Janvier mois des tensions sociales, une fatalité ?
Par Ahlem Hachicha Chaker*
Redeyef, 5 janvier 2008
Dans cette bourgade de l'ouest tunisien, éclataient des affrontements entre les habitants et les forces de l'ordre sous le régime Ben Ali. Ces affrontements vont créer une situation de tension qui va durer des mois. Sous les tirs à balles réelles de la police, il y aura 3 morts. Mais il y aura surtout des exactions, des répressions, de la violence, de la torture et des procès menés par un régime qui n'avait pas compris l'ampleur de ce qui se passait.
Décembre 2010, un remake se déclenche à Sidi Bouzid, se propageant au reste du pays et entrainant la chute du régime. Depuis, des élections, des assemblées, des gouvernements se sont succédé. Et pourtant.
Pourtant, le sentiment général est que rien n'a changé, du moins l'essentiel. Les incidents, les grèves, les manifestations, les violences de rue se poursuivent à intervalles réguliers un peu partout dans le pays. A la veille de la commémoration du 14 janvier 2011, il y a de quoi se poser des questions.
Quelles étaient les raisons de la révolte de 2008 à Redeyef ? Quelles étaient les raisons de la révolution de 2010 ? Quelles sont les raisons de ces différents épisodes de contestation depuis ? Les mêmes thèmes qui semblent être récurrents sont le chômage, l'injustice sociale, le manque de développement régional, le modèle économique non-inclusif, l'infrastructure faible, les conditions de vie difficiles, l'absence d'opportunités. Et nous semblons être encore et toujours dans l'incapacité de résoudre ces problématiques, de répondre à ces demandes.
Nous avons des politiques publiques, des plans, des stratégies. Nous multiplions les instances et les institutions. Et les gens ne voient rien venir. L'économie de ce pays laisse tout un pan de la société de côté. Les chômeurs sont toujours chômeurs, rejoints par une nouvelle génération de jeunes sans avenir. Et la misère se poursuit.
Les responsables sont généreux de slogans et de discours, réitérant que la situation est difficile et que l'Etat n'a pas de baguette magique. Les promesses de développement, d'emploi, d'investissements sont distribuées comme des bonbons. Mais le concret tarde à arriver.
6 ans après la révolution du 14 janvier 2011, peut-on encore demander aux gens d'attendre, d'être raisonnables ? Est-il impossible d'améliorer de manière rapide la vie des Tunisiens à Kasserine, Siliana, Gafsa, Metlaoui et Meknessi ? Et surtout, a-t-on encore le luxe de pouvoir poser ces questions ? J'ai bien peur que non.
Ce ne sont pas les stratégies ni les lois ni les plans qui vont apporter des solutions aux habitants de ces régions. C'est la volonté. Tant que nous n'aurons pas compris que ces régions ne demandent pas la charité, qu'il s'agit de problèmes urgents et prioritaires à résoudre, que les décisions peuvent être prises en quelques jours et appliquées de manière concrète, les frustrations continueront à s'accumuler et les tensions à éclater. Les Tunisiens n'ont plus la patience d'attendre. En six ans, aucune alternative durable n'a été apportée dans les régions. Les mêmes éléments qui ont déclenché les violences en 2008 et 2010 demeurent.
L'urgence vitale est d'apporter un mieux immédiat à ceux qui vivent dans des conditions dramatiques sans voir d'amélioration dans l'avenir proche. Il faut savoir distinguer les mesures immédiates des programmes stratégiques à plus long terme. Mais il faut surtout savoir reconnaitre la nécessité de se mettre à disposition des citoyens, d'être à leur écoute et de saisir la gravité de la situation. Peut-on créer des emplois demain ? Peut-on assurer un revenu à tous ? Peut-on créer un cadre de vie agréable dans les régions ? Non. Mais on peut soulager la misère rapidement. On peut donner des signaux de l'engagement réel de l'Etat pour une action concrète dans les régions.
Nous entretenons le mythe que le mois de janvier est un "mois chaud" politiquement et socialement en Tunisie, qui semble être devenu le rendez-vous des protestations. Des avertissements sont lancés au gouvernement depuis quelques semaines. Espérons qu'il saura agir et réagir. Pas pour éviter les grèves et les manifestations. Mais pour améliorer la vie des citoyens.