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SUR LE FIL
Les médecins n’ont plus rien à dénoncer
Par Synda Tajine
05/03/2024 | 15:59
4 min
Les médecins n’ont plus rien à dénoncer

 

Nous n’avons pas arrêté d’écrire sur la situation des médecins ces dernières années. La précarité de leur situation a été tant de fois dénoncée, qu’il ne reste plus rien à dire aujourd’hui. D’autant plus, face à la nouvelle proposition de loi, soumise à l’ARP, qui veut les contraindre à ne pas quitter le territoire national sans autorisation du ministère de la Santé.

Encore une fois, les autorités préfèrent cacher leur échec en faisant de leurs élites un bouc-émissaire, comme si le seul moyen de les garder dans le pays serait de les retenir de force.

 

L’opinion publique a certes la mémoire courte. Certains faits ne devraient, pourtant, jamais être oubliés.

Rappelez-vous, en 2020, il n'y a même pas quatre ans, le pays s’était réveillé sur l’horrible nouvelle du décès d’un résident dans l’hôpital de Jendouba après une chute d’ascenseur de dix mètres. Badreddine Aloui est décédé sur les lieux de son travail en tant que résident en chirurgie. Il avait 26 ans et était médecin. Paix à son âme. Jamais nous n’avons eu aussi honte.

Et pourtant, cette honte nous continuerons à l’éprouver au fil des années. Depuis des années, les médecins tunisiens ont été le maillon fort de la chaîne militante du pays. Ils ont consacré des années à dénoncer les manquements, les défaillances, les trous, le matériel défectueux, les ordures qui s’amoncellent, les process défaillants, les ascenseurs qui ne ferment pas, le manque de lits, de personnel, de médicaments etc. de leurs hôpitaux. De nos hôpitaux dans lesquels ils sont acculés à nous soigner chaque jour, dans des conditions déplorables et inhumaines. Parfois même au péril de leurs vies.

 

Rappelez-vous de la campagne, dénonce-ton hôpital qui avait émergé sur la toile après le décès des onze nouveau-nés au centre de néonatologie de Tunis en mars 2019, il y a très exactement cinq ans. Les médecins avaient exprimé leur indignation en recourant aux réseaux sociaux pour partager les images les plus parlantes de la situation catastrophique des établissements hospitaliers publics. 

Dans leurs statuts, les médecins avaient décrit des hôpitaux infestés de rats, des tuyaux de canalisation qui éclatent en plein bloc, des hôpitaux régionaux qui n’ont plus de budget, un germe multi-résistant retrouvé chez plusieurs patients opérés, un générateur de secours en panne, des médecins qui font de la ventilation manuelle à cause d’une panne d’électricité, des chats qui circulent à l'intérieur de l'hôpital et mangent le placenta des patientes...

 

Rappelez-vous, en mars 2019, treize bébés étaient décédés au centre de maternité et de néonatologie de l’hôpital La Rabta à Tunis. Une infection nosocomiale était derrière leur mort.

 

Rappelez-vous aussi, en juin 2019, sept décès de nouveau-nés ont été constatés à l’hôpital régional Mohamed Tlatli à Nabeul. Une enquête avait été ouverte et les causes du décès demeurent encore inconnues aujourd’hui.

 

Rappelez-vous en 2019, un projet de loi sur les droits des patients et la responsabilité médicale avait été déposé sur les bureaux des parlementaires. Ce projet de loi aurait dû être voté durant le mandat 2014-2019 mais a fini par être renvoyé en commission, ensuite en plénière et de nouveau en commission en 2021. Nous sommes en 2024 et ce projet de loi est revenu sur la table de la commission de la santé pour être de nouveau discuté avant d’être soumis au vote en plénière. A l’heure actuelle, cette loi n’a toujours pas été votée. En attendant, corps soignant et patients ne disposent toujours pas d’une loi spécifique les protégeant.

 

Rappelez-vous des nombreuses, trop nombreuses, agressions de médecins qui ont été enregistrées ces dernières années. A La Rabta, à Tataouine, à Yasminet (Ben Arous), etc. Un fléau qu’il aurait fallu endiguer d’urgence mais contre lequel, une fois encore, rien de concret n’a été fait. En plus des conditions de travail insalubres, les médecins continuent à soigner en l’absence du minimum des règles de sécurité.

