alexametrics
jeudi 08 mai 2025
Heure de Tunis : 01:13
Tribunes
Le phénomène de la transhumance parlementaire en Tunisie : une honte à réparer !
11/10/2020 | 14:10
4 min
Le phénomène de la transhumance parlementaire en Tunisie : une honte à réparer !

 

Par Chokri Azzouz *

A son origine, le terme « transhumance » appartient au lexique pastoral. Il désigne la migration des troupeaux de bétail d’un endroit à un autre à la recherche de pâturages offrant plus d’herbes et plus de chances de vie. En sciences politiques, par transhumance, on vise le comportement de l’homme politique - et plus souvent du parlementaire - qui quitte son parti ou son groupe pour rejoindre un autre, au courant du même mandat électoral.

 

Nombreux sont ceux qui ont essayé, depuis longtemps, de cerner les causes de ce phénomène assez complexe. Le changement d’allégeance pendant le mandat électoral serait lié aux caractéristiques mêmes des composantes de la société politique contemporaine. La structure des partis politiques, et par conséquent leurs principes et programmes électoraux sont de moins en moins élaborés sur des bases  idéologiques. Leurs structures de moins en moins rigoureuses. Le sentiment d’appartenance se trouve  souvent inversé ; le  parlementaire sent que  son parti lui appartient plutôt que l’inverse.

Il devient alors un fait banal et tout à fait ordinaire qu’un parlementaire déclare publiquement son intention de changer d’allégeance politique ou parlementaire pendant le même mandat électoral en vue de  bénéficier de la majorité  d’un autre parti ou un autre groupe plus  puissant et plus stable et, par là, plus susceptible de  prendre part  au pouvoir.  D’autres raisons, moins propres, peuvent certainement se trouver à l’origine d’un tel choix… Les éléments de défense souvent présentés par les transhumants peuvent paraitre clairs et convaincants; ne vivons-nous pas au sein d’un régime démocratique dans lequel chaque citoyen est libre d’adhérer à un parti politique (et donc à un groupe parlementaire) et de s’en tirer quand bon lui semble ? Ne sommes–nous pas sous l’égide d’un mandat représentatif irrévocable qui consacre l’indépendance totale de l’élu par rapport à ses électeurs ?

 

Il s’agit d’une analyse partielle, synonyme de beaucoup d’opportunisme. En effet, le  phénomène ne peut point  être analysé du seul  point de  vue  du   rapport  entre électeurs  et élus. La transhumance politique et parlementaire est avant tout un désastre susceptible   d’éroder tout le système démocratique en ce qu’elle dénature la tache initiale de l’élu et dénude le  mandat qu’il a reçu de tout sens. Les équilibres politiques nécessaires pour le bon déroulement de la vie démocratique se trouvent sacrifiés en faveur de quelque acquis matériels et sociaux. Plus clairement, c’est un terrain favorable pour le développement de la corruption et de l’immoralisme politique.

 

Dans les pays de l’Occident, les explications socio-politiques de la transhumance importent peu eu égard aux exigences de la morale politique. Là il s’agit d’une aberration honteuse qu’on a du mal même à aborder dans les textes. D’ailleurs, l’emprunt du concept au lexique pastoral y est considéré à la fois adroit et adéquat; il s’agit en effet, d’une tendance qui n’a rien de commun avec le comportement humain correct et honnête.

 

 De leur part, les constitutions de la plupart des pays de l’Afrique interdisent formellement la transhumance ou nomadisme parlementaire. La déchéance systématique du mandat du parlementaire qui quitte son groupe ou parti d’origine est le mécanisme souvent prévus pour lutter contre ce fléau.

 

Toute autre est la situation en Tunisie. Dès le premier jour de la session parlementaire 2020/2021, les changements de la structure de la Chambre ainsi que ceux intervenus à la composition du Bureau sont présentés sur les plateaux des stations radio et des chaînes télévisées comme une activité politique des plus ordinaires. Toute référence aux promesses et programmes électoraux est battue en brèche. Tout lien entre élus et électeurs est quasi totalement perdu de vue. Les exigences de l’intérêt général semblent céder devant les manœuvres néo- machiavéliques. Communément conçus comme des crimes privés, la trahison et l’abus de confiance se trouvent ainsi considérés comme des moyens d’action politique légitimes. Certes, l’instauration de textes constitutionnels et légaux sanctionnant toute atteinte au respect du mandat électoral devient plus que nécessaire. Toutefois, le recours à ces mécanismes textuels n’est pas sans limites. En Tunisie on a plutôt besoin de redéfinir le  pouvoir politique, on a besoin de repenser au concept même de l’Etat.

 

* Avocat spécialiste  en droit public 

 

 

11/10/2020 | 14:10
4 min
sur le fil
Tous les Articles
Suivez-nous
Commentaires
Monia
d'où l'expression "tirer les marrons du feu"
a posté le 11-10-2020 à 21:09
Monsieur, vous abordez un point crucial qui m'a dès les premières "transhumances" interpelé...
DIEHK
Cet article prouve que j'ai raison de vous traiter de tous les noms:
a posté le 11-10-2020 à 20:49
Sauf d'animaux en transhumance !
Alors dorénavant, je rajouterai un quatrième qualificatif d'anim...Après:
Incultes,
Gueux,
***
Anim...
Dans nos contrées sauvages d'Europe Occidentale on pratique la "transhumance" pour engraisser les " Animaux" por qu'ils soient bien gras en mangeant l'herbe qui pousse dans dans les hautes montagnes.
Taieb Sidi Bouzid
A qui le profit
a posté le 11-10-2020 à 17:15
Vous n'avez pas parlé de qui profite le plus de ces transhumances parlementaires. Quel parti profite de l'effritement et de l'instabilité des autres partis et coalitions, quel parti nourrissait les divisions et sabotait les autres de l'intérieur.
La Nahda empêcherait la lois qui interdirait la transhumance parlementaire, il y a eu beacoup des propositions dans sens (depuis 2011, Al3arida de Hechemi Hamdi) toutes avortées par Nahda, car ce parti se considère vacciné contre les Mercatos de députés (les députés Nahda peuvent s'éloigner de leur groupe, mais ne changent jamais de couleurs et généralement ils continuent à voter dans la même direction), la transhumance des députés affecte negativement que les autres et pas Nahda donc pourquoi l'interdire.
takilas
Une présumée démocratie insignifiante.
a posté le 11-10-2020 à 15:21
Ce système d'élection et l'électorat est mal interprété en Tunisie puisque est basé sur le régionalisme et la vengeance.
Kif Kif
Transhumance
a posté le 11-10-2020 à 14:52
Vous écrivez sur les élus, qu'en est-t-il de la <>de tout un Parti?