Tribunes
Rassemblement des forces progressistes ! Pour quoi faire ?

{legende_image}
Par Hédi Sraïeb*
Comme cela était prévisible suite aux élections du 23 Octobre 2011, le paysage politique est en pleine recomposition. Quoi de plus naturel.
Le premier rapprochement a pris la forme d’un accord de gouvernement réunissant CPR et Ettakatol sous la houlette du principal vainqueur Ennhadha. Sur le fond comme sur la forme, le processus de coalition a revêtu les caractéristiques développées par l’école de sociologie politique du « Sultanisme » : Accaparement des postes clés dans une logique familialiste et clanique, affinités électives clientélistes, marchandage des attributions contre allégeance implicite au corpus, certes instable, d’islam politique, nationaliste et panarabe. Cette « union sacrée » résistera à l’épreuve des faits ?
Tirant les enseignements de cette photographie instantanée des forces politiques (abstention massive, dispersion extrême des voix), et de ses conséquences immédiates (la troïka gouvernementale), de nouveaux rapprochements sont en cours sous la pression d’une opinion publique urbaine désenchantée et désappointée.
Comme il fallait s’y attendre, la mouvance « destourienne » est en voie de reconstitution.
Passablement compromise sous l’ancien régime, et comme le phénix qui renaît de ses cendres, elle n’en représente pas moins une certaine légitimité aux yeux d’une fraction du lectorat séculariste. Son credo, autour de notabilités, reste marqué par le nationalisme technocratique et moderniste. Il a pour lui l’expérience, la connaissance des appareils d’Etat, de nombreux relais disséminés sur tout le territoire et d’alliés à l’étranger. Il y a bien en son sein quelques dissensions liées aux personnes, mais il y a fort à parier que cette sensibilité va de nouveau s’inscrire durablement dans le paysage.
Révulsé et écœuré par les abjections de l’ancien régime liberticide et répressif, d’une part, et pétrifié et tétanisé à l’idée de la possible instauration d’un régime théocratique, la sensibilité séculariste qui se réclame de la démocratie, de la modernité et du progrès, perdante de l’élection mais consciente de son poids et de son influence possible, piaffe son impatience et réclame à corps et à cri, un grand parti, dans le droit fil de ce qui est convenu aujourd’hui d’appeler le syndrome du Golden-Tulip.
Cette sensibilité composite et éclectique à souhait, magma informe, épars, hétérogène, composée de libéraux conservateurs, de socialisants modérés, de progressistes radicaux, de souverainistes nationalistes se cherche à l’évidence un débouché, une traduction politique. Elle trouve son expression dans ce qui la rassemble pour l’heure, sorte de plus petit commun dénominateur : Une constitution garantissant les libertés individuelles et collectives, la construction d’institutions d’un Etat de droit et un régime politique d’alternance démocratique.
Comparaison n’est pas raison, et je m’excuse au préalable auprès des lecteurs qui ne connaîtraient pas l’histoire de la révolution française. Mais tout de même on a quelque mal à s’empêcher de comparer cette large frange de couches moyennes éduquées et urbanisées au « Marais » ou à « la Plaine » de la révolution française qui vise à devenir ce mouvement majoritaire « Girondin ». Les similitudes sont frappantes. On sait ce qu’il advint.
En d’autres termes les apparences consensuelles sont trompeuses, car au fond ce qui divisera cette puissante sensibilité, ce seront, sans nul doute, les choix d’ordre économique et social, invisibles pour l’heure même si l’on dénote de vagues réalignements dits au centre ou à gauche.
Le landerneau politico-médiatique de la capitale a, tout de même, saisi l’opportunité et l’enjeu du moment. De conciliabules d’états-majors aux troupes clairsemés et éparses, de conférences de presse en meetings unitaires, au ralliement de personnalités, la dramaturgie fonctionne. Un grand parti du centre va voir le jour après dissolution de quelques éphémères partis-confettis autour d’un chef de file. Les tractations, il est vrai, n’en sont qu’à leur début.
Les manœuvres ne font que commencer, car comme on pouvait s’y attendre, il y a place aussi pour ce que certains dénomment déjà un grand parti de la gauche démocratique.
La consolidation, ne soyons pas trop exigeants, était nécessaire compte tenu de l’extrême dispersion des forces. Reste que cette première phase occulte de futurs clivages qui ne manqueront pas de resurgir le moment venu.
Ce qui frappe tout de même c’est l’édulcoration des graves problèmes du pays, refoulés au second plan à en juger par des programmatiques économiques et sociales assez largement similaires, à droite au centre comme à gauche, dont les différences n’excédent pas l’épaisseur d’une feuille de papier. Qu’à ne cela ne tienne, il faut d’abord aller au pouvoir !!!
Il est vrai que les temps sont troublés et obscurcis, les références manquent. La faillite des idées socialistes comme de l’ultralibéralisme ne laisse plus guère la place que pour une troisième voie centriste ou la tentation social-démocrate.
Reconnaissons-le, l’enfermement dans des solutions surannées est à son comble. De fait, l’embarras est tel, qu’il vaut peut être mieux parler d’autre chose.
Alors et pour ces raisons, les dirigeants des partis, et leurs élites intellectuelles n’entonnent que le seul refrain possible : celui de l’alternance politique.
Méfions nous toutefois des lendemains qui déchantent et de la colère du peuple.
L’imprécision de termes consensuels tels que centre ou troisième voie (à la Tony Blair) de social-démocratie (à la Zapatero ou Papandreou) entretient des illusions dangereuses.
Messieurs de l’alternance démocratique, faites un effort et dites nous comment vous allez concrètement répondre aux objectifs de cette révolution, par quels moyens et dans quels délais.
*Hédi Sraieb, Docteur d’Etat en Economie du Développement.
sur le fil
Dans la même Rubrique
Commentaires