 

Les hôpitaux tunisiens en avaient faits des victimes. D’abord les patients, victimes de conditions d’admission et de traitement à la limite de l’humain, ensuite ce sont les médecins qui succombent, d’une manière ou d’une autre.

Les médecins n’avaient pas arrêté de dénoncer. Ils s’étaient écorchés les poumons à force de rappeler qu’ils ont droit à des conditions de travail dignes. Les autorités étaient restées muettes face à leurs revendications. Les scandales se sont succédés ces dernières années et ont provoqué, à chaque fois, un séisme. Mais le séisme a été court et de petite ampleur en comparaison avec la gravité des faits.

 

Aujourd’hui, les médecins n’ont plus rien à dénoncer. Plusieurs d’entre eux, de plus en plus nombreux, préfèrent jeter l’éponge et partir. Comment leur reprocher aujourd’hui rechercher de meilleurs cieux ? Comment les traiter d’ingrats aujourd’hui parce qu’ils ont choisi la dignité et la sécurité ? Ils n’ont pas arrêté de hurler et personne n’a été en mesure d'entendre leur cri de détresse…

 

 

Par Synda Tajine
05/03/2024 | 15:59
4 min
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Commentaires
Giovanni
Erratum
a posté le 10-03-2024 à 13:53
Il ne s'agissait pas d'une chute d'ascenseur, mais plutôt d'une chute dans la fosse d'un ascenseur.
Et c'est une différence de taille!
Vladimir Guez
Les pauvres .
a posté le 06-03-2024 à 16:01
On oblige pas un docteur en mathématiques a s'installer a Medenine ou Sidi Bouzid. Pourquoi seuls ces pauvres docteurs en médecine devrait subir ce supplice d'un voyage dans l'espace er surtout dans le temps ?
Tounsi Tounsi
Bah oui
a posté le à 17:24
Laissons ces gueux dans leur sous-développement, ne les soignons pas, ne les instruisons pas, laissons-les se débrouiller tout seuls sans aide de l'Etat pour faire face à leurs problèmes économiques, sociaux, environnementaux. Mais surtout n'oublions pas de taxer les entreprises de ces régions pour que ces recettes permettent de financer la scolarité gratuite de nos étudiants tunisiens, ceux de médecine ne faisant pas exception.

C'est vrai quoi, laissons-les payer les études de médecine aux étudiants sans bénéficier de soins de qualité comme dans les régions côtières d'où étaient originaires les précédents présidents tunisiens et leur clique.
Vladimir Guez
Ils ne paient rien du tout
a posté le à 18:46
ces regions reçoivent plus que ce qu'elles contribuent.
Si vous voulez envoyer des médecins dans ces régions au même titre que des enseignants , des policiers et autres , il faut transformer le métier de médecin en fonctionnaire et arrêtez de leur inventer des devoirs qu'ils n'ont pas plus que n'importe quel autre étudiant.
Tounsi Tounsi
Tant mieux, il ne manquerait plus qu'ils mordent maintenant !
a posté le 06-03-2024 à 14:38
On est dans un pays où leur profession est valorisée. Ils gagnent bien leur vie et certains magouillent ppur se faire encore plus de fric (on se rappelle de l'affaire des stents périmés d'ailleurs).

Cela fait un moment que le serment d'Hippocrate fait l'objet d'un respect à géométrie variable dans ce pays. Sous prétexte que les pouvoirs publics seraient défaillants pour inciter les médecins à rester exercer ici, nous devrions excuser leurs dérives, et le fait qu'ils trahissent un engagement qu'ils ont librement pris avec l'Etat ?

