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Messieurs les juges, expliquez-nous !
08/08/2011 | 1
min
Messieurs les juges, expliquez-nous !
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Par Nizar BAHLOUL


Saïda Agrebi est aux Champs-Élysées en train de se balader, Béchir Tekkari est chez lui et Abderrahim Zouari attend sa sortie. En trois jours, ces trois informations - coïncidant avec le procès spectaculaire de Hosni Moubarak - ont été suffisantes pour mettre le pays en émoi. Il est intolérable, pour beaucoup, de voir dehors des « symboles du régime déchu ».
Suffisant aussi pour que l’Association tunisienne des magistrats monte au créneau, via son président Ahmed Rahmouni, et demande "l'ouverture d'une enquête administrative indépendante" sur les circonstances ayant entouré les décisions de libération des deux anciens ministres, Béchir Tekkari et Abderrahim Zouari ainsi que la facilité fournie à certains symboles de l'ancien régime de s'enfuir à l'étranger, à l'instar de Saïda Agrebi.
L’association menace d’observer une grève illimitée et se donne une semaine pour dresser une liste des magistrats corrompus ou impliqués dans des procès politiques et de liberté publique ou encore rattachés au parti du Rassemblement constitutionnel et démocratique dissous.

L’évasion de Saïda Agrebi a de quoi étonner, la libération de Béchir Tekkari aussi. Tout comme celle de Abderrahim Zouari, mais aussi celles des salafistes qui ont agressé des avocats et des artistes, de l’omda de la Soukra, des responsables de l’attentat de Soliman et bien d’autres cas.
Si toutes ces affaires sont étonnantes, c’est parce que nous avons du mal à comprendre le fonctionnement de la machine judiciaire et le travail pointilleux des magistrats.
Mais ce qui est encore plus étonnant que toutes ces affaires, c’est le communiqué incendiaire de l’association des magistrats.
Voilà donc une association qui appelle à une grève illimitée, contraire à toutes les lois régissant le secteur (le fameux article 48). Il n’y a qu’en Tunisie où l’on entend parler d’une grève des magistrats ou des agents de l’ordre. Du jamais vu !
Mais encore plus étonnant, c’est cette liste des magistrats corrompus que l’association va divulguer.
Ahmed Rahmouni and co ont donc attendu sept mois pour nous livrer cette liste ? Sans procès, sans rien, on va donc dénoncer en une semaine ce qu’on a caché pendant sept mois ! Super !
Et puisque le tabou est levé et qu’on parle de magistrats corrompus, allons y jusqu’au bout de cette idée et interrogeons-nous s’il n’y a pas de juges corrompus parmi les membres, les adhérents et les sympathisants de l’AMT qui va dresser la liste de leurs confrères corrompus. La meilleure défense étant l’attaque, c’est le premier qui dénoncera l’autre qui sera donc « blanchi » au milieu de cette cacophonie.

En cette période si délicate, certains corps de métier gagneraient à garder la raison. On parle de la pression de la rue et il est tout à fait normal que la rue soit impatiente de voir les procès des symboles de la corruption. Mais il est du devoir de ces corps de métier, tels les journalistes ou les magistrats, de ne pas céder à cette pression (quitte à être à contre-courant) et de ne faire valoir que la vérité et la justice 100% équitable.
A moins qu’il ne soit corrompu (ce qui reste à prouver), Tahar Yeferni, le juge qui a ordonné la libération de Béchir Tekkari et de Abderrahim Zouari s’est inscrit dans cette démarche et a illustré la justice sourde et aveugle. C'est-à-dire équitable. Il avait devant lui des dossiers bien ficelés par les avocats et, selon les dires de ces avocats, les dossiers seraient vides ! Idem quand on écoute les déclarations des avocats d’autres symboles de l’ancien régime, tels Abdelwaheb Abdallah, Abdelaziz Ben Dhia ou Abdallah Kallel.
Que peut faire un juge intègre face à un prisonnier dont le dossier est vide ? Que toute personne qui s’estime honnête et droite dise, en toute âme et conscience, ce qu’elle aurait fait à la place de Tahar Yeferni ?

