
Quitte à sombrer, autant y aller à fond. Après tout, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? La Tunisie a décidé, dans la plus grande opacité, de se retirer de la Cour africaine des droits de l’Homme et des Peuples, privant ainsi ses citoyens et ses organisations de la possibilité de saisir cette juridiction indépendante. Une décision prise en catimini, révélée deux semaines plus tard seulement à la faveur d’une fuite, comme si l'exécutif cherchait à minimiser l’impact de ce renoncement historique.
Le régime, fidèle à lui-même, a donc préféré dissoudre l’idée même de transparence dans la dissimulation. Un détail, me dirait-on ? Non. C’est une méthode de gouvernance. Plutôt que d’annoncer publiquement un retrait qui engage tout un pays et d’en assumer les conséquences, le régime a préféré le secret, loin des débats et des contestations, pour imposer le fait accompli.
Alors que de nombreux États africains avancent dans la reconnaissance et le respect du droit, la Tunisie, elle, prend le chemin inverse, un repli sur soi qui rappelle les manœuvres des régimes les plus autoritaires.
Fuir la justice
Soyons clairs : le pouvoir sait qu’il y a eu des dépassements. Il sait que les décisions de la Cour africaine pouvaient encore davantage révéler au grand jour l’étendue des violations. Il sait que les principes les plus élémentaires de l’État de droit sont piétinés au quotidien. Il sait que la justice, lorsqu’elle est libre et indépendante, ne peut que pointer du doigt les violations des droits et libertés.
Mais plutôt que d’assumer et de se remettre en question, il préfère la fuite en avant.
Car cette Cour africaine a eu l’outrecuidance de déranger :
- En 2022, elle a déclaré illégal le décret présidentiel 117, ainsi que plusieurs textes imposant une concentration absolue des pouvoirs entre les mains du chef de l’État, en les jugeant contraires à la Charte africaine.
- En 2023, elle a ordonné des mesures urgentes en faveur de plusieurs prisonniers politiques pour protéger leurs droits fondamentaux et leur intégrité physique.
- En 2024, elle a exigé l’annulation de la révocation arbitraire de 57 magistrats, estimant que cette purge portait atteinte à l’indépendance de la justice et aux garanties d’un procès équitable.
Bref, la Cour africaine a fait son travail. Et c’est bien là le problème : un pouvoir autoritaire n’aime pas être rappelé à l’ordre. Plutôt que de se conformer aux principes du droit et de la justice, il préfère supprimer le juge.
Un isolement qui s’accélère
Ce retrait de la Cour africaine n’est pas un accident, mais une étape logique d’une dérive qui ne se cache même plus. Cela ne fait que confirmer ce que tout le monde sait déjà : un pouvoir en place qui s’isole et s’enferme dans sa propre logique absolue.
Il faut dire que le pays n’a toujours pas de Cour constitutionnelle, pourtant prévue par la Constitution, mais qui risquerait d’empêcher certains abus de pouvoir. Par ailleurs, les décisions de la justice administrative sont ignorées lorsqu’elles ne conviennent pas au pouvoir. Et puis, il y a le cas de ces dizaines de magistrats révoqués arbitrairement, consolidant une justice aux ordres, là où elle aurait dû être un contrepoids.
La Tunisie s’enfonce dans un modèle où la séparation des pouvoirs est un vieux souvenir, où la justice indépendante devient une menace, et où un seul et unique décide de ce qui est légal ou non.
Dans ce contexte, le retrait de la Cour africaine n’est que la suite logique d’un projet de verrouillage total : se débarrasser de tous les mécanismes qui permettraient encore un semblant de contestation.
Refuser de se soumettre à la justice, c’est non seulement se croire au-dessus des lois, mais aussi assumer pleinement l’impunité. Se couper de son environnement continental n’est donc pas une aberration dans ce contexte.
"Préserver notre composition démographique… autoritaire"
Avec une ironie mordante, l’ancien ministre Mohamed Hamdi a résumé la situation en une phrase :
« Nous nous retirons de la Cour africaine des droits de l’Homme pour préserver notre composition démographique… autoritaire ».
L’allusion est grinçante, et terriblement juste. Car au-delà de cette décision, c’est une vision du pouvoir qui se dessine, une Tunisie qui se replie sur elle-même, obsédée par son autorité, sourde aux critiques et aveugle aux réalités. Un bel hommage à la grande tradition des dictatures qui confondent souveraineté et oppression.
Le pire dans tout cela ? Ce genre de retrait ne protège en rien de pareils régimes. L’histoire regorge de pouvoirs qui méprisaient les institutions tout en coupant les ponts avec le reste du monde. Ça ne peut pas tenir. Donc, oui, ce retrait est un recul sur un précieux acquis, mais viendra irrémédiablement le jour où ce droit sera rétabli.
Alors, la Tunisie quitte la Cour africaine… et après ? Pourquoi ne pas se retirer de la Cour internationale de justice, de l’ONU, de l’Union africaine, voire de la géographie et de l’Histoire tant qu’on y est ? Claquons les portes et finissons-en !




Le fauve n'est jamais plus dangereux que lorsqu'il est menacé ou blessé...

