Tribunes
Le monde arabe ou le pion dans le jeu d'échecs américain

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Par Lotfi Saibi*
Les Américains assistent à l’une des guerres électorales les plus âprement disputées juste quelques mois avant les élections présidentielles. Dans les débats, la politique étrangère et, plus particulièrement, les pays du printemps arabe jouent un rôle clef.
Le Parti Républicain s’en prend à Obama de tous les côtés. On l’accuse d’être musulman1. En 2008, près d’un Américain sur cinq en était persuadé et aujourd’hui son attitude envers le monde musulman est scrutée de près depuis la mort de l’ambassadeur américain à Benghazi. Pourquoi ce problème se pose-t-il aujourd’hui alors que personne ne l’avait soulevé quatre ans auparavant ? C’est bien simple, dans son deuxième mandat, il a plus de chances d’appliquer sa vision de la politique internationale, car il serait beaucoup moins contraint que dans son premier mandat. Cela pourrait représenter une menace pour les néoconservateurs et les Israéliens.
La machine de propagande républicaine travaille dur pour discréditer Barak Obama. Une armée de stratèges œuvre nuit et jour, elle emploie des spécialistes militaires retraités, d’ex assistants de Bush et des géopoliticiens pour développer des scénarios et des simulations dans le monde arabo-musulman comme le montre le récent film de propagande produit pour montrer soi-disant un autre visage du président.
Le plus récent épisode que j’ai en tête, le film Innocence of Muslims, n’est pas une attaque contre le prophète musulman mais plutôt une attaque visant deux buts bien spécifiques. Le premier étant une tactique électorale afin de détourner l’opinion publique américaine d’Obama et la faire pencher vers Romney qui reste derrière dans les sondages d’environ 10 points2 (sondage d’opinion du 09/09/12) juste deux mois avant les élections présidentielles. La deuxième raison serait un bonus : Il s’agit de renforcer l’idée dans l’esprit du monde occidental que les musulmans ne sont pas faits pour vivre dans une démocratie, qu’ils ne sont pas formés démocratiquement et émotionnellement pour être rationnels et qu’ils ont besoin d’être contrôlés par la force, ce qui justifie plus de dépenses militaires et de présence dans la région.
Deux évènements similaires soutiennent cette dernière théorie : Pendant l’été 2001, Georges W. Bush (président Républicain) n’a jamais été aussi bas dans les sondages, les Américains étaient très mécontents de sa performance. La famille Saoudienne Royale au pouvoir avec le roi Abdallah Ben Abdelaziz Al Saoud qui était l’associé de la famille Bush dans l’exploitation pétrolière (6 billions de dollars) et dans la géopolitique du monde arabe s’est rallié au président. On a également dit que la famille Saoudienne était la source financière numéro un de G.W.B. La relation entre les deux pays passait aussi par Bandar Ben Sultan, ambassadeur Saoudien aux Etats-Unis. L’ennemi en commun pour les deux familles était Saddam Hussein qui a tenté d’assassiner Bush père et le roi d’Arabie Saoudite. L’Arabie Saoudite que Saddam Hussein a également tenté d’envahir dix ans auparavant. Il est ensuite accusé d’héberger Al-Qaida et de produire des armes de destruction massive. Les deux accusations se sont avérées être une pure invention pour justifier les dix années de guerre en Irak par le président Bush (bilan : près de 200 000 morts3 et une facture d’un trillion de dollars pour les Etats-Unis).
Un autre acteur important dans la géopolitique arabo-américaine n’est autre que la grande puissance des néoconservateurs américains et des chrétiens extrémistes qui éprouvent une antipathie innée envers l’Islam et qui sont de fervents supporters de l’Etat d’Israël.
Considérons à présent les événements de septembre 2012 afin de voir s’il existe des similitudes : Barak Obama (candidat démocrate) devance Mitt Romney (candidat républicain) de 10 points dans les sondages du 09/09/12, à moins de deux mois des élections présidentielles. Une des premières préoccupations géopolitiques de l’Arabie Saoudite concerne le succès relatif de la révolution dans le monde arabe et de son éventuelle propagation dans les pays du Golfe. Les néoconservateurs (fervents supporters de l’Etat d’Israël) sont inquiets de la capacité de l’Iran à produire des armes nucléaires. Romney est prêt à déclarer une première attaque sur l’Iran, ce qui est exactement ce qu’Israël recherche. Obama ne cautionne pas une attaque militaire contre l’Iran, au contraire il cherche à entamer des discussions bilatérales. Dans la récente convention nationale démocratique, le président Barak Obama se vante de son rendement concernant les promesses qu’il a tenues : il a promis de mettre fin à la guerre en Irak à la fin de l’année 2011, et il l’a fait. Il a promis de mettre fin à la guerre en Afghanistan fin 2013, et il va probablement le faire. Avoir besoin d’une présence militaire pour contrôler tout le monde arabe va à l’encontre de sa stratégie « rapatrier les troupes » et va à l’encontre de son plan de démocratisation du monde arabe qu’il a annoncé au Caire en 2009. Face à cela, la stratégie électorale républicaine se décline sur plusieurs plans. Inciter les musulmans à répandre le chaos en insultant le Prophète, sachant combien ils réagissent de façon excessive à de tels incidents. Le film l’innocence de l’islam s’avère être tout sauf innocent. Une des premières possibilités est qu’une fois que le conflit commencera en Egypte et en Libye, l’Arabie Saoudite paierait ensuite les salafistes extrémistes et les criminels pour attaquer les ambassades américaines d’une façon violente, causant beaucoup de dégâts et de morts dans certains cas. Les Etats-Unis chercheraient alors les assassins des militaires américains, établiraient et augmenteraient la présence militaire dans ces régions et près des ambassades. L’héritage laissé par Obama se ternit par la destruction de l’image d’un monde arabe civilisé et démocratique, une plateforme sur laquelle il a durement travaillé.
Les résultats ou les scénarios éventuels sont donc la menace terroriste qui surgit de nouveau pour remettre dans les esprits le fameux « America under Attack ». Obama, lui, apparaîtra dans une position de faiblesse face à la violence orchestrée contre les Etats-Unis. Les Américains perdront confiance en Obama, tandis que Romney qui semble gagner de l’assurance, proposera une alternative, comme celle que G.W.Bush avait proposée en 2004 face à Al-Qaida. D’ailleurs le dernier sondage réalisé le vendredi 19 septembre, montre que l’écart se rétrécit passant de 8 à 3 points. Comment ces événements se déroulent-ils et comment le candidat démocrate réagit pourrait ainsi avoir un effet direct sur les élections présidentielles imminentes.
Aussi éloigné que nous puissions l’être des Etats-Unis, nous avons un rôle très important à jouer pour déterminer le résultat des élections présidentielles. Si nous, citoyens et députés continuons à agir d’une façon violente et irresponsable comme nous l’avons fait, nous serons sûrs de placer un président à la maison blanche qui nous perçoit comme l’ennemi numéro un des Etats-Unis, et il est évident qu’il nous traitera de cette façon.
* Professeur en Développement de Leadership et Management a Méditerranéan School of Business et analyste politique, maitrise en Management et Operations de Harvard University
Référence :
1. http://www.washingtonpost.com/blogs/plum-line/post/many-conservatives-still-think-obama-is-a-muslim/2012/07/27/gJQA87X9DX_blog.html
2. http://www.politico.com/p/2012-election/polls/president
3. http://www.iraqbodycount.org/analysis/numbers/2011/
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