Il ne faut pas pousser mémé dans les orties. On ressent néanmoins, à la lecture de certains articles et commentaires, une certaine solidarité de classe entre les bourgeois (et les aspirants bourgeois et autres rejetons incompétents de familles aisés) et la caste des médecins. La récréation a assez duré, faut se mettre au travail maintenant.
kamel
Gouvernance
a posté le 06-03-2024 à 08:38
un des importants problemes que rencontrent les medecins specialistes dans les regions est l avbsence d equipement ( scanners , IRM ,......) et lorsque ces equipements tombent en panne ils ne sont pas repares a temps .Donc ces medecins subissent les agressions des citoyens qui croient que le medecin ne veut pas travailler . Des indemnites importantes doivent etre servies a ces medecins ( doublement du salaires ou plus ,...) pour les encourager a exercer dans les regions .il faut aussi assurer la securite des medecins et du personnel Medical .Un fonds peut etre constitue pour financer les Equipements des Hopitaux et les indemnites servis aux Medecin .il faut arreter le depart des medecins a tout prix .
Tounsi Tounsi
@Kamel : suis d'accord sur les investissements
a posté le à 14:42
Oui, il faut que les pouvoirs publics fassent leur part du travail pour offrir des conditions de travail dignes aux soignants. On est d'accord.

En revanche, les problèmes d'agressions sont récurrentes partout ailleurs. En France il y a carrément des intrusions pour voler du matériel professionnel (à Mayotte), voler et violer des patients. L'herbe n'est pas forcément plus verte ailleurs mais il faut améliorer notre pays, on a assez touché le fond.
*******
Absolument
a posté le à 10:11
Il faudrait les rémunérer leurs juste valeur. Mettre des primes, des logements , des avantages, les encourager pour aller travailler en région.
J'habitais la région parisienne aucun problème, j'avais quitté pour aller m'installer en région, une galère pour trouver un médecin, 6 mois d'attente pour un spécialiste, on a le temps de crever la bouche ouverte.
Vieux Routier
Ils ont sacrifié leur vie
a posté le 05-03-2024 à 19:52
Merci Madame Tajine pour ce plaidoyer auquel j'ajouterais le nombre de médecins et autres professionnels de santé morts en luttant contre la covid-19.
Ailleurs on aurait au moins une stèle à leur mémoire, mais chez nous on vilipende ces professionnels ... cette armée blanche sous estimée voire dédaignée.
Tounsi Tounsi
@Vieux Routier : Je n'ai pas vu de stèle en France...
a posté le à 14:48
'? part les bruits de casseroles... et puis quand il y a eu les manifestations des personnels soignants contre la réforme des retraites, ces derniers ont été frappés sans ménagement par les forces de l'ordre.

Les médecins n'ont pas plus sacrifié leurs vies que d'autres professions. Effectivement ils exercent une mission fondamentale, mais il y en a tant d'autres : le personnel agricole sans qui ont ne pourrait pas manger, les gens du bâtiment qui usent leur santé pour bâtir le pays, les entrepreneurs dans tous les domaines qui créent de la richesse et des emplois au détriment de leur vie familiale, les sécuritaires qui veillent sur nous H24 en risquant leur vie à chaque instant, les pêcheurs... j'en oublie d'autres certainement. Tout ça pour dire que les médecins ne sont pas des demi-dieux plus méritants que d'autres professions. Il faut savoir rester juste.
Mohamed Obey
L'humiliation des médecins est devenue un phénomène depuis 2011...
a posté le 05-03-2024 à 19:35
Eh ben oui, l'humiliation des médecins est devenue 'normale' depuis qu'une milice de l'ex-ministre de la Santé Abdellatif El Mekki. Je me rappelle bien mon indignation en 2012 ou 2013 quand un digne Professeur et l'un des respectables seniors de la Faculté de Médecine de Tunis fut passé à tabac par une bande de voyous employés par ledit ministre...
Les médecins sont, à mon sens, et doivent être 'intouchables' et presque sacrés: ils sont les donneurs d'espoirs, d'une seconde vie à ceux qui sont souvent sur le point de la perdre... Les médecins, s'ils ne se mêlent pas aux agissement condamnables et immoraux, doivent jouir de leur droit naturellement inaliénable de choisir où servir ou pas servir... La pratique médicale doit rester le domaine de la liberté par excellence...
D'autre part, je suis sûr que les médecins ne sont indifférents aux valeurs humanistes. je les vois servir et partager la souffrance de leurs patients à Gaza; il y en a même ceux qui ont succombé sous les bombes de Tsalal. Que Dieu préserve nos médecins 'et les autres de survivants des palestiniens!). Les médecins tunisiens, donnez-leur de la considération bien mérité et ils ne n'hésiteront pas à aller dans les zones les plus démunies.... localement et dans le monde.
Médecin très agacé
Mais il y a suffisamment de travail dans le pays, mais il faut freiner l'avidité des médecins !
a posté le 05-03-2024 à 19:35
L'APC avait été instaurée depuis 1995 par le décret n° 95-1634 du 4 septembre 1995 relatif à l'exercice d'une activité privée complémentaire par les professeurs et les maîtres de conférences agrégés hospitalo-universitaires... en médecine, complété par le décret N° 2007-120 du 25 janvier 2007.

