Chroniques
Le RCD, on l'attendait par devant, il est venu par derrière…

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Par Marouen Achouri
La scène médiatique et politique tunisienne a vu, ces derniers temps, le retour en trombe de Hamed Karoui à la tête du parti dénommé « le mouvement destourien ». Pour ceux qui ne le connaissent pas, Hamed Karoui a été Premier ministre de 1989 à 1999 et fêtera ses 86 ans en décembre prochain.
Il est désolant que le marasme politique actuel ait permis le retour des personnes âgées aux commandes de ce pays. La désolation est encore plus grande quand on constate le retour de Hamed Karoui et de tous ses acolytes de l’ancien RCD. Toutefois, ce retour n’est pas illégitime en lui-même.
La volonté commune de construire une nouvelle Tunisie pluraliste et représentative de toutes ses tendances, il est hors de question d’exclure qui que ce soit de l’activité politique sur l’unique base de son appartenance politique. C’est en cela que la loi d’exclusion qui avait été proposée est scandaleuse et contraire aux droits de l’Homme. N’étant pas sous le coup d’une punition judiciaire, toute personne a le droit de participer à la vie politique du pays, et c’est le cas de Hamed Karoui et de ses acolytes.
Le problème ne réside pas dans le fait que ces personnes souhaitent apporter leur expertise et leur expérience à l’enrichissement de la vie politique et en somme, au bien du pays. Le problème réside dans le discours sur lequel ce retour s’appuie.
En vieux briscard de la politique, Hamed Karoui est passé maître dans l’art subtil du maniement des mots et des concepts. En effet, le nouveau discours destourien s’appuie d’un côté, sur des évidences et de l’autre sur des subtilités qui font persister le doute. Quand Hamed Karoui met la veste du destourien pur jus, il martèle que ce sont les destouriens qui ont construit la Tunisie depuis l’indépendance et que c’est grâce à eux que la Tunisie est arrivée à un certain niveau, respectable du reste, sur le plan africain et arabe. Il a raison. Il dit aussi que les rangs des destouriens regorgent de compétences. Il l’a rappelé, non sans arrogance, dans une interview accordée le 19 novembre 2013 à la chaîne Al Wataniya 1 en déclarant : « Ils se battent pour désigner un nouveau chef du gouvernement, moi je peux leur citer une dizaine de ministres qui peuvent le faire ». Ceci également est vrai.
Par ailleurs, quand Hamed Karoui est attaqué sur sa collaboration avec l’ancien régime et sur sa participation dans la dictature, celui-ci se réfugie derrière l’absence de jugements à l’encontre des destouriens d’un côté, et sur le fait que Ben Ali était le décideur final, de l’autre. Quand on lui reproche d’avoir été à la tête de la machine du RCD, Hamed Karoui déclare : « Nous sommes prêts à faire notre autocritique ». Trop aimable !
Le discours du nouveau Destour est édulcoré et toxique. Hamed Karoui semble oublier que l’autocritique que son parti va effectuer est nulle et non avenue car le bilan est là, visible aux yeux de tous. Les destouriens ont construit le pays, amélioré l’infrastructure, bâti l’économie de la Tunisie moderne, mais c’est Ben Ali et sa famille qui sont responsables de la corruption, de la pratique de torture, du muselage des médias et de l’absence de libertés. Les destouriens sont gentils, mais c’est Ben Ali qui était le grand méchant. Quand il s’agit de torture et de persécution, c’est Ben Ali qui donnait les ordres et qui commandait, mais la construction de ponts, de routes et d’hôpitaux c’est grâce aux destouriens. Un peu trop facile comme explication. D’autant plus que la pierre est jetée à des personnes ou à des entités qui ne peuvent se défendre. Rejeter tout le négatif sur Ben Ali et garder tout le positif pour les destouriens n’est pas tenable comme argumentaire.
Une autre chose que Hamed Karoui semble oublier. Le bilan des destouriens à la tête du pays n’est pas aussi reluisant que l’ancien Premier ministre veut le faire croire en se basant sur le pervers effet de contraste avec la situation catastrophique actuelle. Le plus gros des problèmes de la Tunisie est structurel malgré les nouvelles préoccupations liées à la sécurité et à la dégringolade de l’économie.
Le problème du chômage en Tunisie, particulièrement celui des diplômés, n’est pas nouveau et se trouve être le résultat d’une politique d’enseignement catastrophique de l’aveu même des professeurs et des universitaires. Le clivage entre régions côtières et régions intérieures et les différences criantes de développement entre elles est-il du fait d’Ennahdha ou de la révolution ? Non, c’est le résultat d’une mauvaise politique pratiquée pendant des décennies, sous l’égide, entre autres, du même Hamed Karoui. La corruption à grande échelle qui a gangréné le pays depuis des décennies dans plusieurs domaines comme la justice, les douanes, le commerce, l’attribution de marchés publics et autres, n’était-elle pas au moins tolérée lors de ces années que Hamed Karoui s’évertue à décrire comme une sorte d’âge d’or de la Tunisie ?
Corruption, inégalité, injustice, chômage. C’est bien pour cela que le peuple a fait cette révolution. Les revendications populaires scandées le 14 janvier portaient sur ce type de préoccupations. Malgré toute sa bonhomie et sa bonne volonté, Hamed Karoui et les destouriens ont pratiqué une politique dont les résultats sont forts contestables.
Au-delà des accusations cavalières et non prouvées de malversation et autre, il est utile de s’atteler à l’analyse du rendement gouvernemental de Hamed Karoui, à faire nous-mêmes l’autocritique que l’ancien Premier ministre nous promet depuis la révolution. En loup politique qu’il est, Hamed Karoui exploite le bilan affligeant des gouvernants postrévolutionnaires pour redorer le blason d’une gouvernance à peine meilleure.
La légitimité de ce retour en politique de Hamed Karoui et du RCD en général est à interpréter par le seul prisme du rendement et de l’efficacité. Continuer à les accuser de corruption et de malversation sans aucune preuve ne peut que leur attirer de la sympathie. Les traiter de « azlem » et de suppôts de l’ancien régime ne servira pas ceux qui craignent leur retour. Par contre, établir le lien entre les revendications populaires du 14 janvier, qui sont toujours d’actualité, et la politique exercée par les caciques de l’ancien régime est susceptible de les mettre devant leurs responsabilités.
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