais nous pouvons légitimement nous demander ce qui empêcherait Ennahdha délestée de ses alliés de sombrer dans un régime autoritaire.
La bourgeoisie d’affaires après quelques hésitations s’est fait une raison. Des médias adeptes du « le roi est mort, vive le roi » ont vite fait de montrer patte blanche au nouveau pouvoir. Les autres agacent fortement le gouvernement. Avec une conception très particulière de la liberté de la presse, Hamadi Jebali a décidé ni plus ni moins (et c’est une première dans les annales) de NOMMER les rédacteurs en chef des médias publics, ou plutôt gouvernementaux. L’idée que se font les nouveaux maîtres de la Tunisie de l’indépendance de la justice est tout aussi particulière, rejetant le principe d’une instance judiciaire supérieure élue et en optant pour une instance formée par la Constituante et sous sa tutelle. Nous avons rêvé d’une police républicaine qui ne serait plus le bras répressif du pouvoir mais force est de constater que les victimes et les bourreaux d’hier se tapent déjà sur le ventre…

Nous ne parlerons pas de l’opposition qui roupille en rêvant de se constituer en bloc uni (et allez comprendre comment les anciens communistes d’Ettajdid pourraient s’entendre avec les libéraux d’Afek), ni du rôle de l’armée et de la première visite officielle du Général Ammar, au Qatar (l’auteur de ces lignes n’est pas téméraire).
Il ne nous reste plus qu’à nous poser la dernière question : qui empêchera Ennahdha de sombrer dans la dictature ?
08/01/2012 | 1
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