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Chroniques
Bienvenue dans le désert de la politique tunisienne
Par Marouen Achouri
14/06/2023 | 15:59
4 min
Bienvenue dans le désert de la politique tunisienne

 

Le Tout-Tunis a été ébranlé, durant la soirée du 13 juin 2023, par une série de tweets polémiques prêtés à l’ancienne cheffe de cabinet du président de la République, Nadia Akacha. Des « révélations » d’un niveau très douteux qui rappellent les conversations fuitées dans lesquelles la même dame auraient tenu des propos du même acabit. En réalité, la vie politique tunisienne a toujours été jalonnée par des épisodes aussi crasseux que ceux-là comme, par exemple, la teneur des propos échangés lors de réunions au sein du défunt parti Nidaa Tounes ou encore les propos tenus par des dirigeants islamistes comme Rached Ghannouchi lorsqu’il avait évoqué l’armée ou encore Abdelfattah Mourou confessant à Wajdi Ghonim que la vraie cible était nos enfants.

La classe politique tunisienne, depuis le temps d’Habib Bourguiba, a été victime d’une désertification méthodique qui fait, qu’en bout de course, la vie politique est rythmée par un président sans programme entouré de personnes à la loyauté versatile. Le premier président de la République tunisienne ne supportait pas l’émergence d’une classe politique formée et organisée, encore moins d’une opposition à sa propre politique. Les perspectivistes en savent quelque chose. A l’époque, l’utilisation de la police et de la justice comme un moyen de répression politique a été institutionnalisé et l’on ne s’offusquait pas de voir des personnes poursuivies et emprisonnées à cause de leurs divergences politiques avec le pouvoir. A l’aube de la République tunisienne, il en coûtait déjà beaucoup pour prétendre s’intéresser à la chose publique et militer en faveur d’un mouvement donné. Même au sein du parti au pouvoir, il fallait être vigilant à ne pas trop faire d’ombre au combattant suprême sinon son courroux s’abattait aussitôt et des peines de prison étaient prononcées sans sourciller.

Cette malheureuse tendance est devenue encore plus institutionnalisée sous le règne du président défunt Zine El Abidine Ben Ali. De manière plus méthodique encore que durant l’ancien temps, le pouvoir s’est échiné à couper toutes les têtes qui osaient sortir du rang d’une pratique cloisonnée de la politique. Ce sont d’abord les islamistes qui ont payé le prix fort d’une pratique, très douteuse d’ailleurs, de la chose politique. Ensuite, ce fût au tour des mouvements de gauche d’être persécutés et emprisonnés. Hamma Hammami et Radhia Nasraoui, par exemple, ont fait les frais de leur opposition au pouvoir en place. Les antennes de l’ancien RCD étaient même présentes au sein des différentes facultés et universités du pays pour identifier rapidement les leaders estudiantins capables de prendre la parole et d’haranguer les foules. Il fallait, à ce moment-là, tenter par tous les moyens de les enrôler au sein du parti avec l’argument : « Viens réformer de l’intérieur ». S’ils refusaient, ils se trouvaient persécutés et entravés, voire emprisonnés également.

 

Au final, après la révolution de 2011, nous nous sommes retrouvés devant une classe politique hors du temps qui n’a pas pu saisir les aspirations de la rue et les inquiétudes du peuple. C’est pour cela que le parti qui avait réussi à maintenir un semblant d’organisation a raflé la mise en se basant, en plus, sur des slogans identitaires où la peur joue un grand rôle. Ennahdha, précédemment persécuté par le pouvoir, s’est adonné au même exercice en empêchant la naissance d’institutions puissantes permettant la naissance d’une classe politique nouvelle. Même si le parti islamiste en paye aujourd’hui le prix, il ne faut pas oublier que sous la troïka et même des années plus tard, la pratique de la politique et le fait d’être opposant rapprochait dangereusement des couloirs des tribunaux. Le seul parti qui avait réussi, en 2014, à battre électoralement Ennahdha est un bric-à-brac sans identité dont le seul mérite était d’être dirigé par feu Béji Caïd Essebsi, un politicien formé des décennies plus tôt au sein du système. D’ailleurs, le parti en question, Nidaa Tounes, s’est totalement désagrégé après sa victoire ce qui, en soi, renseigne beaucoup sur la situation de la classe politique.

