C’est en vertu d’un communiqué laconique publié aux environs de minuit que la désormais, ancienne cheffe du gouvernement, Najla Bouden, s’est retrouvée éjectée. Tout le tapage qui a accompagné sa nomination à ce poste, étant la première femme qui va gouverner au destin d’un pays arabe et musulman, n’a d’égal que la petitesse de la porte par laquelle le chef de l’État l’a faite sortir.

Najla Bouden s’est montrée fidèle et même efficace, à certains égards, dans le service au président de la République. L’Histoire se rappellera de son nom comme étant la cheffe d’un gouvernement à la légitimité douteuse qui a aidé un président à mettre en place son propre système. Ce sera aussi celle qui poursuivi en justice un journaliste à cause d’un article de presse qui lui a déplu. L’Histoire se rappellera que le fameux décret 54 aura été adopté et mis en application sous un gouvernement dont elle a été la présidente. Tout cela sans parler des différents indicateurs économiques, des pénuries de pain, de café, d’huile subventionnée ou de médicaments, de la guerre menée par le gouvernement contre les enseignements, de la claque de l’accord, toujours hypothétique, avec le Fonds monétaire international. Finalement, malgré tous ses efforts et tous ses sacrifices, elle aura été limogée sans ménagement aucun et sans aucun respect ne serait-ce que pour la fonction qu’elle occupe. Le Président Kaïs Saïed a montré, à plusieurs reprises, qu’il n’avait plus aucun égard pour ceux dont il estime qu’ils ne lui servent plus à rien. C’est ainsi qu’il récompense la servitude qu’il exige.

D’ailleurs, Najla Bouden aurait dû se douter que les choses se passeraient de cette manière. Elle a même de la chance, pour l’instant, car elle n’est pas encore poursuivie en justice, comme ce fût le cas d’une autre illustre fidèle de Kaïs Saïed : Nadia Akacha. Cette dernière, que les fans de Kaïs Saïed comparaient à l’époque à la dame de fer, a également été limogée sans aucun ménagement et de manière humiliante. C’était pourtant la plus proche collaboratrice du président de la République et elle s’est totalement dévouée à la tache de le protéger et de mettre en place ses politiques. Pourtant, malgré toute la servitude dont elle a fait preuve, est arrivé un moment où les équilibres autour du Président n’étaient plus en sa faveur et elle s’est retrouvée dehors en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Quelque temps plus tard, on a même découvert qu’elle pourrait comploter contre l’État et une information judiciaire a été ouverte. Aujourd’hui, la dame vit en exil, en récompense au zèle dont elle a fait preuve en faveur de son président.

Un autre serviteur zélé du président de la République a connu une sortie humiliante : l’ancien ministre de l’Intérieur, Taoufik Charfeddine. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir embrassé, corps et âme, la politique du président du chef de l’État. On se rappellera de sa déclaration, quelques jours avant de partir, selon laquelle les hommes d’affaires, les médias et les opposants seraient tous des traitres d’une manière ou d’une autre. Il a également tenté de soigner sa sortie en annonçant de lui-même sa démission le 17 mars 2023 mettant en avant des raisons familiales. Pourtant, cela n’a pas empêché les services de la présidence de la République de bien mentionner au Journal officiel qu’il a été mis fin aux fonctions du ministre de l’Intérieur. Il fallait bien une dernière gifle de la part de la présidence pour bien montrer à tout le monde qui est le patron. Au moment du limogeage, les services rendus précédemment et le dévouement à la politique, voire à la personne du président de la République ne pèsent plus rien.

Des dizaines d’autres personnes ont fait les frais de la même politique et ont préféré la voie de la servitude pour ensuite se retrouver happés par un système qu’ils ont participé à mettre en place. Par exemple, le poète Sami Dhibi, qui était un fervent soutien de Kaïs Saïed dans le passé, se retrouve aujourd’hui emprisonné par le système mis en place par son favori. Combien de ceux qui ont soutenu et même parfois milité en faveur de Kaïs Saïed se retrouvent aujourd’hui limogés ou inquiétés par la justice. Combien d’entre eux ont été humiliés par l’État qu’ils ont accepté de servir à l’heure où la tendance despotique ne faisait que s’affirmer de jour en jour. Combien d’entre eux ont justifié et trouvé des prétextes aux agissements les plus infâmes pour ensuite se trouver éjectés de l’autre côté de la barrière. Combien d’entre eux ont profité du système et ont accepté de s’y conformer en contrepartie de petits privilèges personnels pour ensuite se trouver dans la posture du bouc émissaire auquel on fait porter la responsabilité de l’échec.

Malheureusement, il semble que le nombre d’exemples ne soit pas assez conséquent pour dissuader les prochains de se faire avoir de la même manière. Il y aura toujours quelqu’un qui acceptera la servitude au prix de quelques privilèges, pour ensuite se retrouver dégagé. Ils oublient que leurs noms resteront dans les livres d’Histoire et qu’ils seront associés, en tant que responsables, aux heures les plus sombres que leur pays aura vécu. C’est le résultat éclatant de la servitude.