L´APC avait pour but de garder les meilleurs médecins du secteur public et universitaire dans les hôpitaux, en leur permettant d'exercer une partie de leur temps en tant que médecin privé et de leur éviter les tentations de l'activité privée, source de grandes fortunes.

Cependant, ce qu'on observe actuellement, c'est une dérive dangereuse de l'APC.
Il faut dire que les dérives de l'APC se sont accentuées ces dernière années devant une passivité flagrante du ministère de la santé et un laxisme de ses services de contrôle Pourtant tout le corps médical et même non médical était au courant de ses dépassements : détournements de malades du secteur hospitalier vers les cliniques privées avec des filières structurées, dont les chevilles ouvrières seraient des para-médicaux dans les centres hospitalo-universitaires.

1- chantages et marchandage quant aux délais des interventions chirurgicales et des consultations pour pousser les malades à consulter (ou à être opérés) chez l'APCiste "du service",
2- Gardes illégales assurées par les hospitaliers dans les cliniques,
3- Désertion des services universitaires par des APCistes préoccupés surtout par leur activité privé et baisse du niveau de l'encadrement et de la formation des futurs médecins,
4- "prise en otage" des patients du secteur public qui se voient obligés de consulter en APC pour une meilleure prise en charge dans le même service public,

Enfin, ce n'est plus de "l'activité privée complémentaire", deux après-midis parsemaine, c'est devenu de "l'activité privée clandestine", tous les jours.. et il n'est pas nécessaire de mentionner ici l'évasion et l'exonération fiscale.

Et la Mafia du RCD sevit encore et encore..
FALLAG
APC (activité privée complémentaire" ?
a posté le à 22:04
Tout parti politique ou candidat à la présidence qui n'est pas encore prêt, dans son programme électoral, à stopper immédiatement cette folie de APC n'est PAS éligible !

Tous les médecins - surtout les retraités - doivent rembourser ses études..
Ahmed
Et les fakenews sur les psychiatres.
a posté le 05-03-2024 à 18:19
Après 30 ans de fidèles et loyaux services au gouvernement Kef, la veille de la retraite, un psychiatre est abusivement arrêté, puis relâché, quelques jours avant son départ à la retraite.
Il faut être fou pour prendre sa place.
DHEJ
Fou...
a posté le à 18:57
Oui il faut être fou pour rester à Tunistan...
DHEJ
Le serment du médecin...
a posté le 05-03-2024 à 17:53
La Tunisie est un pays d'indigènes... même à la pharmacie centrale...
elfribo
Pas si grave...
a posté le 05-03-2024 à 17:49
Des hopitaux delabrés, en ruines? pas si grave ni pressant, au moins pas autant que la Mosquee de La Kasbah, dont les travaux de restauration ont commençé illico-presto, le lendemain de la Visite de son Eminence. Je me demande pourquoi les travaux n'ont pas commencé le jour meme.
Gg
150Me
a posté le 05-03-2024 à 17:07
Pour une fois, "y-a-qu'a" verser le don de l'UE, 150Me, directement au budget de la santé: pharmacie centrale, rénovations, matériels, soins, sécurité, salaires en retard.
Ce sera bénéfique à tous les citoyens.
Parce qu'à l'heure actuelle, soit on va à l'hôpital public et attend la mort dans un couloir sale avec un doliprane (s'il y en a), soit on va dans une clinique privée, et là il faut avoir une solide carte bancaire.
Il y a urgence, et l'urgence n'est pas la rénovation d'une mosquée ou d'une piscine!