Les choses n’ont pas changé après l’arrivée surprise de Kaïs Saïed à la tête de l’État et particulièrement après son coup de force du 25-Juillet. Encore une fois, la pratique de l’opposition politique est redevenue un ticket d’entrée presque immédiat pour la prison la plus proche. Sous des accusations fantaisistes comme celle du complot contre la sûreté de l’État, des dizaines d’hommes et de femmes politiques ont été arrêtés pour avoir osé tenter de s’organiser pour s’opposer au pouvoir en place.

 

A ces différentes époques, une question, parfois même posée par les opposants eux-mêmes, illustre à merveille la notion de désertification de la scène politique nationale. Que ce soit sous Bourguiba, Ben Ali ou aujourd’hui sous Kaïs Saïed, nombreux se demandent : « Quelle est l’alternative ? Il n’y a personne en face ». Au-delà de la réponse basique selon laquelle la Tunisie a toujours trouvé une alternative et que la nature a horreur du vide, le fait même de se poser à chaque fois la question est assez symptomatique de la situation. Toutefois, il existe des raisons pour espérer voir une classe politique mature à l’avenir. Attayar et Afek Tounes sont deux partis qui investissent réellement dans leurs jeunes et qui prodiguent un effort certain pour les former et les mettre au premier plan. Il existe des partis qui ont compris qu’une scène politique saine doit se diversifier et rajeunir, qu’une scène politique efficace doit vivre avec son temps. Ils font des efforts dans cette optique mais ils sont loin d’être majoritaires.

Par Marouen Achouri
14/06/2023 | 15:59
4 min
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Commentaires
Sam laker
Desert
a posté le 16-06-2023 à 11:16
C'est beau le désert, reposant, relaxant ...
Mansour Lahyani
Pourquoi parlez-vous d'un désert politique tunisien ?
a posté le 15-06-2023 à 11:25
Allez donc voir les prisons elles aussi tunisiennes ! Vous serez rapidement convaincus du contraire...
Zarzoumia
Démocratie
a posté le 14-06-2023 à 20:03
Il est plus une question de valeurs et de principes que de visages et de générations. C'est ce que vous nommez " scène politique saine ". Le rapport au pouvoir doit être guidé par l'envie de servir et non assoir une hégémonie et chercher à durer peu importe les moyens. Tous les courants politiques ont le droit de vouloir mettre en '?uvre leurs visions à condition que cela soit fait loyalement. Au final, c'est une question de règles de jeu.
Tous les grands courants politiques, en Tunisie, ont endossés le rôle du bourreaux et de la victime, avec un petit bémol car je ne pense pas que la nébuleuse autour de KS est la gauche Tunisienne. Cette situation pourrait permettre à beaucoup de tirer les leçons qui s'imposent et à adhérer complètement et sincèrement aux principes démocratiques. C'est un élément qui me laisse penser qu'on finira par trouver l'équilibre dans ce processus de construction démocratique.
Je pense que ce n'est pas le désert politique, Ettayar, Afek et autres portent la voix de la raison et de la démocratie mais souffrent de la tendance des tunisiens à chercher la figure emblématique et le discours enflammé. Après les déceptions qui s'enchaînent, ce discours finira par faire écho et cristalliser l'idée que seules les institutions et la culture démocratique pourront nous prémunir contre toutes velléité totalitaire.
Le cas de l'Italie est le meilleur exemple pour constater qu'un parti fasciste sera toujours contenu. C'est pour cette raison également que ni Ennahdha ni KS n'ont voulu installer la cour constitutionnelle par crainte de voir leurs pouvoirs limités.
Malgré la situation économique pressante, je pense que la priorité est de constituer un front politique autour de cette idée de "une scène politique saine ".