Pour les observateurs et l’homme de la rue, il est inconcevable et inimaginable que ces anciens ministres et conseillers soient « blancs ». Mais un magistrat ou un journaliste consciencieux ne travaille pas avec « on dit que », mais avec des preuves et des dossiers.
Ce qu’il faut pour juger les symboles de l’ancien régime, c’est « remplir » les dossiers avec des faits et des preuves. C’était le travail des 25 avocats qui ont déposé plainte contre plusieurs ministres et qui ont « omis » vraisemblablement de « remplir » ces dossiers. Pourquoi donc ces avocats, qui ont multiplié les conférences de presse pour qu’on parle d’eux, n’ont pas présenté de preuves aux journalistes inculpant Tekkari ou Zouari ? Et comment expliquer que les dossiers "solides" n'aient pas encore été examinés et ouverts ? On ne comprend vraiment pas pourquoi un Ben Ali ou un Imed Trabelsi ne sont jugés que pour de "mesquines" affaires de stupéfiants !

On crie sur tous les toits qu’on veut une justice libre, indépendante et équitable. C’est notre vœu à tous. Mais dans ce cas, il faudrait alors accepter l’idée de voir que les juges libèrent des personnes dont le dossier est vide, en dépit de l’imaginaire collectif qui a déjà accusé et condamné ces personnes.
Mais comment, dans ce climat chaotique, expliquer aux bonnes gens que tel ministre n’a rien volé et que tel autre n’a rien à se reprocher juridiquement, en dépit de la sale réputation qu’ils trainent ?
On ne va pas réinventer l’eau chaude, il suffit que les magistrats chargés de l’instruction expliquent aux médias (et donc à la rue) les démarches qu’ils entreprennent. On a mis untel en prison parce qu’on lui reproche tel acte. On a libéré untel parce que les éléments fournis par l’accusation sont infondés ou insuffisants pour le mettre en état d’arrestation.
Si les magistrats menant ces enquêtes ne cherchent pas à cacher quelque chose, il n’y a aucune raison qu’ils ne dévoilent pas au public l’état d’avancement de leurs procédures.
Le secret de l’instruction ? Tant pis et c’est là qu’on peut faire valoir l’étape transitionnelle et exceptionnelle. Il vaut mieux violer le secret de l’instruction pour calmer la rue plutôt que mettre un innocent en prison ou un « voyou » dehors et préserver ce secret.

On pourra toujours répondre que les enquêtes ne sont pas achevées et que les dossiers sont en cours d’élaboration. Le cas de Saïda Agrebi l’illustre à merveille. L’enquête du ministère des Finances a été bien menée et la plainte a été déposée. Il fallait un minimum de temps pour que l’instruction officielle soit déclenchée. Un laps de temps dont a profité l’ancienne présidente de l’OTM pour s’évader en toute légalité.
C’était facilement évitable et il aurait suffi de la mettre officiellement en résidence surveillée jusqu’à la fin des enquêtes en cours. Mais il semble qu'il y ait encore quelques "barons" de l'ancien système qui ne voulaient pas de cela... Et c'est là tout le problème et à l'origine du climat de suspicion généralisé.
La planète entière nous regarde et l’image de la Tunisie ne peut être que grandie en appliquant une vraie justice. Et une vraie justice ne se fait pas avec des listes préétablies mettant, d’office, au banc des accusés des «barons » de l’ancien régime et des juges corrompus, mais avec des faits et des preuves.
Que les barons de Ben Ali soient jugés,  que les juges corrompus soient jugés, mais qu’ils soient jugés équitablement et non par la vindicte populaire ou sur la base d’un règlement de comptes des confrères. Et que l'équité de la justice touche tout le monde, y compris les anciens premiers ministres (Mohamed Ghannouchi n'est toujours pas inquiété), les anciens ministres de l'Intérieur ou encore les anciens ministres qui occupent encore de hautes fonctions.
08/08/2011 | 1
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