Tribunes
Cette gauche moribonde qu'il faudrait réveiller

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Par Hédi Sraïeb*
Les forces politiques sorties de la révolution inaugurée le 17 décembre, sont encore loin d’avoir trouvé leur identité définitive. Le processus de transition en cours révèle des stratégies hésitantes, des positionnements passablement changeants, au gré du cheminement de tout le corps social, lui-même, équivoque et incertain. Reste que dans cette métamorphose de l’espace politique en cours, on peut d’ores et déjà relever quelques invariants.
Faisons au préalable une hypothèse : Le peuple soumis à un processus d’assujettissement autoritaire, certes jamais total ni simplement unilatéral, semble avoir, malgré tout, conservé dans son inconscient collectif quelques traces de l’idéologie dominante qui a prévalu durant toute son histoire récente : Les thèmes récurrents de centrisme, de gradualisme, de consensualisme et de l’unanimisme, chers au régime déchu, et qui ont de facto montré leurs limites dévastatrices, paraissent renaître de leurs cendres.
Du coup, l’essentiel de la classe politique, en voie de constitution, se réclame de cette vision réformiste, du pas à pas, équilibrée, modérée où toute forme de radicalité se doit d’être expurgée, trop dangereuse ! Mais pour qui ? Sans doute un héritage qui oppose réforme à révolution. Rares sont, en effet, les formations qui se hasardent à tenir un discours éloigné, voire en opposition ou en rupture à ces thèmes ; le risque étant en effet très grand de se voir taxer d’extrémistes. Ce paradigme majeur et constitutif de la société tunisienne moderne, le réformisme centriste, a tout de même fini par voler en éclats avec la révolution et dévoiler ce qu’il est en substance : un agencement d’arrangements et d’accommodements en perpétuel renouvellement, mais qui préserve, en dernière instance, des intérêts singuliers assez éloignés de l’intérêt général, de l’intérêt national.
Certes, il faudrait plus qu’un simple article pour développer cette idée. Mais preuve s’il en est : Une répartition des revenus primaires toujours plus défavorable au salariat, une évasion fiscale sans précédent, une fuite des capitaux équivalente à la moitié de la richesse du pays, et en miroir une pauvreté que l’on découvre bien plus massive que ce que l’on pouvait imaginer, un sous-emploi insupportable assorti de conditions de vie des plus précaires. Une société polarisée et paupérisée.
Il y a bien une tradition de réformisme en Tunisie. Peu ou prou, tout le monde s’en réclame y compris l’organisation syndicale. Ce trait de caractère consubstantiel est effectivement profondément enraciné dans l’imaginaire collectif. Il fait écho, admettons-le, à une opinion très significativement dépolitisée, et pour laquelle prédomine une vision duale de la société : Elite/peuple, Dirigeants/dirigés, Etat/société civile… dont il apparaît urgent de se débarrasser.
Mais où est donc passé l’autre tradition, plus radicale, celle de nécessaires transformations en profondeur, celle des ruptures, celle de l’intervention des masses ?
La situation des formations dites progressistes est pour le moins paradoxale ! Aucune, observons-le, ne se revendique plus de la gauche, à l’exception de quelques groupuscules nostalgiques du trotskisme ou du maoïsme. Etre de gauche est politiquement incorrect, semble susurrer l’opinion, dont acte, semblent répondre ces formations. Alors elles se contentent de ressasser à plus soif, les mêmes fables des acquis, des de droits formels, reléguant aux oubliettes leur seule véritable priorité et en principe atout majeur : l’économique.
Cette opposition historique, radicale pendant longtemps, semble éprouver des difficultés à renouveler sa stratégie !
Que s’est-il passé pour que cette sensibilité abandonne sa doxa, sa praxis, et se rallie à une vision politique, sociale, économique qu’elle avait jusque-là condamnée et combattue ? Il est vrai que ces formations sont avant tout orphelines, du moins au plan idéologique, d’une perspective abandonnée, celle du socialisme. De plus, et sous les coups d’une sévère répression, sans pareil à leur endroit, ces formations ont progressivement déserté le terrain des luttes sociales, et ont fini par se réfugier dans les thématiques des « droits de l’Homme » et des « droits universels », dernier terrain encore « protégé » et sous haute surveillance du camp occidental.
De fait, ces formations sortent affaiblies, quasi-moribondes, sans référentiel critique du système, ou si peu, sans véritable base sociale, ni encore moins de véritable ébauche programmatique alternative. A l’évidence, ces formations, certes de manière différenciée, apparaissent aujourd’hui coupées des masses, du peuple en désespérance.
Un long processus de reconstruction apparaît comme inévitable ! Encore, faudra-t-il à cette opposition dite moderniste et progressiste, de trouver de nouveaux ancrages nets et saillants, des ruptures significatives. A y regarder de plus près, cette mutation est loin d’avoir été entamée, tant les risques sont redoutables. Tenter, en effet, d’évoquer une perspective autre que socio-libérale, autre que celle de l’économie de marché (doux euphémisme), apparaît à bien des égards suicidaire : C’est se mettre à dos le capital, l’argent, les intérêts étrangers !
Et pourtant que resterait-il de progressiste à ces formations si elles n’envisageaient de proposer que le seul véritable changement qui se dessine, celui du passage à la Démocratie et à l’Etat de Droit. Le pays s’en porterait-il mieux pour autant ? Le petit peuple n’en a cure ! On verra plus tard ! Quelle erreur politique que ce refus de ne pas vouloir prendre date !
Certains d’ailleurs n’hésitent pas à expliquer que « l’urgence historique » est ailleurs : celle de l’évitement d’une catastrophe bien plus grande que celle que nous avons déjà connue : le basculement vers une théocratie. Nonobstant, ce danger réel ou imaginaire, ces formations continuent à faire l’impasse sur la critique d’un système inique, qui ne cesse de faire de nouvelles victimes. Ladite « gauche progressiste » explique que seul un Etat de droit et une nouvelle gouvernementalité sauvera le pays. Quel raccourci illusoire !
A force de renoncements et de reniements, de consensualisme de façade, de réformisme de bon aloi, mais pire d’anathèmes triviaux et simplistes, « tout est de la faute de l’incompétence de ce gouvernement », comme si celui-ci avait hérité d’une situation saine et gérable ; « la gauche » ou pour ce qui en reste, pourrait, bel et bien, ne pas survivre à cette période.
* Docteur d’Etat en économie du développement
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